Parentalité

Rompre la solitude des familles monoparentales

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Des mamans en tandem avec leurs co-équipières volontaires du Petit vélo jaune.<br />
© Thibault Gregoire
Des mamans en tandem avec leurs co-équipières volontaires du Petit vélo jaune.
© Thibault Gregoire
Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

Catherine court après le temps. Catherine court pour oublier qu’elle n’a pas le temps. "Quand je me suis séparée, il a fallu régler les questions financières, administratives, professionnelles… La course à pied était mon uni­que bulle d’air, confie cette mère de cinq enfants. En joggant, je retrouvais de l’énergie et j’imaginais un lieu où toutes les informations utiles seraient regroupées, un espace accueillant où on prendrait le temps de vous écouter."

Deux ans plus tard, Catherine Bourlet ouvre "Solo mais pas seul", le premier espace exclusivement dédié aux familles monoparentales en Belgique francophone. Dans le petit local qu’elle a dégoté au centre de Jodoigne, il y a toujours un paquet de mouchoirs sur la table de la permanence (ire aussi Des lieux et des projets pour les familles monoparentales). Cette maman pleine de courage, qu’une carrière dans le tourisme n’avait nullement prédestinée à endosser la casquette d’assistante sociale, oriente les parents seuls et les informe de leurs droits. Un parent solo sur trois vit avec moins de 1.500 euros par mois, contre 9% dans les familles non séparées ou recomposées (1). "Les femmes qui poussent ma porte ne savent souvent pas qu’elles peuvent bénéficier de différents avantages sociaux comme le tarif social pour l’énergie, le statut Bim, etc . Certaines aussi ont peur de frapper à la porte du CPAS ou de la justice", observe Catherine Bourlet. 

Gardes, droits de visite, contributions alimentaires… "Le droit familial est une matière extrêmement complexe", regrette Noémie Simon, coordinatrice de la Maison des parents solo, un projet porté par la Ligue des familles, qui vient d’ouvrir à Forest. S’informer des aspects légaux arrive au premier plan des préoccupations des parents sé­parés, analyse la coordinatrice, qui a mené une recherche-action pour identifier les besoins de ces familles (2). Autre point épineux : le logement. "Les familles monoparentales sont souvent victimes de discriminations au logement et sont des cibles faciles pour les marchands de sommeil. Lors des permanences, on peut expliquer, par exemple, comment se protéger d'un propriétaire mal intentionné."

 

Des parents épuisés

Pour les parents solo, la gestion du quotidien s’apparente davantage au parcours du combattant qu’à la monotonie confortable du boulot-métro-dodo. "Quand on est seul, amener le petit chez la logopède ou trouver des bouchons de liège à la dernière minute parce que l’instit’ a prévu un bricolage, peut vraiment devenir galère. Et les écoles ne sont pas toujours compréhensives, observe Sandra Splouchal, responsable du site Parentsolo.brussels pour la Ligue des familles. On entend encore beaucoup de préjugés : 'Elle n’avait qu’à bien choisir son mec'; 'elle n’avait qu’à pas faire un enfant toute seule’, etc."

L’hébergement égalitaire concerne seulement un tiers des parents (3). En 2018, 36 % des parents séparés assument encore l’éducation de leur(s) enfant(s) à temps plein. Dans 79% des cas, il s'agit de femmes qui endossent alors la garde exclusive.  Des parents peuvent aussi se retrouver à assumer l'éducation de leurs enfants sans aide suite au décès d'un conjoint ou d'autres raisons : une hospitalisation, un enfermement...

" Les mamans qui viennent chez nous mettent souvent leur propre santé de côté pour s'occuper de leurs enfants, déplore Vinciane Gautier, co-fondatrice du Petit vélo jaune, une asbl qui travaille avec des familles précarisées qui ont des enfants en bas âge. Faute de temps ou d’argent, elles reportent les soins et atterrissent aux urgences quand rien ne va plus. Et si elles doivent se faire hospitaliser, c’est la panique pour faire garder les enfants." Selon les données disponibles en Wallonie, 44% des familles monoparentales reportent des soins jugés nécessaires, soit deux fois plus que dans les familles dites "classiques". (4)

Reconstruire le village

Vendredi, 18h. À Jodoigne, c’est l’heure de l’apéro des parents solo. Les enfants jouent  sagement dans un coin aménagé pour eux. Les mamans s’échangent quelques tuyaux sur les stages d’été accessibles avant de dévier sur des conversations plus personnelles. Un couple, qui s’est rencontré dans ces lieux, détaille les préparatifs du mariage devant l’assemblée réjouie. "C’est le seul jour de la semaine où je peux enfin parler à des adultes !", nous confie une maman. "On parle souvent de la solitude de ne pas pouvoir partager les difficultés, mais il y a aussi celle de ne pas partager les bons moments, de n’avoir personne avec qui se réjouir quand les enfants ramènent un bon bulletin à la maison", complète Catherine Bourlet.

Chaque maman a inscrit sur un post it ce que lui évoque la monoparentalité

"Pour les parents solos, juste boire un verre avec des amis, c’est compliqué. Entre la fatigue, la baby-sitter à payer, les amis qui divisent l’addition au resto par le nombre de participants quand vous avez commandé une salade et un verre d’eau… On ne vient plus et on finit par ne plus être invité", commente la coordinatrice de la Maison des parents solos à Forest. Ici aussi des activités collectives sont prévues pour permettre aux familles de sortir de l’isolement. "On dit qu’il faut un village pour élever un enfant, mais parfois il faut d’abord reconstruire le village."

Recréer des liens, c’est aussi ce à quoi s’attellent le Hamac et le Petit vélo jaune. Le Hamac met en relation des volontaires, souvent des jeunes fem­mes qui n’ont pas encore connu la maternité, avec des familles monoparentales. Une fois par semaine, le volontaire s’occupe du ou des enfants pour permettre au parent de souffler quel­ques heures. Le projet se veut tout sauf du baby-sitting gratuit, avertit Julie Praet, une des deux fondatrices : "L’i­dée est de créer des rencontres enrichissantes en permettant à des enfants de côtoyer des adultes qui viennent d’autres horizons et vice-versa. Accompagner un enfant à la bibliothèque ou à la plaine de jeux, c’est découvrir la ville autrement". Au Petit vélo jaune, les enfants ne sont pas confiés au volontaire, mais celui-ci accompagne les familles monoparentales une fois par semaine pour les aider à faire des courses, des démarches administratives, préparer le repas. Il s’agit autant d’offrir une paire de bras qu’une paire d’oreilles. "Quand on est en mode survie en permanence, avoir quelqu’un qui vous aide à prendre du recul et à chercher des solutions, c’est précieux", se félicite la coordinatrice.

Une poignée de projets

D’un côté, on dénombre en Belgique 475.615 familles monoparentales (5). De l’autre, les projets spécifiquement dédiés aux familles monoparentales se comptent… sur les doigts d’une seule main, même si les parents solo peuvent aussi trouver du soutien auprès d’autres organisations plus généralistes : haltes garderies, maisons vertes, services aux familles, mouvements féministes, etc. Sans surprise, ces projets pour parents solo - qui fonctionnent souvent grâce à l’énergie de leurs fondateurs et des financements derrière lesquels il faut courir chaque année - croulent sous les demandes. "Des mamans m’appellent des quatre coins de la Wallonie", s’a­larme-t-on chez Solo mais pas seuls. Au Hamac et au Petit vélo Jaune, on recherche constamment de nouveaux volontaires pour accompagner les familles qui s’inscrivent sur des listes d’attentes.

À Forest, la Maison flambant-neuve des parents solo est le premier projet à bénéficier d’un soutien financier structurel de la part des pouvoirs publics, en l’occurrence la Cocom. Signe que la problématique commence à être sérieusement prise en compte ? Catherine Bourlet l’espère. Regardant en direction de l’autre côté de l’Atlantique, elle se met à rêver. Au Québec, région souvent citée en matière d’innovations sociales, les projets dédiés aux familles monoparentales sont nombreux et englobent tous les aspects de la vie : logements collectifs, programmes de recherche d’emplois adaptés, soutien à la parentalité, groupes de paroles, etc. "Ils ont une longueur d’avance; il y a même des projets pour les familles recomposées dont on oublie qu’elles aussi rencontrent souvent des difficultés."  

 

Deux sites internet pour les parents solo

 

Regroupé par thématique (fiscalité, contributions alimentaires, famille, travail, etc.), ce site développé par la Ligue des familles guide les parents bruxellois dans la jungle des démarches administratives et juridiques : www.parentsolo.brussels Explications avec Sandra Splouchal – Chargée de projet site monoparentalité à la Ligue des familles

Côté wallon, les familles monoparentales peuvent surfer sur le site conçu pour elle par la Région wallonne: www.actionsociale.wallonie.be/seulavecenfant