Jeunesse

Des scouts de plus en plus verts 

5 min.
© Stéphanie Van Haesebrouck
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Stéphanie Van Haesebrouck

Stéphanie Van Haesebrouck

"Nous, on n'a pas de poubelle !", se sont entendu clamer, cet été, des éboueurs lors de leur habituelle collecte de détritus. Cette phrase, c'est Charlotte, 5 ans, qui l'a scandée fièrement dans un petit hameau de Bertogne, en province de Luxembourg. Charlotte ainsi que 11 enfants étaient alors en camp castors (section allant de 4 à 8 ans) d’une unité de Rixensart. Particularité de ce camp ? Il s'agissait d'un séjour "zéro déchet". Et les camps orientés "développement durable" ne manquent pas à une époque rythmée par les marches pour le climat. Sébastien Renouprez, administrateur délégué des Scouts asbl, note une réelle éclosion : "Le premier sujet proposé par les animateurs lors­qu'on les a consultés, dans le cadre du plan triennal, était l'écoresponsabilité. Il y a trois ans, il s'agissait d'un sujet presque annexe."

Certains chefs abordent le développement durable en se concentrant sur le recyclage. Rien de tel que de vieux bouts de cartons pour réaliser de beaux bricolages… D'autres repensent les menus en prévoyant plus de repas sans viande ou tentent de réduire au maximum les restes alimentaires (quitte à amener des poules au camp ou à se lancer dans une tarte aux épluchures de pommes, comme l’ont fait les Castors). Parfois, c'est la production de déchets et de CO2 qui attire l'attention des jeu­nes. À eux, le vrac et le local! Sans oublier la mobilité douce : transports en commun, vélo, covoiturage... Mais in fine, quel que soit l'angle d'attaque, dès que les chefs et participants d'un camp s'intéressent au développement durable, ils s'activent, à leur échelle, à tout ce qui peut y contribuer.

Rien ne sert de courir…

On ne devient pas un as du recyclage, de la mobilité ou des achats en vrac du jour au lendemain. "En listant les commerces de la région où l'on pourrait acheter en vrac, bio ou local, on s'est rendu compte que cela multipliait les commerces où se rendre : crèmerie-boucherie-épicerie… Et réaliser ce repérage à distance et sans connaître les environs n'est pas toujours évident", expliquent Julie, 20 ans et Juliette, 21 ans, cheffes de la Compagnie des Antilopes (51 guides de 12-15 ans) de l’unité Sainte-Suzanne à Schaerbeek. Organiser un camp durable exige de l'organisation et de l'anticipation. Leurs solutions ? Effectuer des achats en vrac dans des magasins qu'elles connaissaient à Bruxelles. Et pour les magasins proches de leur lieu de séjour, elles se sont aidées du site de l'Agence wallonne pour la promotion d'une agriculture de qualité (APAQ-W). Il renseigne tous les commerces bio en fonction du type de produits (fruits et légumes, boulangerie, viandes…) dans un rayon de 5 à 30 km de la localité choisie. Seul hic : "Les sites internet de ces commerces n'indiquent pas tous les prix des articles. Or, on voulait éviter d'augmenter le coût du camp".

À la caisse

Le budget, aspect redouté du durable! Le surcoût d'un camp durable semble réel, mais surmontable. Il faut dire que certains chefs redoublent d'efforts pour que cette augmentation n'impacte pas les parents. "Une demande de subsides à la commune de Schaerbeek nous a permis d'obtenir 1000 euros", s'enthousias­me Julie. Autre soutien : une intervention financière de l'APAQ-W allant jusqu'à 600 euros. Pour en bénéficier, il fallait soumettre sa demande à temps, rendre les notes de frais (sur certains produits) et s'engager à organiser une activité de sensibilisation à l'environnement. Durant le camp, les guides ont donc visité une pisciculture. Et les cheffes de Sainte-Suzanne n'en sont pas restées là. "On a aussi créé une cagnotte, intervient Juliette. On a expliqué notre projet aux parents des guides. S'ils appréciaient l'idée, ils pouvaient nous soutenir. On a récolté 250 euros."

Tous, la main à la pâte

Pour diminuer les coûts, rien de tel aussi que la fabrication maison. "Des parents et grands-parents ont offert des pâtes à tartiner, du miel, des petits biscuits, tous fait maison", précise Zélie, cheftaine des Castors. Même réflexe du côté des Antilopes. Là, ce sont les guides elles-mêmes qui, lors d'une réunion, ont confectionné leur savon de vaisselle, leur déodorant, des éponges… Pour l'hygiène, les Castors ont, quant à eux, opté pour un achat commun : brique de savon, dentifrice en poudre et crème solaire. Inutile que chaque enfant apporte ses propres produits. "Nous conservons des aliments dans des Tupperware prêtés par les parents. Et les pains le sont dans des taies d'oreiller, poursuit Zélie. Cette démarche n'est pas toujours comprise des commerçants locaux. Même si on les prévient, lors­qu'on va récupérer nos achats, nos pains sont déjà emballés. Idem parfois pour la viande." Question d'habitude ou d'hygiène pour ces commerçants ?

Au-delà des difficultés, de l'intérêt

Alors que certains se soucient du tri des déchets, d'autres agissent déjà pour ne pas en produire. La différence de degrés d'implication des acteurs de la société vis-à-vis du développement durable peut constituer une difficulté pour les Castors ou les Antilopes qui se lancent dans l'aventure. Autres obstacles : le nombre réduit de commerces proposant du vrac dans certains coins reculés de l'Ardenne belge, les modalités du tri des déchets variables selon les régions… Quant aux participants, ont-ils eu des réticences ? Rien à signaler du côté des Castors. Quant aux guides, après avoir fait le deuil des chips en vrac jamais trouvés, elles ont plutôt été enthousiastes et se sont concocté d'autres apéritifs. C'est même avec fierté qu'elles expliquaient leur projet à une autre section en visite sur leur camp.

Quel que soit leur âge, tous les enfants perçoivent l'intérêt de ce défi. À la question "pourquoi c'est bien de faire attention à l'environnement?", Antoine, 6 ans et demi, répond : "Comme cela, on ne pollue pas la terre". Et qu'est-ce qui pollue ? "Les mégots de cigarettes", lancent-ils en premier lieu. "Les plastiques jetés par terre aussi…" Mathieu, 5 ans, ajoute que "si l’on n'a plus d'arbres, on meurt, car l'arbre donne l'oxygène.

Et pendant que certains Castors dissertent sur l'environnement, d'autres confectionnent de petites éponges. "C'est ma cinquième ! Je l'ai créée avec de vieilles paires de chaussettes", montre fièrement une petite fille, tout heureuse de se lancer dans une démonstration. Ici, il s'agit d'un atelier, mais la thématique est souvent abordée au détour d'un jeu ou d'un bricolage, confie Zélie, cheftaine des Castors. "On a créé, par exemple, un jeu sur une célèbre pâte à tartiner, car c'est un produit concret pour eux. De là, on peut parler d'huile de palme et donc de déforestation, de pollution… et des conditions de travail des ouvriers."

Coup de pouce

Certaines sections, comme les Antilopes, se sont lancées seules dans le projet de camp durable à l'aide de tutos trouvés sur internet. D'autres, comme les Castors, ont apprécié de se faire accompagner par leur fédération. Bel exemple de collaboration : les responsables des cinq fédérations (Guides, Scouts, Patros, Scouts et Guides pluralistes de Belgique et Faucons rouges) ont défini ensemble cinq axes de travail sur le développement durable : la gestion des déchets, l'hygiène, l'alimentation, la sensibi­lisation des parents et le matériel d'animation. C'est de concert encore qu'ils ont commenté le projet "Label Camp durable" du ministre wallon de l'environnement et de la transition écologique, Carlo Di Antonio. Et ils ont bien plus encore nourri le projet "Camps zéro déchet" de Bruxelles Environnement. Ces deux initiatives se sont fait épauler de spécialistes en la matière. Zéro waste a accompagné les 14 sections sélectionnées par Bruxelles environnement. Ecores a assuré ce rôle en Wallonie auprès de 15 sections. Leurs objectifs sont communs : former les chefs des sections retenues et, in fine, décupler les initiatives en transition écologique au sein des mouvements de jeunesse. "Ce qui importe surtout, explique Marc Sautelet, chargé de projet chez Zéro Waste, c'est de rassurer les chefs qui se lancent. Souvent, ils sont pleins de bonne volonté, mais ne savent pas par où commencer, n'osent pas se lancer seuls... On leur donne une vision, on les accompagne dans leur préparation et surtout, pendant leur camp, on souligne leurs exploits dont ils n'ont souvent pas conscience". Pourtant, on peut parler d'exploit lorsque la section des Castors, par exemple, ne compte, après sept jours de camp, qu'une poubelle de 200 gr.

Et cette réussite dépasse largement le cadre environnemental. Par de telles réalisations, les responsables de fédérations et les chefs de sections dopent le sens de la débrouillardise, de la collaboration, du sentiment de réussite et d'utilité. Si l’on considère, en plus, la dynamique collective de ces projets, on peut espérer un effet boule de neige ! Et c'est bien l'objectif de ces camps : sensibiliser un public déterminé afin que les messages et les actions percolent dans d'autres sphères : classes, quartiers, famille…