Soins de santé

L'insolent succès des maisons médicales

6 min.
© M. Cornélis
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Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Avant dernière étape après Gilly, Tournai, Libin, Verviers…, la "Caravane des maisons médicales", emmenée par la fédération francophone qui en représente une grande majorité, s'arrête place Duchesse de Brabant à Molenbeek. Une tournée itinérante en Régions wallonne et bruxelloise qui entend susciter, auprès des travailleurs, partenaires et usagers, une réflexion sur l'avenir du mouvement des maisons médicales. Réflexion déclinée sur une ligne du temps. Le passé et le présent sont abordés durant le speed meeting qui oppose anciens et nouveaux usagers de la maison médicale. Un papier est pêché au hasard : "médecin de famille". Aux deux groupes de le définir, puis de constater la complémentarité de leurs réponses. Parmi les anciens, une femme, usagère depuis 30 ans, partage son point de vue : "Mon docteur sait tout sur moi, sur mes enfants… C'est comme une deuxième maman". Son discours inspire la proposition du groupe : "Une personne de confiance à qui on parle parfois plus que de santé". Les nouveaux venus, pour leur part, avancent une proposition quasi similaire : "Celui qui a une vue globale sur votre santé et qui connaît votre histoire". Aujourd'hui comme jadis, en maison médicale, les médecins généralistes semblent inspirer la confiance.

Quant au futur, il est questionné à travers des scénarios, volontairement exagérés, qui constituent autant de pistes pour la rédaction du plan d'orientation 2018-2022 de leur fédération. Ainsi, selon les utopies, les maisons médicales pourraient devenir incontournables dans le secteur de la santé et développeraient un modèle de santé plus global. La Fédération des maisons médicales, quant à elle, s'occuperait soit uniquement de politique, soit elle se muerait en une fédération de patients… La participation est donc largement encouragée pour explorer et construire ce qui a fait et ce que fera le mouvement.

Des soins pour tous

Le rêve de voir naître des lieux de soins intégrés dans les quartiers, investis par des équipes pluridisciplinaires (accueil, médecin généraliste, infirmier, kiné, travailleur social, psycholo - gue…) qui dispensent des soins de première ligne est né dans les années 70. Selon ses défenseurs, la santé physique n'est pas tout. Aussi défendent-ils une approche globale de la santé, en considérant le patient dans ses dimensions physique, psychique et sociale. Promotion de la santé et prévention complètent leurs actions. Ainsi naquît le mouvement des maisons médicales empreint d'une valeur-phare, la justice sociale, pour défendre l'équité, l'autonomie, la citoyenneté, le respect de l'autre, la solidarité. Une solidarité appliquée, par exemple, en instaurant, comme dans 85% des établissements liés à la Fédération des maisons médicales, un paiement au forfait. Un contrat est signé entre le patient, sa mutualité et la maison médicale. Le patient s'engage à s'adresser uniquement à la maison médicale de son quartier pour les soins de médecine générale, de kiné et infirmiers. En échange, il n'a pas à ouvrir son portefeuille pour la consultation et la visite. C'est la mutualité qui verse un montant mensuel à l'établissement de soins, que le patient ait reçu des soins ou non. La mutualisation des forfaits permet ainsi d'organiser des soins pour tous : les personnes malades et celles qui ont besoin de moins de soins. 

Difficile, cela dit, pour certains établissements, vu leurs spécificités géographiques, d'appliquer ce système. En zones rurales, par exemple, le trop petit nombre de patients ne permet pas toujours d'assurer la viabilité de ce type de structure. Des maisons médicales s'y développent mais fonctionnent "à l'acte". Le patient y paie alors le montant de la consultation d'un médecin conventionné et se fait ensuite rembourser par sa mutualité. Ce dispositif rejoint une des préoccupations majeures du secteur : l'accessibilité des soins. Il permet aussi à des médecins, souvent débordés, de joindre leurs forces pour mieux assumer la demande dans ces régions.

"Une deuxième famille"

Martine et Marie-Rose, assises près des tentes dans lesquelles se déroulent les animations auxquelles elles ont pris part, sont membres d'une maison médicale depuis 1986 et 1984. "Il y a des médecins et des kinés, ils nous sauvent !, dit la première. J'ai été opérée récemment, j'ai perdu un rein. On m'a dit d'aller en revalidation mais j'ai dit non ! Ici, j'ai mon médecin, mon infirmière. C'est grâce à eux que je remarche peu à peu." "Il y a aussi de beaux garçons, ajoute Marie- Rose. Comme Georges, mon kiné. La maison médicale, c'est ma deuxième famille. Avec eux, on va à la mer, au théâtre, on suit des cours de cuisine pour parler du diabète…"

À la mer ? Face à notre étonnement, Perrine, médecin généraliste, s'explique : "Nous prenons en compte la santé physique, psychologique et sociale des patients. On va à la côte, au théâtre… avec des personnes qui n'ont jamais quitté leur quartier. On soigne aussi le côté relationnel." "Ce qui m'intéresse, complète Perrine, c'est le travail en équipe. C'est enrichissant d'être en contact avec d'autres disciplines. Et puis je suis contente de travailler avec des personnes précarisées. Le social s'invite dans les consultations…"

Bras de fer

Depuis janvier, un moratoire interdit l'ouverture de nouveaux établissements "au forfait". La Ministre De Block attend les conclusions d'un audit financier du secteur, réalisé par le cabinet d'audit KPMG. Le secteur a peur.

En dix ans, le budget alloué par l'Inami aux maisons médicales au forfait passe de 44 à 149 millions d'euros. Du coup, la Ministre de la Santé entend en évaluer le financement. Et rien que le financement. "On le regrette, déclare Christophe Cocu, secrétaire général de la Fédération des maisons médicales francophones (FMM). Les auditeurs évaluent en termes financiers et non en termes de santé publique, de qualité de soins et d'économies pour les soins de santé." La fédération a pourtant suggéré à l'auditeur de rédiger des questions plus en phase avec la réalité. "Nous n'avons pas toujours été entendus…"

Si les budgets augmentent, c'est simplement parce que les maisons médicales ont du succès. Une douzaine d'implantations ouvrent chaque année en Belgique. Selon Christophe Cocu, il faut juste y voir le transfert d'un budget à un autre. Donc de la médecine à l'acte vers celle au forfait.

Dès lors, l'enjeu est-il politique plutôt qu'économique ? "Dans les instances où nous ne sommes pas représentés, déplore le secrétaire général de la FMM, il se dit que les maisons médicales sont payées trop cher pour ce qu'elles font. Il y a aussi le fait que les établissements qui fonctionnent au forfait sont principalement à Bruxelles et en Wallonie. Enfin, il y a une récente explosion du nombre de maisons médicales en Flandre. Peut-être que ça dérange du côté flamand."

Le même Christophe Cocu craint une "mise à mort" du secteur. N'est-ce pas un peu fort ? "On a une ministre qui met tout un secteur sous cloche, qui ne nous répond pas lorsqu'on l'interpelle et qui refuse le dialogue. On ne peut interpréter ces signes que comme étant une mise en danger du secteur plus largement qu'une économie budgétaire."

Qualité et accessibilité démontrées

Des soins au forfait ou à l'acte, lesquels coûtent le plus cher à la Sécu ? Ex aequo, selon l'Agence inter-mutualiste (AIM). L'organisme livre une étude et des chiffres qui se heurteront à ceux de la Ministre de la Santé.

Comme l'a fait le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) en 2008, l'AIM, grâce aux données à sa disposition, a comparé les coûts et la qualité des soins de première ligne sur base de deux échantillons de 50.000 personnes ayant les mêmes caractéristiques soignées dans le système du financement forfaitaire et dans le système à l'acte.

Question dépenses, ce n'est pas une surprise, il est indéniable que le système au forfait occasionne des frais plus importants pour les soins de première ligne (médecine, kinésithérapie et soins infirmiers). Mais en réalisant des économies - moins d'hospitalisations, de médicaments, de prises en charge institutionnalisées…, son impact sur le budget de l'assurance soins de santé-invalidité équivaut à celui du système à l'acte.

Parmi les données des assureurs, l'AIM s'est également penchée sur l'usage des médicaments pour construire différents indicateurs de qualité des soins dispensés. Dimension largement occultée par l'audit réalisé à la demande du ministère. Résultat : le travail, même s'il n'est pas parfait, est de meilleure qualité dans les maisons médicales.

Exemples : le taux de couverture du vaccin anti-grippe chez les personnes âgées est meilleur, les antibiotiques y sont moins et mieux prescrits, les versions les moins chères des médicaments sont plus souvent prescrites.

L'étude souligne à nouveau la plus grande accessibilité aux soins des patients grâce à l'absence de ticket modérateur en première ligne, un recours raisonné aux soins de deuxième ligne et donc une réduction des suppléments et tickets modérateurs auprès de celle-ci. Enfin, le financement forfaitaire a l'air de représenter une réelle plusvalue en terme de prévention tertiaire (éviter les complications) et quaternaire (éviter la surmédicalisation). Cela sera particulièrement pertinent face aux défis de demain que devra relever notre système de soins de santé tel que le maintien du patient à domicile, surtout pour les soins multidisciplinaires et intégrés à mettre en place pour une population vieillissante où la part des malades chroniques est importante et en augmentation.

Des résultats encourageants, donc, qui poussent les mutualités à plaider pour une meilleure définition des caractéristiques, des statuts et des fondements légaux du système forfaitaire des maisons médicales. Aussi pour une optimisation de leur financement en fonction des besoins des patients et un soutien accru aux établissements développant une vision holistique de la santé…