Soins de santé

AVC : la course contre la montre

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© Ph François BELGAIMAGE
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Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Chaque année, en Belgique, près de 19.000 personnes sont victimes d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Huit fois sur dix, c’est un infarctus cérébral qui est en cause : un caillot se forme dans une artère et celle-ci se bouche, ralentissant ou stoppant net l’afflux de sang dans le cerveau. Dans les autres cas, c’est une artère qui se rompt soudain, ce qui entraîne un afflux anarchique de sang (hémorragie) dans le cerveau. Mais, quelle que soit l’origine du problème, les effets sont les mêmes : toutes les fonctions vitales de l’organisme s’en trouvent brutalement et lourdement menacées. Au point que la personne terrassée peut y laisser la vie : l’AVC est la deuxième cause de mortalité chez les plus de 60 ans. Lorsqu'il ne tue pas, il laisse chez 90% de ses victimes (parfois bien plus jeunes) (1) des séquelles d’ordres très variés, mais une sur trois aura besoin d’une aide extérieure jusqu’à la fin de ses jours : troubles de la parole, hémiplégie (moitié du corps totalement ou partiellement paralysée), déficits de mémoire, difficultés de concentration, fatigue… 

Diabétiques en première ligne

Une affaire de chance ou de malchance ? Pas seulement. Les spécialistes sont unanimes : une grande majorité d’AVC pourraient être évités par une bonne hygiène de vie. Pas de tabac, très peu ou pas d’alcool, une alimentation équilibrée. Au-delà de ces grands classiques, le facteur de risque le plus important est l’hypertension artérielle. Les diabétiques et les personnes souffrant de cholestérol sont également des candidats privilégiés. "Si l’on parvenait à lutter efficacement contre la sédentarité et la malbouffe, on réduirait considérablement les risques d’AVC dans la population, constate, un brin dépité, le docteur André Peeters, responsable de l’Unité neurovasculaire des Cliniques universitaires St- Luc (UCL) à Bruxelles. Et, si les gens rechignent à se surveiller sur le plan médical, qu’ils le fassent au moins pour leurs proches : l’accompagnement d’une personne durement frappée par un AVC peut s’avérer, dans la vie quotidienne, très lourd pour la famille."

Voilà pour la prévention générale. Mais, si l’AVC survient malgré tout, le fatalisme n’est pas de mise. Il est encore possible d’en minimiser les impacts sur l’organisme. Pour cela, un seul mot d’ordre : réagir très rapidement. La reconnaissance des signes précoces de l’AVC par l’entourage est, à cet égard, fondamentale : déviation de la bouche, paralysie partielle du visage, motricité difficile du bras ou de la jambe, vision troublée par des zones d’ombre, propos incohérents, etc. Face à tous ces symptômes, il n’y a pas à hésiter : prévenir le 112 sans perdre une minute. Et, dès l’appel téléphonique, expliquer le plus clairement possible ces signes à l’opérateur, afin qu’il envoie directement une équipe médicalisée capable d’intervenir dès l’embarquement.

Des améliorations notables

Constat encourageant : en Belgique, le nombre de décès suite à un accident vasculaire cérébral diminue lentement depuis une quinzaine d'années. Quant à la probabilité de quitter l’hôpital sans séquelles majeures, elle a augmenté de 30% sur vingt ans. Une bonne partie de l'explication tient à la création de services hospitaliers spécialisés (les "Stroke units") et dans le recours de plus en plus fréquent à la thrombolyse (dissolution du caillot sanguin par l’introduction d’un produit dans l’artère). Plus récente encore, la mise en œuvre d’une technique de pointe – la thrombectomie (extraction du caillot par un fin cathéter) – promet, si les autorités fédérales de la Santé finalisent l'homologation des structures concernées, un nouveau fléchissement des statistiques de mortalité et de morbidité. Depuis juillet 2017, la thrombectomie est en tout cas remboursée par l'Assurance soins de santé.

L’AVC est la deuxième cause de mortalité chez les plus de 60 ans. 90% de ses victimes en gardent des séquelles..

Mais il y a aussi de mauvaises nouvelles. Selon une étude récente de la Stroke Alliance for Europe, le nombre d’AVC va augmenter de 34% dans toute l’Europe d’ici à 2035. Motif essentiel : le vieillissement de la population. Autre zone d’ombre, plus spécifique à la Belgique. Si notre pays n’a pas à rougir de la fréquence ni de la qualité de ses campagnes d’information, il manque cruellement d’un registre des accidents cérébraux. Or un tel registre permettrait de glisser des gouttes d’huile dans chacun des rouages de la prise en charge en urgence des victimes d’AVC. Fin août, une rencontre entre professionnels de la santé organisée par l’ASBL Centre d’éducation du patient (2) a permis d’identifier quelques-unes des faiblesses actuelles.

Des AVC pas toujours détectables

Le fait, par exemple, que les personnes chargées de l’accueil dans les services d’urgence ne sont pas toujours qualifiées au mieux pour évaluer l’extrême urgence que requiert la prise en charge des victimes d’AVC (3). Le fait, aussi, que la coordination de certains services de garde, dans les hôpitaux, pourrait être améliorée pour répondre plus rapidement aux besoins. Le fait, enfin, que le personnel de soins et d’aide à domicile pourrait se voir davantage sensibilisé aux symptômes précis de l’AVC. Certains signes, en effet, moins évidents à interpréter que l’aphasie et l’hémiplégie, peuvent passer inaperçus (particulièrement chez les personnes âgées) et disparaître naturellement après quelques minutes. Or cette issue heureuse peut s’avérer trompeuse. Car qui fait un AVC "léger" (on parle alors d’accident ischémique transitoire, AIT) augmente de 20% son risque de faire un "vrai" AVC dans les cinq ans qui suivent. À bon entendeur…


Ils sont passés par là…

Patrick, 62 ans

Patrick a toujours été sportif amateur, adepte d’une alimentation saine. Un jour, pourtant, il ne parvient plus à s’extraire de son fauteuil. Il n’a pas mal, mais se sent "dans les vapes…". Seul, sans voix ni force pour appeler son fils resté à l’étage, il se fait volontairement tomber au sol dans l’espoir de faire tomber, avec son seul bras valide, une série d’objets pour faire du vacarme et attirer l’attention. En descendant les escaliers, son fils le découvre enfin, gisant. Il appelle aussitôt le 112. Une heure plus tard, son père est admis aux urgences. L’opération débute trente minutes après. Il n’a plus, aujourd’hui, aucune séquelle de son AVC.

Yvette, 56 ans

Yvette a fait un AVC à l’âge de 40 ans. Hospitalisée pendant six mois, elle n’a plus jamais pu vivre comme avant. À son retour à domicile, elle ne pouvait plus parler et marcher simultanément. Trois ans après son accident, elle a tenté de retravailler, mais à mi-temps. Impossible ! Aujourd’hui encore, seize ans après les faits, elle pratique le "tout à gauche" (écrire, se coiffer, s’alimenter, se brosser les dents…), paralysée sur toute la partie droite du corps. Étant donné son jeune âge, tous ses amis sont encore actifs sur le plan professionnel. Son réseau social, petit à petit, s’étiole. Pour combler le vide et l’isolement, elle a rejoint un groupe d’entraide pour hémiplégiques (1).

Mireille, 64 ans

Un soir, Mireille, 47 ans à l’époque, se sent mal chez des amis. Son mari, alerté par sa bouche tordue, saute sur le téléphone. Dix minutes plus tard, une ambulance médicalisée l’embarque et la met sous perfusion. Elle arrive à l’hôpital dans le coma et y reste plongée une semaine. Inopérable, elle rentre chez elle après trois mois de séjour, avec une hémiplégie totale gauche. Sans la vitesse de réaction de son mari, elle aurait probablement des séquelles plus graves. Après quatre ans de rééducation (kiné, ergothérapeute, logopède, neuro-psy…), elle fait la connaissance d’un groupe d’entraide et, petit à petit, s’y implique activement. "Ma vie a complètement changé, mais j’ai pu garder mes acquis. Et j’ai évité la rupture avec la société."