Maintien à domicile

Les soins infirmiers à domicile sous perfusion

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Les infirmières à domicile n'ont pas assez de temps pour soigner les patients comme il le faudrait. Les honoraires sont complètement en décalage par rapport aux prestations et contraintes du métier. (c)FASD
Les infirmières à domicile n'ont pas assez de temps pour soigner les patients comme il le faudrait. Les honoraires sont complètement en décalage par rapport aux prestations et contraintes du métier. (c)FASD
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

 

35 secondes… c’est le temps dont dispose une infirmière à domicile pour administrer un médicament par voie intramusculaire si l'on se réfère au financement prévu pour cet acte dont l'honoraire est de 7,16 euros… "C’est le temps pour réchauffer une tasse de café au micro-ondes, mais sûrement pas pour s’occuper d’un être humain, s’emeut la Fédération des aides et soins à domicile (FASD) qui, en partenariat avec les syndicats et la Fédération des centres de services à domicile (FCSD), lance une vaste campagne de sensibilisation pour un refinancement des soins infirmiers à domicile. Et pourtant, ce temps à la disposition du personnel infirmier rétrécit chaque année. En 2012, l’évaluation pour la même situation permettait un temps de prise en char ge du patient de 60 secondes".

Un sous-financement chronique

Cela fait des années que le secteur dénonce le sous financement structurel qui frappe tant les infirmières salariées que les indépendantes à domicile. En 2013, la Commission de conventions des praticiens de l’art in firmier – qui réunit les représentants des infirmiers et les mutualités – évaluait le sous-financement structurel des soins infirmiers à domicile à 89% du budget accordé. Depuis lors, aucune évolution positive n’est à souligner. Pour 2023, le budget prévu avoisine les 2,095 milliards d'euros. De l'avis du secteur, un financement adéquat nécessiterait 1,864 milliard d'euros supplémentaire !

Ça coince partout

Il faut savoir que les soins infirmiers à domicile sont financés par l'assurance soins de santé obligatoire (la sécurité sociale) et bénéficient d'une enveloppe budgétaire annuelle fermée, tout comme les hôpitaux par exemple. Le système de financement est hybride : la plupart des prestations sont payées à l'acte – avec un plafond journalier peu élevé, fixé à 19,98 euros – mais d'autres sont payées au forfait, en fonction de la dépendance du patient (ou si le patient est en soins palliatifs).
Les honoraires fixés par l'Inami sont en décrochage par rapport à l'évolution du coût de la vie, accuse le secteur. Et l'écart ne fait que se creuser depuis 20 ans. Les indexations, la hausse du prix des carburants, le coût des formations continuées, les contraintes croissantes liées à l’organisation du travail… Rien de cela n'est pris en compte à sa juste valeur. Ces 10 dernières années, le secteur a dû réaliser plus de 77 millions d'euros d’économies. L'existence même des soins infirmiers à domicile est aujourd'hui gravement menacée.

Pour le secteur, un budget supplémentaire est primordial afin de rencontrer les besoins croissants de la population vieillissante et garantir la qualité des soins. "Cela ne pourra se faire sans la mise en oeuvre de mesures pour retrouver des marges budgétaires viables. À ce titre, poursuivre la lutte contre la fraude et la valorisation des budgets non utilisés sont particulièrement importantes (1)".
Le secteur plaide aussi pour moderniser la nomenclature (la liste des prestations remboursées – NDLR). "Aujourd’hui, l’Inami finance des prestations curatives. Mais il ne finance ni le suivi ni la prévention, illustre Edgard Peters, directeur des soins infirmiers de la FASD (2). Dans cette logique, une personne âgée nécessitant des soins lourds devient de moins en moins autonome et, plus elle est dépendante, plus le financement est élevé. Les infirmiers tentent, au con traire, de permettre aux patients d’être les plus indépendants possible".

Il y a urgence

Alors que le nombre de prestations de soins infirmiers réalisées chez les patients est en forte augmentation (de 142 à 155 millions de prestations entre 2012 et 2022), le secteur souffre d'une pénurie de personnel inquiétante. "Le turn-over important dans la profession témoigne des conditions de travail difficiles, souligne Edgard Peeters. À maintes reprises, les soignants ont dénoncé ces difficultés et la crise sanitaire a amplifié le malaise. Parallèlement, le nombre d’infirmiers entrant en formation a sensiblement reculé". Pourquoi ce désamour ? "Surtout à cause de la pression et de la déshumanisation d’un métier où l’empathie et la bienveillance à l’égard des patients sont pourtant au coeur de la vocation des soignants", répond-t-il.
La recherche constante de l’équilibre financier et la hantise de sombrer dans le rouge étouffent les milliers de personnes qui travaillent dans les soins infirmiers. Le secteur espère se faire entendre du gouvernement fédéral pour qu'il insuffle un nouveau modèle basé sur une prise en charge globale des patients et fournisse les moyens nécessaires pour le mener à bien.

 


(1) Ces 10 dernières années, la Commission de conventions de l’Inami pour lutter contre la fraude a sous-utilisé le budget alloué et accumulé plus de 173 millions d'euros !
(2) "Les infirmier-e-s à domicile veulent retrouver le coeur de leur vocation", Fonds Daniel De Coninck (pour renforcer la première ligne), fondsdanieldeconinck.be