Vie sexuelle et affective

Mutilations génitales : un baîllon sur le plaisir          

5 min.
(c)Yasmine Gateau
(c)Yasmine Gateau
Julie Luong

Julie Luong

Ce 6 février est déclaré "journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines" par les Nations Unies, qui rappellent leur objectif d’éliminer ces pratiques dans le monde d’ici 2030.  L'excision fait partie des nombreuses violences sexuelles imposées aux femmes et aux enfants à travers le monde. Objectif  : empêcher le plaisir. "Couper le clitoris d’une fille vise à contrôler le corps et la sexualité de la femme qu’elle deviendra. Dans certaines communautés, l’excision est un rite de passage obligé pour être  considérée comme une adulte, une membre à part entière de sa communauté et une candidate potentielle pour un mariage. L’excision est un signe d’appartenance et un honneur fait à la famille", résume Marianne Nguena, coordinatrice du Réseau bruxellois de lutte contre les mutilations génitales féminines au sein du Gams (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines), une association active en Belgique depuis plus de 25 ans. Contrairement à certaines idées reçues, les mutilations génitales féminines ne sont prescrites par aucun texte religieux : elles sont en revanche une expression plurimillénaire de la culture patriarcale, les premières excisions remontant probablement à 2500 ans avant J.-C.. "Cette pratique trouve son origine dans les inégalités de genre, poursuit Marianne Nguena, Dans certaines régions, le clitoris est perçu comme une sorte de pénis. Une femme non excisée s'expose donc à être la risée de tout le monde, notamment lors de sa nuit de noces. C'est une question de norme. Il faut être comme les autres."  

Traumatismes et pression sociale
L’âge auquel les mutilations génitales féminines sont pratiquées dépend du groupe ethnique et peut aller des premiers jours après la naissance jusqu’à l’âge adulte. L'excision est souvent pratiquée entre 4 et 6 ans, mais il arrive que des bébés soient excisés. L'excision consiste à couper, avec une lame, la partie visible du clitoris. L'infibulation désigne quant à elle le fait couper le clitoris et les petites lèvres puis de coudre les grandes lèvres ensemble pour ne laisser qu'un petit orifice pour le passage des urines et le sang des règles, ce qui crée des douleurs majeures. Entourées de chants et de musique, ces mutilations sont réalisées dans un cadre rituel, généralement sur plusieurs enfants à fois, mais n’ont rien de joyeux pour les victimes. "Il n'y a aucune anesthésie, on tient la petite fille par les jambes et les bras, il y a du sang, c'est extrêmement traumatisant", explique Marianne Nguena. Dans certains pays, la mutilation a été "médicalisée" et est pratiquée par un médecin ou une infirmière, éventuellement en milieu hospitalier, comme c’est le cas en Égypte. Néanmoins, les conséquences à long terme sont nombreuses : règles douloureuses, infections génitales pouvant conduire à une stérilité, douleurs lors des rapports sexuels, troubles urinaires chroniques, complications à l’accouchement, etc. Surtout, les mutilations génitales sont une atteinte majeure à la sexualité au sens large, à la libido entendue comme pulsion de vie. De nombreuses femmes excisées souffrent d'anxiété, de dépression et de stress post-traumatique, avec une difficulté à faire confiance.
Selon la dernière étude réalisée en Belgique sur la question, les cinq nationalités les plus représentées sont la Guinée, la Somalie, l’Égypte, l’Éthiopie et la Côte d’Ivoire. Dans ces pays, plus des trois quarts des femmes sont mutilées. Si le continent africain est particulièrement affecté par ce problème, il n’est pas le seul. Certaines communautés infligent des mutilations génitales au Moyen-Orient,  en Asie, en  Colombie, au Pérou, etc. Selon l'Unicef, 200 millions de femmes excisées vivent actuellement à travers le monde.
L'excision est le plus souvent pratiquée par les femmes sur les femmes, ce qui illustre comment la culture patriarcale engage l'ensemble d’une société au profit du maintien de la norme. "Les exciseuses sont  âgées, influentes dans la communauté où elles sont très respectées. Au Sénégal, où l'excision est interdite, mais pratiquée, on a vu que, suite à  l'arrestation d'une exciseuse, toute la population est allée manifester devant le commissariat jusqu’à ce qu'on la libère!", raconte Marianne Nguena. Quoique sachant dans leur chair les conséquences de l'excision, ce sont les mères qui amènent leurs filles chez l'exciseuse, parfois avec les grands-mères, les tantes, guidées par la peur que leurs filles ne soient rejetées et persécutées au sein de la communauté si elles ne les soumettent pas à cette norme "L'homme n'a pas nécessairement de place dans la pratique même. Nous avons même des témoignages de femmes dont le père était opposé à l'excision, mais leur mère les a tout de même fait exciser, à l'occasion d'une absence du père. La pression sociale est telle qu'elles peuvent aller à l'encontre de l'opinion du mari."  

Une réappropriation          
Depuis la loi du 28 novembre 2000, les mutilations génitales féminines sont explicitement illégales en Belgique. Le fait d'être excisée ou parent d'une fille à risque d'excision est reconnu comme un motif de protection internationale. "Au Gams, nous accompagnons beaucoup de femmes qui ont obtenu le statut de réfugiée pour cette raison. Cela les engage donc aussi à garder leur(s) fille(s) intacte(s)". Raison pour laquelle elles doivent d’ailleurs produire un certificat de non-excision avant et après un éventuel séjour au pays . "Les femmes subissent une énorme pression du groupe. Le dialogue intergénérationnel est difficile : souvent, les aînées ne comprennent pas le refus des plus jeunes. Mais  dire que l’on vit dans un pays où c'est interdit, avec toutes les  conséquences juridiques que cela implique a un effet dissuasif."
C'est d'ailleurs souvent à l'occasion de leur parcours migratoire que les femmes excisées constatent que l'excision n'est pas une fatalité. Ce qui ne signifie pas qu'il soit aisé de se dégager des nouvelles normes qui émergent alors. "Dans le pays d'où elles viennent, elles ont toujours entendu qu'une femme non excisée n'est pas une femme. Quand elles arrivent ici, les choses s'inversent : ce sont les femmes excisées qui ne sont pas de vraies femmes", commente Cendrine Vanderhoeven, sexologue au Centre Médical d'Aide aux Victimes de l'Excision (CeMAViE) du CHU Saint-Pierre (1). "Dans les salons de coiffure, par exemple, elles entendent les autres Africaines parler de sexe de manière positive et enthousiaste et cela les blesse." Pourtant, Cendrine Vanderhoeven l'assure : lorsqu'elles décident de se faire accompagner, la plupart des femmes excisées parviennent à une forme de bien-être sexuel, voire au plaisir. "Cela passe par une meilleure connaissance de son corps. D'abord, je leur montre un clitoris en trois dimensions. Généralement, les femmes excisées n'ont plus l'extrémité de l’organe, mais ce n'est pas pour ça qu'elles n'ont plus de clitoris. Bien sûr, la partie excisée est la plus sensible, avec plus de 8000 terminaisons nerveuses : c'est bien pour ça qu'on l'enlève. Mais pour certaines, il reste possible d'avoir des orgasmes." Cendrine Vanderhoeven insiste plus globalement sur l'importance du toucher, la perception de son corps et l'estime de soi. "Mettre de la crème en étant attentive à ses sensations, en variant les pressions, permet déjà de se réapproprier son corps. Il faut aussi aller au-delà des a priori. J'accompagne des femmes non excisées qui ont des difficultés tout aussi importantes, car dans nos cultures occidentales, l'excision mentale est bien présente. La différence, c'est que les femmes excisées le savent. Quand elles franchissent la porte de CeMAViE, elles sont très motivées! Pour moi, ce sont des modèles de féminisme." D’ailleurs, d’après une  récente étude du Gams (1), ce type de prise en charge permet à ces filles et femmes d’accéder aux services de santé sexuelles et reproductive, notamment à la contraception. Dépasser les conséquences néfastes de l'excision marque alors souvent le début d'une autonomie plus large, d'une vitalité retrouvée.

À qui s'adresser ?

Si vous avez des craintes pour une petite fille de votre entourage, n'hésitez pas à chercher de l'aide.

- Numéro gratuit : 103 (Écoute Enfants)

- Le Délégué aux Droits de l’Enfant : 02/223.36.99

- Service de l’aide à la jeunesse : 02/413.39.18 ● aidealajeunesse.cfwb.be

- Pour toute information concernant les mutilations génitales féminines (MGF), contactez les associations suivantes :

• Gams Belgique : 02/219.43.40 ● gams.be

• Intact : 0499/83.29.42 ● intact-association.org

• Les centres de planning familial : loveattitude.be (le centre de planning familial des FPS de Liège porte par ailleurs un projet spécifique sur le MGF: 04/223.13.73 - planningsfps.be)