Vie sexuelle et affective

Cancer et intimité : oser en parler

6 min.
© Yasmine Gateau
© Yasmine Gateau
Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Ce n'est pas nécessairement la première des préoccupations lors qu'on est frappé par un cancer. Pourtant, la question se pose tôt ou tard, car les répercussions de cette maladie sur la sexualité sont nombreuses, en particulier lorsqu'elle touche l'appareil uro-génital (ovaires, prostate, vessie, seins...). La première difficulté, qui concerne 99% des personnes, ce sont les troubles de la libido. Notamment à cause des traitements, mais aussi parce qu'on n'a plus spécialement la tête à ça quand on est malade, explique Christine Debois, psychologue et onco-sexologue au CHU deLiège.

Au manque de désir peuvent s'ajouter des troubles physiologiques : perte d'érection, sécheresse vaginale, incontinence urinaire, troubles de l'éjaculation et de l'orgasme, séquelles d'une amputation en cas de chirurgie lourde... Des douleurs peuvent aussi rendre certaines positions inconfortables, voire impossibles. Au-delà de ces symptômes généraux, chaque cas est unique, souligne la sexologue. Le cheminement des uns et des autres va être différent, en fonction des traitements, de la durée de la maladie, et aussi de l'importance que revêt la sexualité pour la personne ou le couple avant l'arrivée de la maladie, et à ce moment de leur vie.

Au-delà de la sexualité

L’accompagnement de l’onco-sexologue permet d’aller à l'encontre de l'idée reçue selon laquelle il n'y a pas de sexualité accomplie s'il n'y a pas de rapport avec pénétration. C'est pour cela qu'on parlera d'intimité plutôt que de sexualité, car l'intimité c'est plus global, cela amène les notions de tendresse ou de toucher. C'est aussi cela qu'on va travailler avec le patient : redécouvrir les préliminaires, les massages mutuels..., précise Aude Gilquin, coordinatrice de soins en oncologie aux Cliniques Saint-Luc à Bruxelles et sexologue. Christine Debois renchérit : Les jeunes couples, notamment, associent fortement la sexualité à l'acte pénétrant. Il faut apprendre à diversifier l'échange physique, à travailler ‘l'ici etmaintenant sexuel’. Faire l'amour, c'est une autre manière de dialoguer, à travers le corps, c'est rester attentif à tout ce qu'on peut ressentir, pour être juste dans ce qu'on propose à l'autre et l'accueillir dans sa singularité, sans jugement.

Bien qu'en matière de sexualité, il faille se garder de toute forme de généralisation, la capacité sexuelle ne représente pas toujours la même chose pour les hommes et les femmes, poursuit la sexologue. Pour l'homme, l'érection fait en quel que sorte partie de son intégrité psychique, de son identité masculine : si un homme perd la possibilité d'avoir une érection, c'est comme s'il était amputé d'une partie de lui-même. Cela va altérer sa qualité de vie, voire le rendre dépressif. On voit des hommes qui deviennent irritables, s'isolent, ne communiquent plus avec leur partenaire. Or très souvent, les femmes rapportent qu'elles ne souffrent pas tant du fait que leur partenaire n'ait plus d'érection que de voir leur homme changer, se renfermer.” La souffrance se situe alors sur le plan relationnel, plus que sexuel.

Pour Aude Gilquin, le rôle de l'onco-sexologue est d’aider le couple à communiquer pour éviter des malentendus ou des maladresses. “L'homme se sent parfois encore plus dévalorisé quand la femme lui dit que ce n'est pas grave s'il rencontre des troubles érectiles.” Christine Debois explique : “Les hommes pensent souvent que l'érection est très importante pour une femme : ils projettent leur problématique sur leur partenaire. Ils pensent que parce que c'est important pour eux, ça l'est aussi pour elle. C'est intéressant que ce soit verbalisé au sein du couple et que les hommes soient rassurés. Et cela va dans les deux sens. Les femmes ont également besoin de s'entendre dire ‘C’est toi que j'aime et pas juste toncorps’.

Où et comment aborder la question de la séduction après un cancer alors que l’image de soi est parfois tellement altérée ? Les sexo-oncologues sont là pour accompagner les couples, mais aussi les célibataires pour qui la peur de ne plus séduire se cumule à la solitude face aux séquelles d’une situation cancéreuse.

Verbaliser les peurs et les croyances

La parole guérit et le silence tue”. Pour Christine Debois, cette citation de Serge Vidal (1) résume très bien l'importance du dialogue. “Dans un couple, quand l'autre a un cancer, on se retrouve transformé en partenaire de soins. Vais-je oser aller vers ma femme alors qu'on lui enlève un sein ou son utérus ? Alors que les traitements la rendent fragile ? Si mon mari devient impuissant, comment puis-je aller vers lui ? Très souvent, on va essayer d'épargner l'autre, ce qui empêche toute une série d'émotions de s'exprimer”. L’accompagnement par un professionnel peut aider à rétablir la communication qui s’est parfois perdue. “Il est primordial de pouvoir dire sa colère et sa tristesse et d'être entendu par l'autre. Si ces émotions restent bloquées, elles s'exprimeront de façon non-verbale, notamment à travers une prise de distance.”

“Une des premières choses qui entrave le désir, c'est la peur, poursuit-elle. La peur de mourir, d'être mutilé, de ne plus être comme avant, de perdre l'amour de l'autre...” Ces peurs méritent d'être exprimées pour pouvoir être dépassées. “L'élan sexuel peut aussi être bloqué par ce qu'on appelle la répression imaginaire, tout ce que l'on va s'empêcher de faire : parce que j'anticipe la réaction de l'autre, j'imagine tout un scénario dans ma tête, mais comme je ne lui en parle pas, je ne vérifie pas si mon scénario est juste.

Il s'agit enfin de déconstruire les fausses croyances autour de la sexualité, de la maladie et des traitements. “Non, la radiothérapie ne rend pas radioactif ; le cancer n'est pas une maladie contagieuse et l'abstinence sexuelle n'est pas le prix à payer pour guérir du cancer”, rappelle la sexologue.

Un temps pour se réaccorder

Sur le long terme, la difficulté à renouer une intimité peut se transformer en souffrance, constate Christine Debois. “Ce qui persiste généralement le plus après un cancer, ce sont la douleur et la fatigue, ainsi que les modifications de l'image du corps et des sensations, et une modification de la réponse sexuelle, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.”

Un décalage peut aussi apparaître entre les partenaires. “La personne atteinte d'un cancer fait un cheminement intérieur, que l’autre ne fera pas nécessairement. Une distance se crée, non seulement sur le plan physique, mais aussi sur les plans émotionnel et communicationnel, parce qu’on n’est plus tout à fait accordés de la même manière”, observe Christine Debois. 

La maladie peut également avoir des répercussions sur la communication du couple en général, ajoute Aude Gilquin. Là, il n'est plus spécifiquement question de la sphère intime et sexuelle, mais réellement de la solidité du couple par rapport à la difficulté vécue, d’abord à l'annonce du diagnostic, puis au fil des traitements. Certains couples vont y résister plus facilement que d'autres.”

L'épreuve du cancer amènera souvent à trouver de nouvelles manières de vivre l'intimité.Le but de l'accompagnement en onco-sexologie est de tenter de conserver l'intimité pour ne pas devoir la retricoter par après. Bien sûr, elle va devoir se moduler. Par contre, si une trop grande distance s'est installée, il faut refaire un chemin l'un vers l'autre, et ce n'est pas si facile, prévient Christine Debois. Ce que je propose, c'est de multiplier les temps positifs en couple, d'essayer de réaménager le plus possible des temps de partage, de complicité, de rire. Par exemple, si on va se balader dans les bois, main dans la main, on décidera de ne parler ni du cancer, ni des enfants, pour profiter pleinement de ce moment où l'on est ensemble. Ces moments où l’on fait le plein de positif à deux permettront d’appréhender avec plus d’optimisme les creux inévitables et inhérents à la maladie et ses traitements.


(1) Sexologue et auteur notamment de Couple rêvé, couple réel, Éd. Carolle & Serge Vidal-Graf, 2016. Le livre est téléchargeable gratuitement sur ressources.be

Une prise en charge en développement

"L'incidence du cancer augmente mais les progrès médicaux ont permis de réduire globalement sa mortalité. Le cancer évolue ainsi vers un statut de maladie chronique : on peut en guérir, mais on va devoir vivre avec les séquelles. D'autre part, les traitements pour les dysfonctions sexuelles se sont améliorés", remarque Christine Debois, psychologue et onco-sexologue au CHU de Liège. C'est dans ce contexte que l'onco-sexologie s'est développée au cours des 25 dernières années. Une mise en place dont la lenteur peut s'expliquer par le caractère interdisciplinaire de ce type d'approche. "C'est un étroit mélange entre la sexologie et l'oncologie. Cela signifie qu'il faut disposer d'une solide formation psychologique, oncologique et sexologique, pouvoir prendre en charge aussi bien les hommes que les femmes et savoir accompagner un couple. Cela exige un certain bagage." De plus, on touche à deux tabous – le cancer et la sexualité –, ce qui entraîne des résistances.

Christine Debois a commencé à sensibiliser et initier les soignants du service d'urologie du CHU de Liège après s'être elle-même formée en France. Le but est de libérer la parole sur le sujet et d’acquérir un minimum de compétences pour être en mesure de répondre aux problématiques sexuelles simples et orienter les situations plus complexes vers les sexologues. Ce projet a reçu le soutien financier de la Fondation contre le cancer. "C'est une belle avancée pour les patients, nous ne pouvons que nous en réjouir " conclut-elle.

Pour en savoir plus ...

• La Fondation contre le cancer a édité une brochure "Cancer et intimité". Elle est disponible sur cancer.be/publication ou au numéro gratuit 0800 15 801.

 

• Les Cliniques Saint-Luc viennent de faire paraître une brochure "Sexualité et cancer du sein : osons en parler" : institutroialbertdeux.be (cancer du sein- rubrique sexualité).