Soins de santé

Quelles maisons de repos pour demain ?            

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Julie Luong

Julie Luong

Les personnes âgées représentent une part croissante de notre société : si les plus de 65 ans représentaient 9 % de la population en 1960 dans les pays de l’OCDE, ce pourcentage s’élève aujourd’hui à 17% et devrait atteindre 25 % en 2050. Dans trente ans, une personne sur dix aura plus de 80 ans ! Cet allongement de l’espérance de vie est aussi lié à l’augmentation de certaines maladies chroniques et parfois à des situations de dépendance nécessitant des soins ou services spécifiques. Si des structures alternatives comme les logements adaptés, les habitats groupés et intergénérationnels ou les villages Alzheimer commencent à se développer, le secteur institutionnel de soins de longue durée " classique" est frappé d’une image toujours plus négative. "Les futures générations ne veulent pas d’un modèle qui laisse peu de place à la liberté́ individuelle", souligne Stéphane Adam, professeur de psychologie du vieillissement à l’ULiège, dans son récent essai Maison de repos, maison de vie ?. Il y appelle à un changement de culture pour que, face à la médicalisation croissante, les maisons de repos s’affirment avant tout comme des lieux de vie, plus proches du "comme à la maison" que du "comme à l’hôpital".

En Marche : Dans cet ouvrage, vous pointez le déséquilibre d’une approche qui, au sein des maisons de repos, privilégie la santé physique (soins/hygiène/sécurité) au détriment de la santé mentale (bien-être/qualité de vie/auto-détermination).

Stéphane Adam : Quels que soient notre culture, notre éducation, notre niveau socio-économique, nous cherchons à avoir le contrôle sur nos vies. L’auto-détermination est un critère pertinent pour une bonne qualité de vie, mais aussi une vie longue et en bonne santé. Or le regard institutionnel et sociétal porté sur le vieillissement a souvent amené à diminuer cette auto-détermination chez les aînés. Les études montrent que le sentiment de contrôle qu’on peut avoir sur sa vie diminue avec l’âge. La recherche du  soin à tout prix amène à une démarche très hygiéniste et  sécuritaire. On a pu l'observer pendant la crise sanitaire : pour des raisons d’hygiène et de sécurité, on a réduit nos libertés et diminué le contrôle que nous avions sur nos vies, avec pour conséquence une augmentation drastique des problèmes de santé mentale. Ce qu’on a vécu pendant la première vague du Covid à titre privé, c’est ce que connaît une personne âgée en institution.

E.M.  : Or la santé mentale a elle-même un effet sur la mortalité...
S.A. : Dans les institutions, quand on enlève aux personnes âgées du contrôle sur leur vie, soit elles s’éteignent et se laissent mourir, soit elles essaient de s’extraire et de reprendre le contrôle.  C’est comme avec le vote : si on pense que ça ne sert à rien, que c’est "tous les mêmes", soit on ne va plus voter, on ne donne plus son avis et on "s’éteint", soit on enfile des gilets jaunes et on se rebelle..

E.M. Au Danemark, il est interdit de construire de nouvelles maisons de repos, avec pour conséquence le développement de logements adaptés et de plus petites structures composées d’appartements. Pourrions-nous envisager un tel scénario en Belgique ?
S.A. :  Plutôt que d’avoir un gros bâtiment de 150 personnes, au Danemark, on a en effet plusieurs bâtiments de 15 personnes proches les uns des autres et qui permettent quand même d’organiser des soins, des services d’accompagnement, des repas etc. mais avec une atmosphère plus proche du "comme à la maison" que du "comme à l’hôpital". Si on me demande mon idéal, ce serait en effet de raser les maisons de repos... Mais cet idéal est impossible à réaliser. L’enjeu est plutôt de faire évoluer le système grâce à un certain nombre de réformes sériées dans le temps. Ce qui m’inquiète, c’est qu’en Belgique, on permet toujours la construction de nouveaux bâtiments sur un modèle “ hôpital “. Dans le secteur du handicap, si on construit une nouvelle institution, les autorités et entre autres l’AVIQ vérifient désormais les plans et veillent au respect d’un cahier des charges. Si on ne le fait pas pour les maisons de repos, on continuera d’avoir des modèles architecturaux avec de longs couloirs...

E.M. Vous plaidez aussi pour un changement de culture au niveau de l’encadrement qui reste très médicalisé, avec peu d’éducateurs, d’animateurs, d’assistants sociaux.
S.A. : On sait que pour les résidents qui ont un niveau de dépendance modérée, 14% de la journée est dédié à recevoir un acte technique de soin alors que dans les normes d’encadrement, le soin correspond presque à 100 % du personnel. Il y a donc plus de soignants que nécessaire. Alors oui, le secteur est en souffrance car on manque d’infirmières et d’aides-soignantes, mais si on ramenait cette catégorie de personnel à la hauteur des besoins dans les maisons de repos, cela permettrait de les mobiliser là où cela est vraiment nécessaire.

Les maisons de repos en chiffres
La Belgique compte environ 1.500 structures agréées. Les maisons de repos pour personnes âgées (MRPA) et/ou maisons de repos et de soins (MRS) sont publiques (CPAS, Intercommunales), associatives (asbl, mutuelles, fondations) ou commerciales (opérateurs privés). Elles emploient plus de 78.000 équivalents temps plein et hébergent environ 148.000 personnes âgées (8,5 % des personnes de plus de 65 ans). Un rapport récent indique que dans le scénario optimiste (grâce au développement de services à domicile notamment), le besoin en lits supplémentaires en Wallonie serait de 2.594 d’ici 2025, de 4.519 en 2030, et de 11.502 en 2040 ! Ces chiffres seraient trois fois supérieurs dans le scénario pessimiste…

Des pistes pour améliorer le quotidien en maisons de repos

1) Laisser le choix
Autonomie, appartenance sociale et compétence : ces trois besoins fondamentaux définissent notre sentiment d’auto-détermination, c’est-à-dire notre sentiment de pouvoir agir sur nos vies. Une étude réalisée dans une maison de repos illustre bien l’impact de l’auto-détermination sur la santé des résidents. Dans cette étude, le directeur a organisé une réunion avec les résidents pour aborder la philosophie de la maison (aménagement des espaces, organisation de soirées cinéma, etc.). Avec les résidents du premier étage, son discours mettait en avant la liberté de choix (par exemple, le choix de prendre une plante, le choix de la plante) et la responsabilité personnelle (celle de s’occuper de sa plante). Au deuxième étage, son discours prônait l’absence de choix et la responsabilité des professionnels à l’égard des résidents (la plante est imposée aux résidents, le personnel s’occupe de son entretien). Trois semaines après la communication du directeur, les résidents du premier étage se sentaient plus heureux et étaient plus actifs. Une réévaluation de la situation après 18 mois a montré que seuls 15 % des résidents du premier étage étaient décédés. Au deuxième étage, ce chiffre atteignait le double.

2) Tomber la blouse blanche
La blouse blanche est un code qui s’est imposé dans les maisons de repos qui ne sont pourtant pas des hôpitaux... Or, dès qu’une personne entre en contact avec un interlocuteur vêtu d’une blouse blanche, sa pression artérielle augmente. C’est le fameux "effet blouse blanche" ! Mais on sait moins que le port de l’uniforme impacte aussi les performances cognitives des personnes âgées : une étude a montré qu’elles réussissent moins bien les évaluations de mémoire quand elles passent un test avec un interlocuteur en blouse blanche, contrairement à celles qui passent le test avec un interlocuteur habillé en civil. Le comportement des professionnels est aussi influencé par cette blouse blanche : la porter induit des attitudes qui tendent vers l’aide et les soins et une position plus autoritaire.

3) Soigner l’environnement
Le sentiment d’être "comme à la maison" est intimement lié à l’environnement. Au-delà de l’architecture, les aménagements intérieurs, le choix des objets, le rangement ont un impact majeur. La visibilité permanente du matériel évoquant le soin et la dépendance (chariots médicaux, boîtes de gants en plastique et autres lève-personnes) dans les maisons de repos est questionnée par Stéphane Adam. Pourquoi, par exemple, ne pas utiliser un rideau pour dérober le lève-personne à la vue des résidents et des visiteurs ? "Au supermarché, la manière dont on éclaire les légumes a une influence sur les achats.  Et l’usage des caddies en plastique a changé la vie des professionnels, en donnant une atmosphère plus calme dans les rayons tout en poussant les clients à rester plus longtemps et à acheter. Ces codes de la communication non verbale sont très largement intégrés dans le domaine commercial. Nous devrions nous les approprier à des fins altruistes et pour le bien des personnes."