Soins de santé

Des hôpitaux passent au vert

5 min.
(c)AdobeStock
(c)AdobeStock
Soraya Soussi

Soraya Soussi

Si le secteur de la santé était un pays, il serait le 5e plus gros émetteur de CO2 au monde ! C'est ce que déclare dans un rapport (2) Health Care Without Harm (HCWH), un réseau international constitué de milliers d'hôpitaux, structures de soins et acteurs du monde de la santé. Cette plateforme œuvre en faveur de pratiques médicales innovantes et respectueuses de l'environnement afin de réduire l'empreinte carbone du secteur tout en assurant la qualité des soins et la sécurité des patients. Les hôpitaux ont de facto des services qui fonctionnent 24h/24, 7j/j durant toute l'année. Un rythme qui génère des tonnes de déchets et d'émissions de CO2. En Belgique, des membres du personnel hospitalier se sont retroussé les manches pour proposer à leur direction des projets éco-responsables et bousculer les habitudes. Qu'il s'agisse d’améliorer la gestion des déchets médicaux (PVC) ou déchets "généraux", de limiter le gaspillage alimentaire, de supprimer la vaisselle à usage unique, d'économiser l'eau et l'énergie, de revoir la mobilité (transports du personnel soignant, des patients, etc.) ou favoriser la biodiversité... Les hôpitaux tentent, eux aussi, de contribuer à la lutte.

Décarboner les soins de santé

Parsemées aux quatre coins du CHU Saint-Pierre à Bruxelles, des petites pancartes annoncent la couleur, verte en l’occurrence : "Projet de végétalisation des façades en cour sici." Grâce à une aide financière de la Fondation Roi Baudouin, les bâtiments bétonnés de l’hôpital bruxellois seront bientôt habillés de lierre, de chèvrefeuille des jardins et des bois, et autres plantes qui font le bonheur des insectes pollinisateurs. "Nous travaillons avec les jardiniers de la ville de Bruxelles pour favoriser la biodiversité et rendre plus agréable le lieu pour le personnel et pour les patients", précise Nawalle Neqrat, cheffe de projets du CHU Saint-Pierre.

La végétalisation des façades s'inscrit dans un projet plus large. Depuis 2020, le centre de soins bruxellois souhaite réduire drastiquement son empreinte carbone. Parmi les 80 personnes qui ont répondu à l'appel du projet au sein de la structure, des employés des ressources humaines, de la logistique, du nettoyage, des médecins, des infirmières, etc. ont constitué un groupe de travail pour définir des axes d'action. L'hôpital s'est déjà attelé aux fournitures de bureau et à la papeterie, à la prévention et gestion des déchets, à la biodiversité, au gaspillage alimentaire et à l'économie d'énergie. "On a limité au maximum le plastique, on a supprimé la vaisselle à usage unique. On ne distribue plus de gobelets, tout le monde doit être muni d'une gourde, etc.", énumère Nawalle Neqrat. Par ailleurs, sept services font office de lieux test pour des projets pilotes de recyclage des déchets médicaux en PVC : le pôle maternité, la clinique de la douleur, l'unité pédiatrique, la salle de réveil, la dentisterie et la stomatologie. L'objectif est à terme de généraliser les pratiques dans l'ensemble des services.

La Clinique Saint-Pierre à Ottignies s'est également mise au vert, il y a trois ans, via son projet "Hôpital en transition" (HET). Des ruches ont été installées sur le site de l'hôpital afin de sensibiliser le personnel à l'importance de sauvegarder la biodiversité. Des conférences sur la santé et le climat sont organisées sur le tempsde midi. Divers projets et actions de sensibilisation aux déchets (classiques et médicaux), sont développés ou en cours d'élaboration. Grande fierté de la clinique et exclusivité belge :la station d'épuration biologique des eaux usagées de l'hôpital, particulièrement polluées par les antibiotiques et les anti-inflammatoires. "90 % des eaux usagées de l'hôpital sont nettoyées grâce à cette station. Les eaux sont ensuite envoyées vers une station d'épuration classique", précise Jade Deltour, cheffe de projets et attachée à la direction à la Clinique Saint-Pierre. Des efforts en cuisine sont également menés au sein de la clinique. "Nous visons à supprimer au maximum le plastique, à favoriser plus d'aliments locaux et de saison, et à développer des projets de méthanisation (processus biologique de dégradation des matières organiques) des aliments agroalimentaires."

Face aux réalités de terrain

On estime que 70 % des émissions du secteur de la santé proviennent de la chaîne d'approvisionnement, qui comprend le transport et la livraison des matières premières des produits et équipements médicaux, leur fabrication, leur utilisation, leur traitement en fin de vie. À titre d’exemple, tubulures par intraveineuse, lunettes, appareils respiratoires, aérosol, perfusion,etc. font partie de ces équipements indispensables dans les hôpitaux. Le CHU Saint-Pierre à Bruxelles a développé un partenariat avec l'association européenne Vinyl Plus Med, fondée par le Conseil européen et chargée de proposer des solutions de recyclage des déchets médicaux en PVC à usage unique. "Nous travaillons à une conscientisation du personnel pour le tri de ces déchets médicaux (sauf dans les unités infectieuses où les déchets sont jetés dans des contenants spécifiques) mais nous savons aussi que ce n'est pas toujours évident sur le terrain", nuance Vincent Beroudia, responsable hôtellerie, nettoyage, logistique du CHU Saint-Pierre. Si le tri des déchets "généraux" est davantage respecté, car "ce sont des gestes que le personnel a l'habitude d'exécuter chez lui", le tri des déchets médicaux prend plus de temps à être intégré, sans parler des contraintes de temps du personnel. Aussi, tout ne repose pas sur les épaules des travailleurs et travailleuses de la santé. "Nous sommes dépendants des fournisseurs. Il faudrait qu'ils proposent davantage de matériaux plus durables et recyclables."

On estime que 70 % des émissions du secteur de la santé proviennent de la chaîne d'approvisionnement.

"Si on encourage le personnel a préférer la mobilité douce, le transport de patients via des véhicules non polluants est plus difficile à appliquer", ajoute Jade Deltour. La cheffe de projet à Ottignies souligne également l'importance d’inclure davantage de critères relatifs au développement durable dans les marchés publics et la nécessité de soutenir la durabilité du secteur via des mesures politiques. "D'autantplus quand on sait à quel point la santé des personnes dépend de leur environnement. Nous avons tout à gagner à promouvoir un secteur des soins de santé plus durable", martèle-t-elle.

Solidarité entre les hôpitaux

À Bruxelles, six hôpitaux (Chirec, CHU Brugmann, CHU Saint-Pierre, Cliniques de l'Europe, Cliniques universitaires Saint-Luc, Hôpital universitaire de l'ULB) font partie du projet Greening the Brussels Health Care Sector ("Rendre plus vert le secteur de la santé à Bruxelles") supervisé par l'ONG Health Care Wihout Harm, afin d'évaluer plus précisément les impacts environnementaux de leurs activités dans un domaine où les analyses et les études restent encore rares, et élaborer des plans d'actions en matière de durabilité.

Si les initiatives viennent pour la plupart du bas à travers des employés engagés, certaines directions d'hôpitaux (Bruxelles, Liège, Namur, Ottignies, Charleroi) sont favorables au développement de ce type de projets. Les mentalités évoluent en matière de développement durable dans la société et le secteur hospitalier prend la mesure de son rôle dans la lutte pour un meilleur environnement. La mobilisation collective prend de l'ampleur. "Nous allons collaborer avec le CHU UCL Namur de Godinne en vue de mettre en place un référentiel des bonnes pratiques en matière d'environnement. Même s’il reste beaucoup à faire, il y a une véritable solidarité et conscientisation du secteur hospitalier qui s'opère", se réjouit Jade Deltour.


(1) "L'hôpital en transition", S.Freres, Imagine de-main le monde, décembre 2022

Quelques chiffres encourageants

L’ONG Health Care Without Harm présente quelques chiffres en matière d’engagements durables d’hôpitaux et centres de soins en Europe et dans le monde, dont la Belgique fait partie.

> 4.313 hôpitaux et centres de soins sont engagés à réduire leurs émissions de CO2.

> 697.702 employés travaillent sur la thématique de pratiques de soins de santé durables.

> 3.202 mesures d’engagement pour atteindre le "zéro carbone" d’ici 2050 au plus tard.

> 40,3 millions de patients protégés des impacts du réchauffement climatique.

> 21 institutions dans 12 pays s’engagent à utiliser 100 % d’électricité renouvelable.

Source : noharm-europe.org