Soins de santé

Dents saines, un parcours du combattant 

5 min.
© Julien Marteleur
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Julien Marteleur

Julien Marteleur

"Combien de temps doit-on se brosser les dents?" Depuis qu'elle se rend sur le terrain, Brigitte Mathieu, chargée de projets et animatrice pour Promusport et Infor Santé, le service de promotion de la santé de la MC, a rencontré plus de 4.000 enfants et posé cette question un nombre incalculable de fois. Avec ses collègues, elle sillonne les routes du Hainaut oriental pour aller à la rencontre d'une population qui, pour diverses raisons, est plus vulnérable aux problèmes bucco-dentaires.

Ce jour-là, à l'ONE de Binche, Brigitte a mis sur pied un parcours ludique et varié pour les 26 enfants présents, âgés de 3 à 13 ans : une animation "brossage des dents", un atelier qui permet de fabriquer sa propre brochette de fruits (une alternative aux bonbons !), un stand "décoration de gobelets", où l'enfant reçoit les accessoires nécessaires pour prendre soin de ses dents… et un château gonflable ! Les petits peuvent s'y défouler en sautant pour détartrer de gigantesques dents en plastique. Les plus jeunes s'amusent pendant que les parents discutent avec Brigitte et les bénévoles des services de PSE (Promotion de la santé à l'école). C'est l'un des buts avoués de ce type d'activité pédagogique : écouter également les parents, afin d'identifier les dynamiques familiales, et les conscientiser au fait qu'ils sont acteurs à part entière de la santé de leur progéniture.

Inégaux face à la santé

Dentiste à Binche, Corinne Michel fait partie des praticiens qui consacrent bénévolement un peu de temps pour des visites de contrôle gratuites lors des consultations ONE. L'état des dents de ses petits patients est souvent alarmant. "Je vois beaucoup d'enfants poly-cariés, généralement dès l'âge de 4-5 ans. Souvent, c'est un excès de sucre qui est en cause. Les parents font attention à l'alimentation de leur enfant jusqu'à ses 3-4 ans, puis ça s'arrête. C'est à ce moment-là que les choses se dégradent."

Depuis 2010 et afin de lever les obstacles financiers, tous les soins dentaires (à l'exclusion de l'orthodontie) sont gratuits chez les dentistes con­ventionnés, jusqu'à 18 ans (1). Malgré cela, l'écart entre les milieux socio-économiques continue à se creuser, selon les acteurs de terrain. Un rapport de l'Observatoire de la santé du Hainaut paru en 2015 (2) pointait déjà du doigt les ravages des inégalités sociales dans le domaine de la santé bucco-dentaire : les enfants issus de milieux défavorisés sont 33% plus nombreux à présenter une atteinte carieuse et un brossage des dents peu satisfaisant. Ils sont moins nombreux se rendre chez le dentiste au moins une fois par an, et leurs problèmes buc­co-dentaires demandent plus souvent des soins immédiats.

Le sucre, ennemi numéro un

Le sucre nourrit les nombreuses bactéries qui cohabitent dans la bouche, lesquelles produisent des acides qui peuvent endommager les tissus minéralisés de la dent, et à la longue, provoquer des caries. Autre danger: le sucre contribue à diminuer le pH de la salive, ce qui amplifie l'acidité buccale et donc le risque de problè­mes bucco-dentaires Pour un enfant, les garants d'une alimentation saine, ce sont d'abord ses parents. Face à eux, Brigitte Mathieu se casse parfois les dents : "C'est délicat d'expliquer aux parents qu'ils sont aussi responsables de la mauvaise hygiène dentaire de leur enfant". Des propos confirmés par Corinne Michel : "Si les parents mangent mal ou négligent leur propre santé bucco-dentaire, l'enfant prendra exemple sur eux."

Ici aussi, les inégalités socio-économiques sont en jeu. "Parfois, dans les milieux défavorisés, le souci quotidien est d’avoir de quoi nourrir les enfants, observe la sociologue Faustine Régnier (3). Les repas sont préparés en fonction de leurs préférences. C'est une façon d’atténuer les difficultés et, parfois, de limiter les risques de gâchis." La "malbouffe" impacte directement la santé, notamment des enfants, chez qui l’obésité se développe de façon inquiétante. Avec en corollaire, le spectre de la carie.

Un défi de taille

Les problèmes bucco-dentaires chez l'enfant sont souvent plurifactoriels : absence de brossage ou technique mal adaptée, mauvaise alimentation, désertion des cabinets de dentisterie… le travail des équipes de terrain est de distinguer les groupes à risque et d'appliquer une politique de prévention spécifique. Mais les moy­ens humains sont limités, malgré la bonne volonté des acteurs de la santé et de l'éducation. Dans le Hainaut comme ailleurs. En Région bruxelloise, l’é­quipe d'Infor Santé est débordée. En 2019, 83 animations ont été organisées dans 33 établissements scolaires, permettant de sensibiliser 2.300 enfants à l’importance de prendre soin de leurs dents.  Mais, dans la capitale, le boom démographique fait son œuvre : aujourd'hui, plus de 196.000 Bru­xellois ont entre 0 et 12 ans. Alors que le temps et les effectifs font cruellement défaut.

Pour systématiser la sensibilisation à la santé bucco-dentaire auprès des plus jeunes, un program­me ambitieux est indispensable. Les hygiénistes bucco-dentaires (une nouvelle profession créée pour assister les dentistes dans des actes essentiellement préventifs) devraient pouvoir jouer un rôle central dans ce modèle. Mais il faudra encore attendre trois ans avant que les premiers diplômés en Fédération Wallonie-Bruxelles sortent des Hautes écoles. Tandis que dans la capitale, on envisage de former des bénévoles pour renforcer les équipes, Corin­ne Michel, elle, propose une autre piste : "En Belgique, on compte 9.000 dentistes. Si chacun prenait une demi-journée de son  temps pour faire bénévolement de la prévention dans les écoles et les consultations de l'ONE, ça représenterait 4.500 journées complètes de visites de contrôle. Imaginez le nombre d'enfants qu'on pourrait sensibiliser" 


(1) Pour savoir si votre dentiste pratique les tarifs de la convention, rendez-vous sur www.mc.be/prestataires
(2) Regard sur la santé des jeunes - La santé bucco-dentaire des jeunes en Hainaut - Santé en Hainaut n° 11, Observatoire de la santé du Hainaut, 2015.
(3) Obésité, goûts et consommation. Intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale, Faustine Régnier in Revue française de sociologie, 2009.

Quatre idées reçues qui ont encore la dent dure

  • Pas besoin de soigner une dent de lait puisqu'elle n'est pas définitive 

Même si elles ont une durée de vie limitée, les dents de lait ont une importance capitale dans la définition du visage, pour guider les dents définitives, manger, par-ler… Les enfants qui ont des caries sur des dents de lait ont trois fois plus de risque d’en avoir aussi sur leurs dents définitives. La prévention est, par conséquent, essen-tielle.

  • Inutile d'emmener mon enfant chez le dentiste avant l'âge de 6 ans 

Idéalement, la première visite chez le dentiste doit intervenir quand l'enfant a entre 2 et 3 ans. Pour autant, de l’avis de nombreux spécialistes, il est préférable de prévoir ce premier contact entre 1 et 2 ans, dès que les dents de lait apparaissent. Cela permet à l'enfant de faire connaissance avec le dentiste et d’appréhender l’univers du cabinet dentaire dans de bonnes conditions. En général, aucun soin n’est pratiqué, sauf si le praticien le juge nécessaire. Mais c'est l'occasion, pour les parents, de poser des questions et de recevoir des conseils utiles. 

  • Si les dents de lait ne sont pas correctement alignées, il faudra consulter un orthodontiste plus tard. 

Au contraire ! Il faut s'inquiéter si les dents de lait d'un enfant sont parfaitement ser-rées et sans espaces entre elles. En effet, les dents permanentes qui les remplaceront seront plus grosses que les dents de lait, les arcades des dents provisoires doivent donc comporter des espaces pour compenser ce phénomène. 

  • La carie est uniquement due au sucre

La carie ne résulte pas uniquement d'une trop grande absorption de sucre. C'est avant tout une maladie contagieuse, transmissible par la salive. Les bactéries passent de la bouche de l'adulte à celle de l'enfant. Il faut donc éviter de partager cuillère ou verre avec lui afin d'empêcher la colonisation bactérienne.

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