Santé mentale

Pair aidant : association engage porteur d'espoir

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Faire œuvre utile d'une histoire douloureuse est aussi une façon de retrouver du sens.(c)iStock
Faire œuvre utile d'une histoire douloureuse est aussi une façon de retrouver du sens.(c)iStock
Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

"C’était le dernier jour de ma cure. Ce n’était pas ma première tentative, mais c’était la première fois que je le faisais pour moi, pas pour faire plaisir à mon entourage. Je me revois devant la sortie. D’une main, je tiens mon sac, de l'autre, la poignée. À ce moment très précis, j’ai une révélation : un jour, je reviendrai pour aider les autres ! J’avais compris beaucoup de choses lors de ce séjour et je voulais partager ces clés avec d'autres. Quand on est toxicomane, les gens qui s'en sortent, c'est un peu comme un mythe : quelque chose dont tout le monde parle mais que personne n'a jamais vu", raconte Pierre Faignoy, aujourd’hui chargé de communication pour En Route, fédération qui milite pour la promotion du statut de pair aidant. 

Si les alcooliques anonymes sont souvent le premier exemple qui vient à l'esprit quand on parle de "l'aidance" entre pairs, dans le fond, il s'agit d'un modèle ancestral "qui s’exerce de manière informelle depuis bien longtemps au sein des familles, entre amis, dans les couloirs des institutions, dans la rue”, écrit France Dujardin, coordinatrice du projet pair aidance à la faculté des sciences psychologiques et de l'éducation à l'Université de Mons (UMons). 

Le pair aidant peut endosser des costumes variés: il peut s'engager comme travailleur de terrain ou s'impliquer en seconde ligne, par exemple, en intégrant des groupes de travail et de réflexion dans le secteur de la santé mentale. "Son travail est complémentaire à celui des autres professionnels. C'est une charnière entre les travailleurs et les usagers qui permet de faciliter le contact", prend comme image Stéphane Waha, pair aidant et coordinateur de Psytoyens, fédération des associations d'usagers en santé mentale. Pour rester dans la métaphore serrurière, partager un vécu commun ouvre des portes: " Quand je parle de mes envies de consommer, de la difficulté de refuser le premier verre, de la peur de sombrer, de la culpabilité, je sens que ça résonne chez l'autre. Le pair aidant est à la fois un spécialiste du travail social et un spécialiste du vécu, c'est un traducteur entre ces deux mondes", confirme Patrice, pair aidant et ancien… travailleur social.

Cindy, qui suit la formation de pair aidant à l’UMons, termine un stage au pôle relogement du relais social de Mons. Grâce au projet Housing First, elle-même a bénéficié de l'aide du relais social de Charleroi pour sortir du sans-abrisme. “Mon parcours de rue m’a rendue meilleure, plus ouverte, observe-t-elle. On prétend tous qu’on n'a pas de préjugés, mais on a beau écouter les gens poliment, la réalité c'est qu’on est tous dans le jugement. Quand on est alcoolique, comme je l'ai été, on se dit qu’on est nul. Pourtant on regarde les toxicomanes comme des personnes encore plus nulles que nous… Mais à la rue, on côtoie tout le monde et on découvre des personnes magnifiques. C'est avec des personnes alcooliques, toxicomanes, prostituées, parfois tout cela en même temps, que j'ai eu les plus belles discussions de ma vie. Cela donne une ouverture d’esprit qui va bien au-delà des sourires de façade."

Le rétablissement au cœur de la pratique

Le pôle relogement du relais social de Mons propose un accompagnement complet qui couvre à la fois les aspects médicaux, sociaux, administratifs et psychologiques. "Et demain, on veut compléter notre équipe pluridisciplinaire en engageant un porteur d'espoir", s'enthousiasme le coordinateur du projet, Pearl Beghin. Le terme porteur d'espoir est souvent accolé à celui de pair aidant. "Au début cela m’intimidait, je trouvais cela pompeux. Mais finalement, je me rends compte que pour les gens que j'accompagne, c'est important. Souvent, ils me demandent: ' C'est vrai ? Tu étais à la rue comme nous et aujourd'hui tu as une maison et un emploi ? C’est vraiment possible ça ?' ", sourit Cindy, entre gêne et fierté. Récemment, elle a accompagné un bénéficiaire pour aller boire une soupe. Après des mois de sevrage, c'était la première sortie qu'il osait entreprendre. "Le psychologue veille à l'équilibre mental de la personne, le médecin à ce qu'elle suive son traitement, l'assistant social à ce que les papiers soient en ordre, et il faut les voir faire ! Mais se reconstruire, c'est quelque chose de compliqué. J'ai un logement, je suis sobre, c'est cool, et après je fais quoi ? Est-ce que j’ai encore ma place dans la société après ce que j’ai vécu et fait vivre aux autres ? Se reconstruire, c'est accepter qu'on ait le droit de s'amuser, d'avoir une vive sociale, d'être heureux, même si on a fait des conneries. Comme pair aidant, on peut partager ça."   

"J'ai envie de dire aux gens : regardez-moi, je suis rétablie, je suis vivante !, lance de son côté Pascaline, diagnostiquée bipolaire à l'âge de 19 ans. Je veux leur montrer qu'il ne faut jamais désespérer. On n'est pas seuls, on peut trouver de l'accompagnement auprès des professionnels ou s'appuyer sur des réseaux plus informels. Ce qui m'a beaucoup aidé aussi ce sont les cours de psychoéducation. Ils m’ont appris à mieux connaître ma maladie, à déceler les symptômes pour traverser les crises plus en douceur.

Pour Patrice, le rétablissement est venu sous la forme d'un déclic, lors d'une consultation avec un thérapeute. "Longtemps j'ai voulu redevenir le Patrice d'avant. J'ai fait un burn-out il y a plusieurs années. À chaque fois que je reprenais le travail, ça se passait mal, je constatais que j'avais pris un train de retard et je rechutais. Et puis, un jour, j'ai compris que pour construire le futur, je devais vivre dans le présent et tirer un trait sur le Patrice du passé. J'ai même écrit un faire-part de décès et un avis de naissance que j'ai présenté à ma famille!" Qu'est-ce qui, chez une personne en souffrance psychique, provoque le déclic pour s'en sortir ? Quelles sont les conditions qui favorisent ce moment particulier où toutes les pièces du puzzle s'assemblent enfin comme par magie ? Cette question, le nouveau Patrice se la pose souvent. Au point qu'il a choisi d'en faire le sujet de son mémoire de fin d'études de pair aidant à l'université de Mons: "Je pense que cela passe par une bonne connaissance de soi, de ce que l'on a été, ce que l’on est et de ce que l'on veut être. Aujourd'hui, après un long parcours, je suis heureux. Pendant longtemps, j'ai attendu de pouvoir reprendre la vie d'avant, une vie aussi dynamique, aussi engagée. Mais on ne guérit pas d'une maladie mentale comme d'une grippe. Il reste des stigmates. Mais on peut accepter que la vie soit différente. J'ai trouvé le rétablissement quand j'ai arrêté de chercher la guérison."  

Retrouver du sens

La pair aidance, résume simplement Pierre, c'est partager avec d'autres personnes en souffrance les ressources que l'on a pu mobiliser pour se rétablir des siennes. "En gardant toutefois en tête que nous ne sommes pas des modèles, que chaque personne est différente et que ce qui a pu nous aider ne fonctionnera pas forcément pour d'autres", nuance-t-il. 

Faire d'une histoire douloureuse œuvre utile est aussi une façon de retrouver du sens, témoignent les pairs aidants. "Ce n’est pas juste 'j’ai vécu ça', et puis Ok, je vais mieux et je passe à autre chose. Trouver une utilité à tout cela fait aussi partie de mon rétablissement" explique Cindy.  

Malgré sa santé fragile, Stéphanie vient d'accomplir un courageux périple de plus de 200 kilomètres à pied sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, un pèlerinage qu'elle a réalisé en l'honneur de son fils décédé. La douleur du deuil est vive et le rétablissement semble encore une longue route. Mais la perspective d'entreprendre une formation de pair aidant, explique-t-elle avec beaucoup d'émotion, lui redonne un peu de baume au cœur: "J'ai besoin de redonner un sens à ma vie. Pouvoir aider les autres, ce serait tellement merveilleux. J'ai toujours aimé aider et je voudrais que ma petite étoile puisse me regarder de là-haut et être fière de moi tous les jours.

La paire aidance reste encore très largement portée par des volontaires. Les pairs aidants professionnels se comptent sur les doigts de la main. Depuis un an, l'association En route et le Smes ont mis en place le projet pear and team support pour soutenir l'intégration de pairs aidants dans les organisations du social et de la santé mentale. Entre autres, des séances d'informations, des formations et des intervisions sont proposées. "Les travailleurs professionnels ont parfois peur que le pair aidant rechute. Il peut aussi y avoir de la compétition pour l'emploi. Cela reste encore des projets très innovants. Des freins doivent être levés mais de plus en plus d'associations se montrent intéressées et nous sommes là pour les accompagner", se félicite Pierre. 

"La pair aidance, c'est partager avec d'autres personnes en souffrance les ressources que l'on a pu mobiliser pour se rétablir des siennes". Pierre