Santé mentale

Vape : porte d'entrée ou de sortie de l'addiction ?

6 min.
Si la vapoteuse est désormais intégrée dans la trousse à outil des tabacologues, elle reste l’objet de controverses. La crainte étant que la vape ne devienne une porte d’entrée vers l’addiction plutôt qu’une porte de sortie.
Si la vapoteuse est désormais intégrée dans la trousse à outil des tabacologues, elle reste l’objet de controverses. La crainte étant que la vape ne devienne une porte d’entrée vers l’addiction plutôt qu’une porte de sortie.
Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

Elle a détrôné son ancêtre de papier dans les mains des héros au cinéma. Et pourrait accomplir un exploit similaire dans la réalité. En Belgique, selon les sources, entre 15% (1) et 25 % (2) de la population a déjà essayé au moins une fois. Dans plus de 60% des cas, d’après la Fondation contre le cancer, les utilisateurs sont des fumeurs qui souhaitent arrêter ou diminuer.  

Sur les hauteurs de Liège, le centre d’aide aux fumeurs du CHR de la Citadelle a ouvert la première consultation du pays dédiée spécifiquement à la cigarette électronique. Pour ces tabacologues, la vapoteuse peut être un outil efficace pour arrêter de fumer. À condition de se faire accompagner et d’être capable, au bout du processus, d’arrêter… de vapoter. “Cela fait partie de la panoplie d’outils à disposition pour le sevrage tabagique, même si ce n’est pas le premier que l’on propose ”, commente Marie-Christine Servais, infirmière tabacologue. 

Une étude anglaise récemment menée sur 886 fumeurs montre que 18% d’entre eux ont réussi à arrêter avec la cigarette électronique, contre 9% avec des substituts classiques, patchs et chewing-gums (3). En revanche, 80% des participants vapotaient toujours un an après. 

Je suis un multirécidiviste. J’ai essayé onze fois d’arrêter de fumer ”, témoigne Robert, un patient suivi par l’équipe liégeoise. Grâce à la vape, il se sent enfin sur la bonne voie. Mais il lui reste encore un pas important à franchir. “Le matin, je me fais un café et je vais directement vers ma cigarette électronique. Avant un rendez-vous, je tire dessus comme un malade pour avoir ma dose. Je n’aime pas ça, dépendre d’un produit. Je veux me sentir libre de mes gestes. Dans le futur, je m’imagine au bord d’une rivière, respirant tranquillement, avec rien en main. Ni cigarette, ni e-cigarette.”  

L’addiction à la cigarette est physique, mais aussi comportementale et psychologique, précise la tabacologue. La nicotine est une drogue dure dont l’arrêt provoque des symptômes de manque : irritation, anxiété, insomnies…  À cela s’ajoute l’envie de la cigarette que l’on fume par habitude, machinalement en attendant le bus, ou parce qu’on l’associe à un moment de détente (à tort, le tabac étant un excitant). Si la vapoteuse aide à sevrer le besoin physique, elle ne permet pas de se “sevrer” de la gestuelle.  “D’où l’importance d’être accompagné pour travailler sur les motivations et les habitudes en parallèle”, rappelle Marie-Christine Servais. 

Des centaines de modèles de vapoteuses sont présents sur un marché qui est encore appelé à s’étoffer. Et les vendeurs ne sont pas toujours très formés pour conseiller leurs clients. L’accompagnement des tabacologues vise aussi à aider les fumeurs qui veulent arrêter grâce à la vapoteuse à trouver le produit et le dosage qui leur conviennent. “Ce n’est pas facile de s’y retrouver, regrette Adrien Meunier, également infirmier tabacologue au CHR de la Citadelle. Les marchands, par exemple, ont tendance à proposer des produits faiblement dosés en nicotine, ce qui incite le fumeur à inhaler plus pour avoir sa dose. Et donc absorber plus d’arômes, qui constituent justement la partie potentiellement nocive.” 

Des effets encore inconnus 

Le liquide de la vapoteuse contient des solvants (glycérol et/ou de propylène glycol utilisés dans l’industrie cosmétique et alimentaire), des arômes, plus éventuellement de la nicotine à différents dosages. Il ne contient ni tabac, ni les milliers de composés chimiques entrant dans la fabrication d’une cigarette papier. La cigarette classique produit de la fumée lors d’une combustion à 800 degrés environ. Son équivalent électronique produit de la vapeur grâce à une résistance qui chauffe le liquide entre 150 et 250 degrés. “On entend souvent que la nicotine est un poison. Mais si la nicotine est une drogue, elle n’est pas toxique en soi, rappelle le tabacologue. Ce sont les produits issus de la combustion du tabac, comme les goudrons et le monoxyde de carbone, qui sont nocifs et provoquent les cancers, les pathologies cardiaques, etc.” Dans sa version électronique, les risques sont donc considérablement réduits. Mais loin d’être nuls pour autant, une inconnue demeurant sur l’impact des arômes à long terme sur la santé.  

Si l’effet de ce type de substances dans l’alimentation a été largement étudié, on manque de recul quant à son introduction dans les poumons. “Les risques à long terme ne sont pas encore connus, pour une raison simple, c’est que les temps de préparation de cancers durent souvent plusieurs dizaines d’années. Mais il y a lieu de croire que la cigarette électronique est beaucoup moins nocive”, juge le professeur Didier Vander Steichel, directeur médical de la Fondation contre le cancer, sur le site Tabacstop. Dans son dernier rapport sur le tabagisme mondial publié en juillet 2019, l’Organisation mondiale de la santé se montre très prudente, considérant les cigarettes électroniques comme étant “incontestablement nocives”, bien que “probablement moins toxiques que la cigarette”. 

Un autre danger est que ces appareils soient utilisés avec des liquides non contrôlés mais facilement accessibles sur internet. Récemment, plusieurs cas de décès, dont un en Belgique, ont fait grand bruit dans la presse. Le coupable désigné : l’usage d’huile de THC, une substance active du cannabis, épaissie avec de l’acétate de vitamine E, un additif gravement nocif en inhalation. 

La vapoteuse doit aussi être distinguée du tabac à chauffer. Comme leur nom l’indique et contrairement aux vapoteuses, ces appareils contiennent du tabac en stick. Celui-ci est chauffé à 350 degrés. Mais aucune recherche, à part celles fournies par l’industrie du tabac elle-même, n’a encore prouvé que cette réduction de la température suffisait à rendre ces produits moins nocifs qu’une cigarette ordinaire (4). 

L’intérêt de l’industrie 

Si la vapoteuse est désormais intégrée dans la trousse à outil des tabacologues, elle reste l’objet de controverses. La crainte étant que la vape ne devienne une porte d’entrée vers l’addiction plutôt qu’une porte de sortie.  

Interdiction de la publicité et de la consommation dans l’espace public, augmentation des taxes, arrivée du paquet neutre… L’industrie du tabac, à qui la multiplication des mesures de lutte contre le tabagisme fait perdre de nombreux “clients”, a bien saisi l’opportunité, rachetant massivement les usines chinoises qui les fabriquaient à leur début.  

En 2017, Philip Morris annonçait la création d’une fondation pour un monde sans fumée... À distinguer, d’un monde sans nicotine ou sans tabac... Le fabricant de Marlboro se targue d’investir 80 millions de dollars annuellement pour financer la réduction des risques et le développement d’alternatives. Dans le même temps, la multinationale dépense 24 millions dans un procès pour empêcher l’Uruguay d’apposer des avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes, observe l’OMS dans un communiqué de presse qui souligne l’hypocrisie de la démarche (5).  

L’industrie se prépare à un tournant stratégique, et pourrait muter d’un modèle industriel de grande consommation à un modèle inspiré de la technologie, explique le patron d’Imperial Tobacco dans une interview récente au Figaro (6). Développant sans cesse, à l’instar du marché des smartphones, des nouveaux modèles branchés. “Nous pourrions aller vers des produits polyvalents, permettant d’inhaler des vitamines ou plus tard, du CBD (extrait du cannabis non psychotrope) là où les législations le permettent”, commente Jon Fernandez de Barrena dans les colonnes du quotidien français. 

Avec ses produits high-techs et sa déferlante d’arômes sucrés, l’industrie se voit reprocher - cela ne sera pas la première fois dans son histoire - de viser les adolescents. En Amérique, plusieurs États ont porté plainte contre Juul. La marque, dont les produits composés de sels de nicotine sont particulièrement addictifs, est accusée de cibler les jeunes américains, pour qui le dernier jeu à la mode est de “juuler” en classe en cachette pour poster la vidéo de leurs exploits sur YouTube...   

Entre outil de réduction des risques utilisés par les professionnels de la santé et nouvel eldorado d'une industrie mise sur la sellette par les politiques de santé, l’ambiguïté qui entoure la vapoteuse se reflète jusque dans les législations. Avec des pays comme la Grande-Bretagne, où la vapoteuse est vendue et promue dans les hôpitaux, et des États, principalement en Asie et en Amérique latine, de plus en plus nombreux à en interdire purement et simplement l’usage. En Belgique, le cadre est similaire à celui qui s’applique pour tous les produits du tabac : la pub pour le vapotage est interdite, la vente, proscrite en-dessous de 18 ans et prohibée sur internet, le vapotage, banni des lieux publics. 

  

Pour en savoir plus ...

Quatre conseils pour arrêter de fumer

Marie-Christine Servais, infirmière tabacologue au CHR de la Citadelle à Liège, nous livre ses conseils : 

  • Se faire accompagner. Les fumeurs qui se font aider ont trois fois plus de chance d’y arriver.

  • Mettre en place des changements d’habitudes en parallèle : faire du sport, ne pas négliger son alimentation, adopter une hygiène de vie plus saine.

  • Utiliser des substituts, de façon adaptée, sur une période suffisamment longue. Ce qui revient au conseil numéro un.
     
  • Persévérer. Arrêter de fumer est souvent un long cycle de tentatives, et c’est normal.

Les fumeurs peuvent également obtenir un soutien financier à travers le remboursement des consultations de tabacologie et des médicaments.