Prévention

Quand l’info navigue en eaux troubles

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Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

Vous reprendrez bien un kiwi pour votre cholestérol ? Rien ne vaut un jus de citron pour prévenir les calculs rénaux… Défiguré par une poussée d’acné ? Écrasez une gousse d’ail et tartinez-vous le visage ! Ce genre de recettes farfelues, Internet en fournit à la tonne. Le site français Santé + Magazine, un des leaders du marché, rassemble à lui seul plus de 8 millions de fans sur Facebook !

Avec leurs fausses informations et leurs titres accrocheurs, ces sites attirent de nombreux visiteurs et génèrent des revenus publicitaires plantureux.

Sans parler des déclinaisons commerciales souvent associées à ces pièges à clics : applications payantes, vente de livres, de formations et de conférences.

> Avec pour seule arme son téléphone portable, la journaliste Aude Favre démontre avec pédagogie comment démonter l’intox sur sa chaine YouTube WTFake.

Avec pour seule arme son téléphone portable, la journaliste Aude Favre démontre avec pédagogie comment démonter l’intox sur sa chaine YouTube WTFake.

Ce genre de commerce lucratif est loin d’être inoffensif. En Australie, la blogueuse Belle Gibson s’est rendue célèbre en racontant comment elle avait vaincu un cancer du cerveau en recourant uniquement à des "thérapies" naturelles et un régime sans gluten. Sauf que la jeune mère n’avait jamais souffert du moindre problème au cerveau, si ce n’est son penchant pour le mensonge… En 2017, la justice l’a condamnée à rendre les bénéfices engendrés par son entreprise. "Mais combien de vies a-t-elle mises en danger ? Avant Internet, ces charlatans, qui prospèrent en vendant de faux espoirs à des personnes fragilisées par une maladie, avaient moins de visibilité", s’offusque Sophie Lescrenier, formatrice et animatrice en éducation aux médias au Centre audiovisuel de Liège.

La faute à Big Pharma

Rumeurs, canulars, pièges à clics, escroqueries… Derrière les fausses informations qui circulent en ligne, on trouve une variété de phénomènes : "Il faut distinguer la mésinformation, c’est-à-dire une information qui est fausse mais diffusée de bonne foi, de la désinformation qui est organisée volontairement dans le but de manipuler", précise Sophie Lescrenier. 

Que ce soit dans le domaine politique comme de la santé, la montée des thèses complotistes inquiète également les experts de l’éducation aux médias : le virus Ebola aurait été importé en Afrique par des travailleurs humanitaires pour recueillir des dons, les en-treprises pharmaceutiques  –  alias Big Pharma – inoculeraient des maladies pour vendre des médicaments, Michael Jackson aurait été assassiné parce qu’il défendait les anti-vaccins… Ces théories sont d’autant plus difficiles à contrer que toute tentative de leur opposer des arguments rationnels risque d’être interprétée comme une preuve supplémentaire que "les autres" (au choix : les riches/les puissants/les politiques/les entreprises/etc.) protègent un lourd secret. 

L’essor des théories conspirationnistes peut s’expliquer par le besoin de trouver des réponses simples pour expliquer un monde de plus en plus complexe, avance Stephan Van den Broucke, professeur à la faculté de psychologie et de sciences de l’éducation à l’UCLouvain.

"Dans des périodes de changements profonds, les gens peuvent avoir besoin de certitudes auxquelles se raccrocher. C’est plus facile de croire dans des solutions simples, de se dire que tout était mieux avant et de chercher des boucs émissaires."

Le faux, plus partagé que le vrai

D’après une étude du Massachusetts Institute of Technology portant sur 126.000 informations diffusées entre 2006 et 2017 (1), les contenus fallacieux circuleraient six fois plus vite que les vérités fondées. Une explication souvent avancée au caractère viral de ces fake news est qu’elles jouent sur la surprise, la peur. Des émotions qui nous poussent à partager avant de raisonner.

Les rumeurs et les bonimenteurs n’ont évidemment pas attendu Internet pour prospérer, mais ce nouvel outil de communication a donné à la problématique une ampleur inédite. Et pas seulement parce qu’il permet de toucher une audience mondiale. Si Internet ouvre la porte à des sources d’information plus variées que jamais, il renforce aussi notre tendance naturelle à fréquenter des personnes qui nous ressemblent et pensent comme nous.

"Sur Facebook, en particulier sur les pages et les groupes, il est possible d’effacer les commentaires critiques et même de bannir leurs auteurs. Les avis contradictoires étant effacés, ceux qui fréquentent ces espaces de discussion ont l’illusion qu’il n’y a aucune remise en question", regrette Sophie Lescrenier.

Les algorithmes utilisés par les entreprises du web pour guider notre navigation renforcent cet entre-soi. Les réseaux sociaux et les moteurs de recherche enregistrent nos données personnelles (sites consultés, liens, partagés, préférences enregistrées, etc.) et sont programmés pour proposer des contenus supposés correspondre au profil ainsi établi. La manœuvre, qui a d’abord pour but de faciliter notre navigation, de nous inciter à consommer les produits et les services suggérés, finit aussi par nous enfermer dans une bulle d’information et endormir notre esprit critique. 

La méthode scientifique

Si on juxtapose la carte des naissances en Alsace avec le trajet des cigognes, on pourra observer une certaine correspondance. De là à conclure que ces gracieux volatiles apportent les poupons...

Dans la recherche, il ne suffit pas d’observer une corrélation entre deux évènements pour conclure que l’un est la cause l’autre. Ce n’est pas parce que j’ai avalé la poudre Perlimpinpin © et que mon mal a disparu que le remède aprouvé son efficacité, explique Florian Gouthière dans son livre "Santé, Science, doit-on tout gober". Le journaliste y décrypte comment la désinformation s’alimente d’une mauvaise con naissance de la méthode scientifique. Pour établir un fait scientifique, il faut "formuler des hypothèses, chercher un moyen de les confronter à la réalité par une expérience, recueillir des résultats, les interpréter, et sans cesse chercher à mettre en défaut ses certitudes", écrit-il. Le consensus émerge quand il y a un accord entre la majorité des scientifiques qui peuvent s’appuyer sur un nombre suffisant d’études sérieuses pour tirer une conclusion.

> Florian Gouthière présente son livre au micro des Déblogueurs

Ce qui compte, c’est ce consensus et non toutes les études plus ou moins fiables qui ont émaillé la route. En 1998, Andrew Wakefield a publié un article dans The Lancet affirmant un lien entre le vaccin rougeole-oreillons-rubéole et l’autisme. L’étude portait sur à peine 12 cas et comportait de nombreuses anomalies. Son auteur, qui avait aussi "omis" de déclarer ses liens avec des avocats anti-vaccination, a été rayé de l’Ordre de médecin et l’étude in validée par The Lancet. Bien que le consensus scien-tifique démente aujour d’hui tout lien entre ce vaccin et l’autisme, les recherches de Wakefield continuent pourtant à alimenter de nombreux phantasmes.

Le médecin, coach en information

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment tiré la sonnette d’alarme concernant les fausses informations qui circulent en matière de vaccins.

Alors que les cas de rougeole dans le monde avaient diminué jusqu’en 2016, la maladie, dont les conséquences peuvent être mortelles, reprend vigueur. Si la principale raison avancée par l’OMS est l’inaccessibilité  du vaccin dans de nombreuses régions du monde, l’organisation pointe aussi "l’hésitation à l’égard du vaccin" nourrie par les fake news. Après YouTube et Amazon, Facebook a annoncé qu’il allait diminuer la visibilité des contenus antivaccins. Si la mesure a été largement saluée, les experts restent pru dents : n’y a-t-il pas un risque, en s’attaquant trop frontalement au problème, de renforcer des croyances complotistes ?Comment concilier la nécessité de lutter contre la désinformation avec celle de garantir la li berté d’expression ?

Internet a profondément bouleversé notre rapport au savoir. Le professeur, le journaliste, le scientifique, le médecin ne sont plus les seuls déten-teurs de la connaissance. Pour Stephan Van den Broucke, de l’UCLouvain, ces professionnels ont toujours un rôle essentiel à jouer en matière d’information, mais plus de la même manière. "Le rôle du médecin, et surtout du généraliste, a fortement changé. Aujourd’hui, il doit aussi être un coach qui aide la personne à mieux comprendre et gérer l’information, sans se poser en seul détenteur du savoir."


Question de vocabulaire

"Le monoxyde de dihydrogène, substance chimique inodore et incolore fait l’objet d’un intense lobbying. Gouvernements et armées dépensent annuellement des mil-liards d’euros pour la stocker et la contrôler. (…) Une ingestion de MODH a des effets biologiques avérés à court terme, tels que sudation et miction excessive. En augmentant les doses, on peut observer des sensations de ballonnement, de nausées, des vomissements. (…) Son inhalation, même en faible quantité, peut entrainer la mort par asphyxie." Effrayant, n’est-ce pas ? Et, si on vous disait que cette molécule à la consonance étrange n’est rien d’autre que de l’eau ? Par cette petite démonstra-tion, le journaliste Florian Gouthière prouve qu’une information banale peut se transformer en la plus inquiétante des théories par le simple choix du vocabulaire. Méfiance donc quand un article en appelle un peu trop vite aux émotions…

Pour en savoir plus ...

Pour aller plus loin 

• Le Centre audiovisuel de Liège organise une journée de conférences le vendredi 3 mai à la Cité Miroir. Réservations et informations : www.cavliege.be/des-faits-pas-des-fakes
• Le site de Sophie Lescrenier recense de nombreuses ressources : www.penser-critique.be
• Olivier Bernard, pharmacien et passionné de communication, s’attaque avec humour et en BD à la désinformation en ligne : lepharmachien.com
À lire : "Santé, science, doit-on tout gober ?", Florian Gouthière, Belin, novembre 2017