Environnement

Les cosmétiques naturels ou bio, meilleurs pour la santé ?

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© PHOTOALTO BELGAIMAGE
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Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

Savon, crème hydratante, maquillage, gel douche, déodorant, dentifrice, shampoing… : l’univers des cosmétiques se décline aujourd’hui en version naturelle ou biologique. Trônant dans un nombre croissant de salles de bains, ils représentent environ 10% du marché de l'hygiène et de la beauté. Vendus quasi exclusivement dans les magasins spécialisés et en pharmacies il y a dix ans, ils ont rejoint depuis les rayons des grandes surfaces, investissent le réseau de vente à domicile et se déploient sur des sites Internet spécialisés.

Pour le consommateur, les choses sont loin d'être simples. Qu'est-ce qui différencie un produit naturel d'un produit bio ? Pourquoi existe-il tant de labels bio ? Sont-ils fiables ? Les produits naturels présentés comme "100% sains et sûrs" le sont-ils réellement ? Les cosmétiques conventionnels d'origine chimique sont-ils vraiment dangereux pour la santé ? Tentons d'y voir plus clair.

Nocifs, les cosmétiques conventionnels ?

"Il n'y a aucune raison de se méfier a priori des cosmétiques conventionnels parce qu'ils comporteraient des substances chimiques, assure d'emblée Joëlle Meunier, pharmacienne et expert cosmétiques au SPF Santé publique. Les produits cosmétiques sont soumis à une réglementation européenne stricte sur la composition, la sécurité d'utilisation et l'étiquetage." Le règlement dresse notamment une liste de composants naturels et chimiques garantis comme inoffensifs pour la santé, assortie, si nécessaire, de restrictions quant à leur usage ou à leur dosage. Il existe aussi une liste de substances dont l’utilisation est interdite en raison de leur nocivité pour la santé.

"Au niveau européen, les cosmétiques font l'objet d'une surveillance permanente. Chaque pays membre récolte et fait remonter les signalements d'effets indésirables graves (réactions allergiques graves qui peuvent se manifester pour des troubles respiratoires, un gonflement du visage...). L'utilisation et le dosage des substances sont régulièrement réévalués en fonction des études toxicologiques", complète la pharmacienne.

Qu'en est-il des parabènes utilisés comme conservateurs et barrière antibactérienne dans les formulations cosmétiques ? Ces composés chimiques sont en effet suspectés d'être des perturbateurs endocriniens et d'avoir une incidence sur la fertilité et sur certains cancers. Joëlle Meunier répond sans ambages : "Depuis 2014, quatre parabènes (méthyl, éthyl, propyl- et butyl parabènes) restent autorisés avec des concentrations maximales jugées sûres et, pour les deux derniers, leur utilisation est interdite dans les produits fessiers pour les petits".

La sécurité des cosmétiques conventionnels a ainsi été renforcée. La spécialiste convient toutefois qu'une substance reste sur la sellette : le methylisothiazolinone (MIT). Or, depuis l'interdiction de plusieurs parabènes, elle est intégrée par de nombreux fabricants dans les préparations. Cet agent conservateur peut provoquer des allergies ou eczémas de contact dont les cas se sont multipliés ces dernières années. La réglementation européenne concernant la concentration de la MIT autorisée dans les produits cosmétiques ne cesse de changer au vu du nombre croissant d’allergies.

Naturel ne signifie pas sain

"De fausses idées circulent aussi sur les cosmétiques naturels et bio. Verts et écologiques ne veut pas dire pour autant 'meilleurs pour la santé' ou 'exempts d'allergies'", constate Test Achats. Marie Baeck, dermatologue aux Cliniques universitaires St-Luc renchérit : "Les gens pensent à tort que, puisqu'ils proviennent de plantes, ces produits peuvent être utilisés en toute sécurité. Les plantes ne sont pas aussi inoffensives qu’on ne le pense ; certaines sont très toxiques et allergisantes. Ensuite, comme leurs homologues conventionnels, les produits naturels et bio contiennent des substances qui peuvent provoquer des irritations et des réactions allergiques de contact sur le peau, les paupières, le cuir chevelu…"

C'est le cas de substances parfumantes (le limonène et le linalol par exemple) mais aussi des huiles essentielles, particulièrement allergisantes. Certaines sont photosensibles et changent au contact de l'air et de la lumière, ce qui peut provoquer des réactions allergiques. Autre point d'attention soulevé par la dermatologue : dépourvus de conservateurs chimiques, les produits naturels et bio n'offrent pas toujours la même garantie de stabilisation ni de protection bactérienne. Leur durée de conservation est donc plus réduite et les risques d'oxydation et de contamination élevés. Dès le premier usage, ces produits sont susceptibles de voir proliférer des micro-organismes et de provoquer des infections.

"Comme dermatologues, nous voyons de plus en plus de personnes nous consulter pour des allergies liées à l'usage de tels cosmétiques. Des cas très graves parfois, avec des eczémas sur tout le corps, nécessitant le recours à des traitements systémiques et empêchant le patient de poursuivre ses activités habituelles. Il est crucial de rappeler que ce n’est pas parce qu’un produit est naturel ou biologique qu'il est exempt d'allergènes, insiste le Dr Baeck. Je con seille généralement à mes patients l'achat de produits neutres avec le moins d'ingrédients possibles pour éviter les allergies et, le cas échéant, repérer plus facilement les substances problématiques. Et si un cosmétique ou une gamme de cosmétiques convient, l'adopter. Multiplier les produits ou en changer régulièrement augmente le risque de réactions indésirables."

Un dernier conseil encore : Les cosmétiques agissent à la surface du corps. Mais de nombreux autres facteurs ont des effets en profondeur sur la peau : ce que l'on mange et boit, le stress, la qualité de l'air ou encore la consommation de tabac. Pour conserver une belle peau, adopter une bonne hygiène de vie est donc essentiel.

Gare aux cosmétiques maison

Fabriquer soi-même ses cosmétiques est devenu très tendance. Conseils et recettes se déploient dans des livres et magazines, se visionnent sur Internet. Des ateliers de groupe permettent de se lancer dans l'aventure. Les motivations sont multiples et variées mais elles relèvent toutes, en définitive, d'un choix philosophique et éthique d'une vie plus respectueuse de la nature, plus saine aussi. Pourtant les produits naturels et bio sont loin d'être inoffensifs pour la santé.

C'est encore plus vrai pour les produits que l'on concocte soi-même dans sa cuisine. Il ne suffit pas de se laver les mains, de stériliser ses petits pots ou de désinfecter ses ustensiles pour garantir de bonnes conditions de sécurité et d'hygiène lors de la fabrication de ses crèmes, baumes et autres cosmétiques maison. Sans conservateur, le produit se dégrade dès sa première utilisation et sa durée de vie est très courte. La vitamine E ou l'extrait de pépins de pamplemousse, par exemple, ne suffisent pas. Le risque de prolifération des bactéries est aussi très élevé, en particulier dans les solutions aqueuses.

D'autre part, les procédés de fabrication, le dosage des ingrédients - en particulier celui des huiles essentielles - et le mélange des substances exigent rigueur et compétences. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la fabrication de cosmétiques est strictement réglementée au niveau européen. "Seuls les pharmaciens, médecins, toxicologues ou diplômés d'un master en cosmétologie sont autorisés à valider la sécurité d’une formule, explique Joëlle Meunier, experte en cosmétiques au SPF Santé publique. Il est indispensable de pouvoir évaluer la sécurité des ingrédients et des formules afin d'éviter les effets indésirables, ajoute la spécialiste. En outre, un cosmétique qui convient à une personne peut ne pas convenir ou même être totalement déconseillé à une autre." Et de mettre en garde : "Toute personne qui propose des formules dans des ateliers de cosmétiques sans les avoir fait valider par une évaluateur disposant de l'un des titres requis se trouve dans l'illégalité et est passible de poursuites". À bon entendeur…

"Même pour des professionnels habilités à fabriquer des cosmétiques, c'est loin d'être évident, ajoute pour sa part le Dr Marie Baeck, dermatologue. Un cosmétique doit répondre à des exigences de qualité, de stérilité et d’innocuité notamment au niveau des allergies. Un cosmétique fabriqué à la maison est souvent à l’antipode de ces exigences. Nous observons régulièrement les effets indésirables de ces produits faits maison sur la peau de nos patients. J'émets donc les plus grandes réserves sur cette pratique", conclut-elle.

Entre allégations trompeuses et labels

Les confusions, allégations et publicités trompeuses sont monnaie courante sur le marché des produits de soins naturels et biologiques. La faute, notamment, à l'absence de réglementations européennes claires et contraignantes en la matière, comme le dénonce Test-Achats.

"Le Conseil de l'Europe a défini la notion de produit naturel. Mais cette définition est vague et il ne s'agit que de recommandations". Résultat : des tas de produits s'affichent naturels mais contiennent en réalité peu de composants naturels.

Quant aux produits bio, des labels existent pour attester que les composants naturels sont cultivés selon les méthodes de l'agriculture biologique. Mais ils ne sont soumis à aucune cadre légal contraignant et leurs garanties et cahiers des charges sont très inégaux. Cela peut aller du label propre à une chaîne de magasins à des labels internationaux contrôlés par des organismes indépendants.

"Les autorités européennes attendent un standard international, l’ISO, mais ne prévoient pas de réglementation contraignante. Une tentative d’harmonisation des labels indépendants - Cosmos - n'a que partiellement abouti", regrette Joëlle Meunier, expert cosmétiques au SPF Santé publique.

En Belgique, pour aider un tant soit peu le consommateur à s'y retrouver, un guide des labels pour une consommation responsable existe depuis de nombreuses années à l'initiative de deux associations, Netwerk bewust vertbruiken et Ecoconso, avec le soutien financier du SPF Santé publique. Dans le secteur des cosmétiques, pas moins de 17 labels y sont répertoriés dont Ecocert, Nature et Progrès, Max Havelaar, BDIH, Cosmébio… et Cosmos Standard qui s'est fixé pour ambition d'harmoniser les labels au niveau européen.

Mais les labels bio, quels qu'ils soient, ont pour fonction d'offrir des garanties en ce qui concerne l'origine, la composition et la transformation des substances. Pas sur les effets sur la santé...