Prévention

Comprendre pour agir sur sa santé

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Pas facile de s’y retrouver parmi toutes les informations santé qui circulent sur le Net.<br />
© Philippe Rousseau BELPRESS
Pas facile de s’y retrouver parmi toutes les informations santé qui circulent sur le Net.
© Philippe Rousseau BELPRESS
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

La grande majorité des Belges se déclarent très satisfaits de leur médecin généraliste. 62% des répondants à une récente étude menée en collaboration avec la Mutualité chrétienne le citent d'ailleurs comme première source d'informations santé (1). Il n'empêche. Près de quatre personnes sur dix admettent ne pas avoir tout compris en sortant de consultation : mots trop compliqués, explications peu claires. Beaucoup avouent ne pas oser poser des questions ou demander des éclaircissements, surtout lorsque le médecin semble pressé…

Avec le risque de moins bien suivre les traitements prescrits et de négliger les conseils et recommandations qui ont été donnés. La qualité des soins pâtit donc de la mauvaise compréhension des recommandations médicales. Bien entendu, ces difficultés, les patients peuvent aussi les ressentir avec d'autres professionnels de la santé.

Quant aux autres sources d'informations en santé, elles n'ont sans doute jamais été si nombreuses. Aux réseaux informels (famille, amis…) et aux médias traditionnels se sont ajoutées "les autoroutes de l'information". Au point qu'Internet est devenu la deuxième source d'informations en santé des patients (22% des répondants), bien loin devant… les médecins spécialistes (troisième source, citée par seulement 5% des répondants), selon les résultats de l'étude citée plus haut.

Mais quantité et même pléthore n'équivalent pas à qualité, loin de là. Une personne sur deux estime difficile de comprendre comment améliorer sa santé et son bien-être d’après les infos piochées sur Internet et publiées par les médias !

La qualité des soins pâtit de la mauvaise compréhension des recommandations médicales.

Littératie en santé

Chercher, trouver et obtenir des informations de santé. Ensuite les comprendre, se les approprier. Puis filtrer, juger et évaluer la pertinence des informations. Et enfin utiliser celles-ci, les appliquer. Pour guérir et aller mieux mais aussi pour maintenir ou améliorer sa santé : cet ensemble de compétences renvoie au concept de "littératie en santé" ou health litteracy. Utilisé depuis longtemps par les Nations Unies dans le domaine de l'éducation, ce terme a investi plus récemment le champ de la santé. On pourrait le définir comme "les compétences à chercher et trouver les informations de santé, à les comprendre et à les appliquer pour agir sur sa propre santé", tel que le propose Stephan Van den Broucke, professeur en psychologie de la santé publique à l'UCL.

Mesurer le niveau de littératie de santé dans la population n'est pas chose aisée (il existe 122 instruments de mesure). On est certain, par contre, que la littératie influence fortement les comportements de santé et l’utilisation des services de soins : respect du traitement et des examens prescrits, prise appropriée des médicaments, application des conseils d’hygiène de vie (activité physique, alimentation…), participation aux programmes de dépistage et de vaccination, compréhension des avertissements de santé publique, recours aux services d'urgence....

De ce fait, le niveau de "compétences en santé" a un impact évident sur l'état de santé de la population et sur les coûts qui y sont liés pour la société. "Globalement, les personnes à faible niveau de compétences en santé ont davantage le sentiment d'être mal dans leur peau et en mauvaise santé", ajoute Stephan Van den Broucke qui affirme que la littératie est un bon indicateur de l'éducation à la santé et des inégalités sociales.

Lorsque l'on sait qu'un Européen sur deux a un niveau trop faible de compétences en santé (lire les données belges ci-dessous), on comprend dès lors que l'on se trouve face à un véritable enjeu de santé publique. En 2011, la Commission européenne a d'ailleurs identifié "un programme de promotion de la littératie en santé pour différents groupes d’âge" parmi ses actions stratégiques de santé à l'horizon 2020. Une liste impressionnante de recommandations a été adressée aux pays membres.


Variations belges sur un même thème

En Belgique, la seule évaluation rigoureuse de la littératie en santé provient d'une étude menée en 2014 par les professeurs Van den Broucke et Renwart avec la Mutualité chrétienne (1). Près de 10.000 adultes avaient répondu à un questionnaire en ligne. Cet échantillon est relativement représentatif de la population belge.

Les principaux résultats de cette étude sont les suivants :

  • 59% des répondants ont un niveau suffisant de littératie en santé, 30% un niveau problématique et 11% un niveau insuffisant.
  • Les femmes semblent avoir un niveau de littératie en santé supérieur à celui des hommes quand on compare le pourcentage de répondants ayant un niveau de littératie suffisant.
  • Les néerlandophones sont plus nombreux que les francophones à avoir un niveau de littératie suffisant (62% contre 48%). La Région wallonne est la région dans laquelle le taux de littératie en santé insuffisant est le plus élevé.
  • C'est à la fois chez les plus jeunes (18-24 ans) et chez les plus âgés (75 ans et plus) que le pourcentage de personnes ayant un niveau de littératie insuffisant est le plus élevé.
  • Le niveau de compétences en santé augmente avec le niveau d’études.

Ces résultats, une étude récente réalisée par Sophie Cornerotte, étudiante en psychologie, toujours en collaboration avec la MC, vient encore de les confirmer (2). "Ils montrent qu'il faut continuer à encourager le développement de stratégies pour augmenter la littératie en santé dans la population", conclut l'étudiante.


Tous les acteurs concernés

Améliorer les connaissances et compétences en santé de la population représente un défi majeur. Il relève de la responsabilité collective.

"Les soins de santé n’interviennent que pour 20% dans l’état de santé des personnes. La situation socio-économique, le mode de vie et les comportements de santé sont bien davantage déterminants", lance le Dr Alex Peltier, médecin-directeur adjoint à la Mutualité chrétienne – qui préfère au vocable de littératie le terme de "comprobservance", un mot valise plus explicite qui renvoie au fait de comprendre (ou prendre avec) et d'observer (dans le sens d'appliquer).

Dans ce contexte, il importe de donner des clés aux patients pour qu'ils puissent co-décider d'un traitement avec leur médecin et devenir acteurs de leur santé. Recevoir des informations claires et pertinentes préalablement aux soins et interventions fait d'ailleurs partie des droits du patient. Cette information claire doit permettre au patient de donner (ou non) son consentement éclairé".

Soigner la relation soignant-patient

"Le vrai travail de littératie en santé se déroule dans la rencontre entre la spécificité d'un patient (sa langue, sa culture, ses plaintes, ses attentes) et celle d'un médecin à l'écoute", affirme le Dr Patrick Trefois, rédacteur en chef du site internet mongeneraliste.be (1).

Trop souvent, en effet, les médecins utilisent un jargon qui échappe largement au commun des mortels. Ralentir le débit de paroles, prononcer des phrases simples, se servir de schémas ou d'illustrations, limiter le nombre d’informations données à chaque contact, demander au patient de répéter ou de refaire les gestes décrits, parcourir un court questionnaire en fin de consultation pour s'assurer de la bonne compréhension des messages… Voilà qui pourrait déjà aider le patient à y voir plus clair.

Mais la littératie en santé ne se joue pas uniquement dans les cabinets médicaux. "Elle devrait être intégrée dans les programmes d'éducation à l'école, plaide le Dr Patrick Trefois. Et de nombreux autres acteurs psychomédico-sociaux peuvent contribuer à sa progression, en particulier chez les adultes".

"La Mutualité a un rôle particulièrement important à jouer à cet égard", précise de son côté le Dr Michiel Callens, directeur du département Recherche et développement à la Mutualité chrétienne. "Cette mission d'information, d'éducation et de promotion de la santé nous tient à cœur et mobilise beaucoup de moyens financiers et humains à la MC. Nos membres reconnaissent d'ailleurs notre expertise et notre rigueur. Ils accordent une large confiance aux informations fournies par la MC, que ce soit en face-à-face par le personnel ou via nos canaux d'information (NDLR : Journal En Marche, site internet, brochures…). Ce rôle, la ministre fédérale de la Santé, entend d'ailleurs le confirmer et le consolider, ce dont nous nous réjouissons", poursuit-il.

Pictogrammes, capsules vidéos, ateliers… peuvent aider les patients à mieux comprendre les messages de santé.

Se mettre à la portée de tous

"Il appartient aux pouvoirs publics de stimuler les initiatives d'éducation à la santé, de mener et soutenir des actions vers des publics cibles, renchérit le Dr Stephan Van den Broucke. Il faut aussi adapter les contenus et les supports pour mettre l'information à la portée des gens".

Quelques suggestions et exemples de bonnes pratiques : démontrer l'utilisation d'appareillages dans de petits films vidéo, créer des pictogrammes significatifs, réaliser de courtes capsules santé "trucs et astuces" à partir de témoignages, organiser des ateliers d'autogestion pour les malades chroniques, concevoir des fiches médicales illustrées ou sous forme de BD, réaliser des animations ludiques… Toutes les initiatives sont les bienvenues pour réduire la fracture culturelle et sociale.

Quant à Internet, y circulent beaucoup d'informations en santé fantaisistes, non prouvées scientifiquement ou purement commerciales. D'où l'importance d'aiguiser l'esprit critique de chacun. Mais aussi de guider les internautes vers des informations rigoureuses et sérieuses. C'est ce à quoi s'attelle l'ONG Hon en certifiant des sites de santé qui respectent une série de critères (2).