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S'autodiagnostiquer en ligne : anxiogène ou utile ?

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(c)iStock.
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Valentine De Muylder

Valentine De Muylder

Qu’est-ce que c’est que cette drôle de sensation ou cet étrange petit bouton ? Je ne voudrais pas déranger mon médecin pour rien. D’autant plus que la réponse est peut-être à portée de main. Et hop, quelques mots-clés tapés sur mon moteur de recherche préféré. Tiens, c’est marrant, ma question s’écrit toute seule. On dirait que je ne suis pas la première à interroger Docteur Google...
Combien sommes-nous à s'être déjà retrouvé dans cette situation ? Selon la société scientifique de médecine générale (SSMG), près d’un tiers des Belges chercherait à s’autodiagnostiquer sur internet avant de consulter un médecin. Pour Thierry Van der Schueren, médecin coordinateur à la SSMG et généraliste dans la province de Namur, ce phénomène serait révélateur de notre rapport au temps à l’ère du numérique. "Dans le passé, les gens avaient beaucoup plus de patience, analyse-t-il. Aujourd’hui, on veut avoir une réponse immédiate à ses questions."

S’informer pour mieux s’impliquer
L’arrivée d’internet, vaste étendue d’informations disponibles à tout instant, a chamboulé les rapports entre médecins et patients. "Il y a quinze ou vingt ans, les patients venaient consulter leur médecin pour recevoir des réponses. C’était le médecin qui posait le diagnostic, observe Stephan Van den Broucke, professeur de psychologie à l’UCLouvain.  Maintenant tout cela a changé. De nombreux patients ne demandent plus ‘Docteur, qu’est-ce que j’ai ?’ mais ‘Docteur, je pense que j’ai ceci ou cela. Est-ce que c’est vrai ou pas ?’" Une évolution qui a du bon, selon ce spécialiste de la promotion de la santé, puisqu’elle permettrait aux patients de s’impliquer plus activement dans leur suivi médical.

Fausses informations et stupidités
Utile, l’autodiagnostic en ligne ? C’est également ce que semble indiquer une étude publiée début 2021 par l’université de Harvard (1), qui a pu démontrer une légère augmentation de l’exactitude des diagnostics posés par les participants après une recherche sur internet. Mais le Docteur Van der Schueren a des doutes : "Le souci, c’est que Docteur Google a beaucoup de patients, mais pas de diplôme ! En pratique, les gens reviennent avec de fausses informations, des stupidités parfois monumentales qu’on passe un temps assez important à déconstruire. Il y a des cas où la recherche du patient nous met sur la bonne voie. Mais ça reste l’exception."
Tout ce qu’on peut lire sur internet n’est pas faux, rappelle toutefois Stephan Van den Broucke, qui souligne l’intérêt pour les patients d’avoir à leur disposition une telle quantité d’informations. "Le problème, nuance encore le psychologue, c’est que même parmi les informations correctes, certaines sont incomplètes ou difficiles à comprendre".

Une perception des risques très personnelle
S’aventurer dans cette jungle d’informations de qualité variable a de quoi faire trembler celles et ceux qui ont tendance à s’inquiéter pour leur santé. Mais les deux experts sont formels : les recherches sur internet ne créent pas systématiquement de l’anxiété, voire de la " cybercondrie " (voir encadré). Nous ne sommes pas égaux face aux informations sur la santé : chaque personne se sent plus ou moins vulnérable, et cette "vulnérabilité perçue" altère son regard. Comme le résume Stephan Van den Broucke, "certaines personnes ont tendance à imaginer le pire, mais il y en a aussi beaucoup qui sous-estiment les risques. On le constate avec le Covid : les messages ne sont pas perçus de la même manière par tout le monde."
Comment en arrivons-nous à percevoir les mêmes messages différemment ? "Quand on accède à des informations, on applique des filtres cognitifs, explique le professeur de psychologie. Un de ces filtres est ce qu’on appelle le ‘biais de confirmation’, qui fait qu’on retiendra beaucoup plus facilement les informations qui confirment ce que l’on pense déjà". Une personne qui a des craintes pour sa santé aura donc davantage l’attention attirée par des informations inquiétantes. Et inversement.

Quand les algorithmes s'en mêlent
Mais la psychologie n’explique pas tout. Internet aussi a ses petites manies. "N’importe quelle infection va donner lieu à une augmentation des globules blancs dans votre prise de sang, raconte le Docteur Van der Schueren. Mais quand vous indiquez ça sur un moteur de recherche, on vous parle de leucémie à toutes les lignes ! Ce qui apparaît en premier lieu dans les résultats, ce sont les maladies les plus graves." Les moteurs de recherche mettent davantage en valeur les sites les plus visités. Or une émotion comme la peur est un puissant stimulant qui pousse à consulter ou partager des informations. Par ailleurs, les algorithmes des moteurs de recherche – formules mathématiques permettant au programme de déterminer les pages les plus pertinentes pour une requête donnée – retiennent nos informations personnelles, préférences, recherches précédentes, etc., afin de proposer des résultats plus susceptibles de nous faire cliquer (avec toutes les questions que cela peut poser en termes de vie privée). Ce faisant, le programme renforce notre biais de confirmation. " Les machines apprennent, et nous sommes plus facilement confrontés aux choses que nous cherchons davantage" explique Stephan Van den Broucke. Avec pour conséquence de nous enfermer petit à petit dans des "chambres d’écho" qui nous renvoient non pas le son de notre propre voix, mais les idées que nous avons déjà.
Plutôt que de créer de l’anxiété, internet aurait donc le don de la catalyser, de la renforcer. En 2009, une étude menée par Microsoft Research (2) concluait déjà que les moteurs de recherche contribuent à une escalade de l’inquiétude liée à la santé chez les personnes prédisposées. C’est d’autant plus vrai dans le contexte actuel, estime Stephan Van den Broucke : "Jamais, peut-être depuis le Moyen-Âge, les questions de santé n’ont été aussi centrales dans la société, dans la politique, dans la presse. Le Covid a accentué certaines différences entre les individus, y compris les craintes par rapport à la santé".

"Si vous êtes inquiet, consultez"
Pour sortir de cette bulle d’inquiétude, rien ne vaut un contact avec un professionnel de la santé conseille le Docteur Van der Schueren : si vous êtes soucieux, consultez. "En Belgique, la première ligne de soins est accessible. Que ce soit le pharmacien ou le médecin, rien ne peut remplacer un professionnel de santé pour mettre l’accent sur la prévention et conseiller les gens. Quand on a mal à la tête, le premier diagnostic n’est pas une méningite ou une tumeur cérébrale. Dans la plupart des cas, en quelques questions, nous pouvons rassurer les gens. Et dans les autres cas, nous pouvons les orienter rapidement". Car comme le souligne le médecin coordinateur de la SSMG, le risque en cas d’autodiagnostic n’est pas seulement de s’inquiéter pour rien, mais aussi, plus rarement, de passer à côté de pathologies graves.
Faut-il pour autant s’interdire de tapoter sur son clavier au moindre symptôme ? L’essentiel, "c’est de ne pas tout croire, résume Stephan Van den Broucke. Une personne qui a la compétence de bien comprendre les informations, et d’en juger la pertinence et la fiabilité, aura moins tendance à avoir des craintes et à faire de mauvaises interprétations". Son conseil ? Aiguiser son sens critique face aux informations en ligne : "Consulter plusieurs sources plutôt qu’une seule, en vérifier la fiabilité, les origines et les intérêts, ou encore privilégier les sources officielles".

"Cybercondrie"

Derrière ce mot compliqué se cache une nouvelle forme d’hypocondrie, trouble psychique associé à une inquiétude permanente pour la santé. Si ce trouble n’est pas neuf, avec le développement d’internet, les personnes qui en souffrent ont vu la palette de leurs sources d’informations (et d'inquiétudes) s’élargir considérablement.
Petite curiosité : si le néologisme "cybercondrie" est apparu assez récemment aux États-Unis, le terme "hypocondrie" date de l’Antiquité. Il désignait à l’origine une personne malade des "hypochondres", cette partie bien réelle du haut de l’abdomen située sous le cartilage des côtes. Pourquoi le sens du mot a-t-il "glissé" au fil du temps, jusqu’à désigner des maladies imaginaires ? Une hypothèse avancée est que cette partie du corps a longtemps été difficile à examiner, semant le trouble dans l’esprit des médecins : les patients qui s’en plaignaient étaient-ils vraiment malades, ou tout simplement inquiets ?

Quelques conseils

  • Demandez conseil à votre médecin. Vos recherches sur internet doivent rester complémentaires à l'avis personnalisé d'un professionnel de santé.
  • Choisissez avec soin vos sources d'informations :
    • Diversifiez les sites que vous consultez.
    • Privilégiez les sites d'institutions publiques, d'hôpitaux, d'universités...
    • Renseignez-vous sur les auteurs, leurs intérêts, leurs sources de financement... Soyez vigilants face aux sites commerciaux et évitez les forums de discussion où aucun professionnel de santé n'intervient.

Certains sites disposent d'une charte éthique ou d'une certification comme le "HONcode", décerné par la Fondation Health On the Net sur la base de critères d'éthique et de transparence. Le site mongeneraliste.be, de la SSMG, en fait partie.