Santé mentale

Des jardins qui font du bien

6 min.
© Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu/Accueil des Sens
© Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu/Accueil des Sens
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

La vitamine C, vous connaissez ? Oui, bien sûr. La vitamine V, elle, est moins connue. Ce surnom est utilisé avec un brin d'humour par certains chercheurs pour qualifier le bénéfice global apporté à la santé humaine par le Vert, la Verdure (en anglais, la G vitamin, pour Green). Depuis les travaux de l'Américain Roger Ulrich, dans les années 1980, on sait en effet qu'un patient qui, après son intervention chirurgicale, bénéficie d'une chambre avec vue sur un parc a généralement une convalescence plus courte que si son horizon se réduit à une cour ou à un mur.

À la même époque, un de ses compatriotes, Edgar O. Wilson, expliquait pour la première fois que, parmi tous les types de paysages de la planète, l'homme éprouve une préférence quasiment universelle pour les paysages ouverts parsemés de pièces d'eau et de bouquets végétaux. C'est là, en effet, comme dans la savane africaine de ses origines, que son besoin fondamental de sécurité est le mieux rencontré : le danger y est visible de loin.

Depuis lors, ce type d'études a été affiné. Le psychiatre français Christophe André (Hôpital Sainte-Anne, Paris) rappelle par exemple que le contact avec la nature entraîne des bénéfices bien au-delà du sentiment de bien-être, mesurables biologiquement. Par exemple : la baisse de la tension artérielle, du rythme cardiaque et du cortisol (1) dans le sang. Il est même possible, ajoute-t-il, d'observer les traces cérébrales créées par le contact avec le "Vert".

"Quelqu'un qui visionne des images de nature en laboratoire voit notamment augmenter l'activité de son cortex cingulaire antérieur et de son cortex insulaire, des zones associées à la stabilité émotionnelle, à l'altruisme, à l'empathie".

De plus en plus partagée, cette approche pousse même certains experts, aujourd'hui, à utiliser un concept plus audacieux : la biophilie. "Il s'agit de l'hypothèse selon laquelle l'homme, au fil de son intégration dans le milieu naturel, a intégré dans son patrimoine génétique le bien-être apporté par le contact avec la nature", explique Gregory Mahy, professeur à l'Axe biodiversité et paysage de Gembloux Agro-Bio Tech (ULg).

Semer des plantes aux couleurs et odeurs évocatrices, pour apprendre la patience et stimuler la mémoire.

Plus qu'une simple détente

De la recherche scientifique aux réalisations concrètes qui s'en inspirent, il y a un pas. Il n'est pas franchi partout avec le même enthousiasme. Nombreux sont, par exemple, les hôpitaux du Royaume-Uni enrichis d'un jardin thérapeutique sécurisé. En France, depuis 2009, l'association Jardins et Santé, spécialisée dans l'aide aux personnes frappées par les maladies cérébrales, décerne régulièrement des bourses aux établissements de santé créant de telles infrastructures vertes.

"Si un jardin est source d'équilibre pour une personne sans pathologie spécifique, il l'est a fortiori pour des personnes ayant des handicaps mentaux ou physiques, séjournant d'une manière prolongée ou définitive dans des lieux de vie et de soins", explique Anne Chahine, la présidente.

En Belgique, on n'en est pas encore là. Certes, bien des hôpitaux, maisons de repos et institutions de soins disposent d'un espace vert ou d'un coin jardin, mais celui-ci n'est pas nécessairement utilisé – et encore moins conçu dès l'origine – comme un outil thérapeutique à la disposition des patients et des soignants.

Après la toxicomanie

Des exceptions, il y en a, pourtant. Parmi les précurseurs, l'association Trempoline, à Châtelet, une communauté thérapeutique où vivent une quarantaine de résidents en sevrage de diverses formes d’assuétude. De simple lieu de promenade ou de défoulement au départ, le parc est progressivement devenu un outil thérapeutique au même titre que d'autres ateliers. Le site : un hectare, avec participation obligatoire de tous à son entretien collectif.

"Le gros problème des toxicomanes, c'est leur image de soi négative, explique Christophe Thoreau, le directeur. Chez nous, des personnes qui ne se sont pas respectées – ni leur entourage – pendant dix ou quinze ans apprennent à respecter les fleurs et les chèvres du parc. Voir que les animaux se portent bien grâce à leurs soins, récolter leurs propres légumes, c'est ouvrir les portes de la confiance en soi. Quand on réalise qu'on n'est pas un bon à rien, on se permet d'être plus exigeant envers soi-même". Un pas de géant vers la reconstruction.

Fureter et… se reconstruire

À Leuze-en-Hainaut, c'est un jardin de 15 ares qui, inclus dans un parc de cinq hectares, accueille depuis onze ans les patients de l'hôpital psychiatrique attenant, Saint-Jean-de-Dieu (180 lits). Sa philosophie se résume en un mot : "snoezelen", contraction flamande de snuffelen (explorer, fureter, activer ses cinq sens) et doezelen (somnoler, lâcher prise). Au départ, l'espace vert devait s'adresser exclusivement aux personnes souffrant d'une démence ou des séquelles d'un accident vasculaire cérébral (AVC).

Les contraintes des pompiers (accès, sécurité, etc.), paradoxalement, en ont décidé autrement : finalement, c'est l'ensemble des services hospitaliers, tous résidents confondus, qui bénéficient des services du jardin, où la production potagère tient le haut du pavé. Personnes dépressives ou en psychose, en schizophrénie, en sevrage alcoolique ou handicapées mentales avec troubles psychiatriques aigus : toutes participent une demi-journée par semaine à l'entretien du jardin.

"Le lieu offre trois accès, ce qui laisse différentes possibilités d'entrées et de sorties pour limiter l'anxiété ou l'impression d'enfermement, explique Charlotte Lefebvre, infirmière. Sécurisé, il présente aussi des points de repère bien visibles, comme un kiosque central propice à la convivialité. Des fleurs bien connues, d'une haute valeur symbolique, aident à l'évocation des souvenirs pour certaines personnes. Au début, des médecins voyaient cela de loin. Il a fallu les convaincre et faire notre place..."

Aujourd'hui, bien des maisons de repos de la région envoient leurs ergothérapeutes dans le jardin de Leuze afin de s'en inspirer.

Reconnecter l'homme à la nature : un défi, assurément.

Penser l'espace

Pas très loin, à Ghlin (Mons), c'est une véritable réorganisation spatiale qui s'annonce pour le site de 10 hectares appartenant à l'ASBL Les Amis des aveugles et malvoyants (160 membres du personnel, 3.500 bénéficiaires en service résidentiel ou non), à deux kilomètres de la gare de Mons.

Originalité du projet urbanistique : transformer l'actuel potager adapté en un "jardin des sens" et, sur une surface de 2,5 hectares, organiser une production maraîchère urbaine (serres, aquaponie, etc.) en associant ce public spécifique à sa gestion.

"Des logements pour familles de malvoyants seront également construits, précise Hugues Sirault, l'un des aménageurs à la barre, ce qui contribuera en quelque sorte à faire entrer la ville sur ce site. Tout le contraire d'un ghetto ou d'une poche de biodiversité ! Après 18 mois de réflexion, nous nous sommes aperçus que nous faisions, en somme, du développement durable appliqué. Construire des lieux communs, c'est rompre des isolements".


Le terril et l'hôpital

En 2022, un nouvel hôpital, regroupant la quasi-totalité des activités aujourd'hui dispersées du Grand Hôpital de Charleroi, ouvrira ses portes sur une ancienne friche située en pleine métropole carolo.

Particularité du projet : le site de 17 hectares (135.000 mètres carrés, 4.500 membres du personnel), actuellement classé de "grand intérêt biologique", abrite 39 espèces animales et végétales protégées et/ou menacées.

La promesse d'interminables contestations et recours au Conseil d'État ? Pas si sûr. Les autorités concernées, non contentes de protéger ce patrimoine pendant le long chantier, veulent valoriser celui-ci en l'intégrant au futur hôpital : toitures végétales, jardin thérapeutique, parc paysager fidèle au passé historique minier, création de mares et roselières, semis de plantes et arbustes indigènes…

Bref, là aussi (mais à plus grande échelle), faire de la biodiversité un atout thérapeutique. Et, in fine, reconnecter l'homme à la nature dans l'espoir d'améliorer son bien-être. Un défi, assurément. 

Bénéfices multiples

Semer des plantes aux couleurs et aux odeurs évocatrices, pour apprendre la patience et stimuler la mémoire. Se préoccuper de leur croissance, pour (ré)apprendre à soigner et à se soigner. S'aventurer sur des parcours extérieurs, pour surmonter ses angoisses et/ou réussir une adaptation fonctionnelle après un accident ou une maladie invalidante. Se laisser emporter par ses sens, pour se familiariser au "lâcher prise", terrain propice à la rencontre et au lien social… La liste est quasiment infinie des possibilités offertes par le jardin et la biodiversité pour soulager ou guérir des blessures physiques, mentales et sociales.

En France, certains jardins thérapeutiques assez récents (Bordeaux, Nancy) vont encore beaucoup plus loin. Invitant des artistes à s'y produire régulièrement, ils rompent les frontières entre l'hôpital et la ville.

"En devenant de réels lieux de vie axés sur l'art et la sensibilité, les hôpitaux contribuent à diminuer la stigmatisation sociale, à sortir du bruit industriel d'un espace institutionnalisé, commente Laura Innocenti, au centre d'une expérience menée depuis six ans au Centre régional de lutte contre le cancer de Bordeaux et du Grand Sud-Ouest. Au lieu d'enfermer et d'installer dans le strict traitement de la douleur, ils invitent au retour à une vie hors maladie".

Autre satisfaction, cette fois, autour du jardin "d'art, de mémoire et de vie" du CHRU de Nancy. "Il permet de rompre avec le cadre artificiel des services de soins souvent perçus comme stressants", explique Thérèse Rivasseau Jonveaux. Et la neurologue et psychologue de souligner également, parmi de multiples avantages, son rôle préventif de lutte contre le burnout des équipes de soins.