Coronavirus

Mémoires de pandémie          

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Julien Marteleur

Julien Marteleur

Le 18 mars 2020, la Belgique entre pour la première fois en confinement. La situation prend de court tous les pans de la société, sous le choc de cette soudaine mise à l'arrêt. Personne ne sait alors combien de temps durera ce lockdown imposé mais, rapidement, plusieurs centres et services d'archives du pays ressentent la nécessité de collecter la mémoire de ce moment inédit. "Il s'agissait pour nous d'un devoir citoyen, raconte Sarah Lessire, coordinatrice de l'Association des archivistes francophones de Belgique (AAFB). Face à l'ampleur de cette crise, récolter des archives pouvait sembler anodin, mais nous savions que dans 20,30 ou 50 ans, ces 'instantanés' de la pandémie prendraient une importance historique".

Repenser le métier
Dès le mois d'avril 2020, le projet "Archives de quarantaine" est lancé. Les premières collectes s'organisent tant bien que mal, l'archivage du présent n'étant pas de prime abord dans l'ADN des 24 centres et services (16 francophones et 8 néerlandophones) engagés dans l'initiative. "Habituellement, les services d'archives reçoivent des fonds, ils ne les constituent pas, souligne Sarah Lessire. Il nous a fallu aller à la rencontre de ces archives, les solliciter auprès des citoyens, des communes, des universités… Cela nous a permis de montrer en quoi consiste le métier d'archiviste, qu'il n'est pas qu'un personnage du passé, enfermé avec ses cartons dans une pièce poussiéreuse, mais qu'il sait être aussi un acteur ou une actrice du terrain, en phase avec le présent."
Par le biais de formulaires de contact, de questionnaires envoyés par mail ou encore d'appels à témoins sur Facebook, les centres d'archives lancent leurs bouteilles à la mer, sans bien savoir si leur appel sera entendu. "Si nous ne conservions pas ces traces maintenant, elles seraient sans doute perdues pour toujours. Mais, confinement oblige, les gens étaient très présents sur internet, qui était devenu un moyen de communication privilégié par la majorité de la population", se souvient la coordinatrice de l'AAFB. Là aussi, les archivistes doivent repenser leur métier, face à une situation qui leur impose désormais, parfois en effectif réduit, d'archiver aussi un site web, un post Facebook ou un tweet…

Une pandémie au pluriel
Petit à petit, des contributions variées viennent étoffer ces archives de quarantaine : photos, dessins, lettres, documents, mais aussi extraits audio et vidéo, poèmes ou travaux scolaires. "Je me souviens de ce professeur de français à Tournai, qui a demandé à ses élèves de 5e secondaire d'écrire une lettre au Covid, confie Sarah Lessire. C'était touchant de voir la façon dont cette crise était vue par ces adolescents, avec leurs inquiétudes, mais aussi leurs espoirs et leurs regards résolument tournés vers l'avenir." Si pour une partie de la population, le premier confinement est synonyme d'introspection et de retour à l'essentiel, pour beaucoup d'autres, il rime également avec la solitude et le désespoir. "Parmi les écrits que nous avons compilés, nous retrouvons par exemple des lettres de grands-parents qui souffrent de ne plus voir leurs petits-enfants. Cela paraît lointain aujourd'hui, mais c'était une douloureuse réalité il y a 18 mois."
Selon la situation géographique ou la spécialisation, les services d'archives reçoivent des contributions ciblées, mais "la question du tri des informations reçues ne s'est pas encore vraiment posée. Le but de notre démarche est aussi de faire comprendre aux gens qu'ils sont en train d'écrire l'Histoire, en quelque sorte. Rien n'est superflu", souligne Sarah Lessire. Ce devoir d'exhaustivité a pris une nouvelle importance à l'entame du second confinement, où les archivistes ont ressenti une certain "ras-le-bol" de la population. "Au début de la crise, les gens s'exprimaient de façon quasi cathartique. Plus tard, les gens ne voulaient plus vraiment entendre parler du Covid, ils voulaient que cela se termine. Le besoin de s'exprimer s'est moins fait ressentir", avance la coordinatrice. Aujourd'hui, les centres d'archives reçoivent encore des documents de temps à autre, mais la source s'est sensiblement tarie.

Valoriser les archives, mais aussi la profession
Plus de 7.000 documents (dont plus de 4.000 en ligne) portant sur la crise sanitaire sont actuellement conservés. Une fois inventoriés et classés, comment les mettre en valeur ? À partir de quand ? Ces contributions doivent-elles ou non rester anonymes ? "Plusieurs projets ont vu le jour ou sont en préparation, qui valorisent en même temps notre profession trop méconnue : des podcasts, un webinaire, des publications… Pour l'anniversaire du premier confinement (le 18 mars), nous allons mettre en ligne une exposition virtuelle des documents récoltés qui ont marqué nos archivistes, révèle Sarah Lessire. " L'AAFB a aussi créé sur son site, un volet dédié aux "autres crises", comme le désastre causé par les inondations de l'été dernier.

Pour en savoir plus ...

"Archives de quarantaine", un projet à découvrir sur archivesdequarantainearchief.be. Pour consulter des archives spécifiques (régions, institutions, …), contactez l'AAFB sur archivistes.be ● secretaire@archivistes.be