Politiques sociales

Quels lieux de vie au grand âge?

4 min.
La maison de repos n’est qu’une formule parmi d’autres à réinventer au sein d’un système d’accueils plus large (c)Istock
La maison de repos n’est qu’une formule parmi d’autres à réinventer au sein d’un système d’accueils plus large (c)Istock
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

En Belgique, à ce jour, un peu plus de la moitié des quelque 9.500 personnes décédées du Covid-19 ont succombé en maison de repos et de soins (MRS). Les personnes âgées hébergées dans des lieux collectifs de vie paient le prix fort de la pandémie, bien davantage encore que celles qui sont restées confinées à leur domicile. D’une part, elles représentent le "public cible" du Covid-19 et d’autre part, la vie en collectivité est un facteur important de risques de la propagation du virus.
Si le pic des contaminations est passé, les MRS restent sous surveillance étroite. En tout état de cause, la crise sanitaire a fait apparaître la fragilité du secteur - très hétérogène - des MR/MRS. Pour Anne Jaumotte, chargée de projets à Enéo, mouvement social des aînés, il importe de questionner en particulier les conditions de vie et de travail dans ces établissements pour en tirer des leçons pour l'avenir. Quels éléments ont-ils permis à certains établissements de s'en sortir mieux que d'autres face au virus ? Comment ont fonctionné les collaborations avec le réseau hospitalier ? De petites unités de vie comme les maisons Abbeyfield et des habitats groupés dans lesquels vivent des seniors ont-ils été touchés par le Covid-19 dans les mêmes proportions que les MR/MRS ? Et qu'en est-il des aînés bénéficiant d'aides à domicile ?

Un modèle à questionner

Avec l'évolution des structures familiales et l'allongement de la durée de la vie, l'hébergement en maison de repos et de soins semble aller de soi lorsqu’arrive le grand âge. Faute d'alternatives, l'institutionnalisation s'effectue le plus souvent dans l'urgence et sans choix véritable. Par ailleurs, l'augmentation du nombre de places en MRS est présentée comme une conséquence inhérente au papy(mamy)-boom. Les grands groupes commerciaux qui prennent une place croissante dans ce secteur fort rentable s’en frottent déjà les mains.
Pourtant, la crise sanitaire démontre, une fois de plus, que le modèle de la MR/MRS a atteint ses limites. "La maison de repos n’est qu’une formule parmi d’autres à réinventer au sein d’un système d’accueils plus large, affirme Anne Jaumotte dans une analyse publiée récemment sur le site d’Enéo (1). Un type d’hébergement ne peut suffire à rencontrer le bien-être de tous. Nous devons penser à des formes d’habitats complémentaires, transitoires, ponctuels : habitats groupés, communautaires, partagés, petits habitats autogérés ou encore intergénérationnels du type ‘senior-étudiant’. Le système doit rencontrer les attentes du vivre ensemble, de l’autonomie maintenue, de la reconnaissance des compétences encore détenues par les personnes âgées. Cela suppose un énorme travail d’écoute des personnes âgées elles-mêmes, le renouvellement du regard posé sur les quartiers, pour trouver comment y faire vivre une mixité des âges qui respecte chacun dans ses singularités et mise sur l’entraide, la bienveillance réciproque."

Soutenir le maintien à domicile

"Le modèle actuel de l'hébergement collectif des aînés est la conséquence de choix politiques qui datent des années 80 : la transformation de lits gériatriques dans les hôpitaux en lits en MRS. Ces choix ont toujours été confortés depuis, malgré les discours récurrents en faveur du maintien à domicile, explique le Dr Gérard Lemaire, témoin privilégié de cette époque alors qu'il présidait la Fédération des aides et soins à domicile. La crise actuelle fournit aux pouvoirs régionaux, compétents dans ces matières, l'opportunité de changer radicalement d’optique". Investir dans des politiques de logement inclusive, revaloriser financièrement les métiers liés à l’accompagnement des aînés, soutenir les initiatives locales qui proposent des services de proximité, sont autant de pistes mises sur la table par ce médecin généraliste, comme par d’autres spécialistes des questions liées au vieillissement.
"Nos aînés seront mieux protégés des futures pandémies s’ils vieillissent chez eux grâce aux solidarités de proximité, familiales ou de voisinage. Ce qui se passe en ce moment dans bien des quartiers, des rues et des villages nous le prouve", assure Monique Boutrand, spécialiste des questions de vieillissement, dans les colonnes du journal Le Monde (2). Il sera intéressant, suggère-t-elle, d'analyser la façon dont les plus âgés ont été frappés par ce virus dans les pays qui, comme le Danemark ou les Pays-Bas, ont de longue date mis en place des politiques de maintien à domicile. Anne Jaumotte plaide, pour sa part, pour inclure dans les évaluations les situations vécues par les personnes âgées fragilisées vivant à domicile. Quels furent leurs ressentis ? Quels effets le confinement a-t-il eu sur leur santé et leur bien-être ? À quelles difficultés ont été confrontés les services d’aides et de soins à domicile ? Nous ne sommes encore qu'au début de ces multiples questionnements…


(1) La maison de repos, un modèle que la pandémie risque bien de bouleverser! - Anne Jaumotte, 13 mai 2020. À lire parmi d'autres articles consacrés au Covid-19 et aux aînés par Enéo sur eneo.be
(2) Nos aînés seront mieux protégés des futures pandémies s’ils vieillissent chez eux - Monique Boutrand, Le Monde, 24 avril 2020.

"Nos aînés seront mieux protégés des futures pandémies s’ils vieillissent chez eux grâce aux solidarités de proximité, familiales ou de voisinage. Ce qui se passe en ce moment dans bien des quartiers, des rues et des villages nous le prouve". Monique Boutrand, spécialiste des questions de vieillissement.

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