Politiques sociales

Mais que fait la police ?

6 min.
© Matthieu Cornelis
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Matthieu Cornelis

Matthieu Cornelis

No justice, no peace”. Des mots repris en chœur par quelques centaines de manifestants rassemblés sur la place Fontainas à Bruxelles. La JOC marque le coup pour la Journée internationale de lutte contre les violences policières du 15 mars en mobilisant ses troupes et la quarantaine d'associations signataires(2) de la campagne “Stop répression”(3). Objectif : dénoncer l'impunité dont la police bénéficierait à la suite de l'utilisation d'une “violence abusive” ainsi que le “silence complice” du monde judiciaire et politique.

Au milieu de la foule, Arnaud s'active. À 21 ans, suite à une interpellation musclée de la police, l'étudiant a décidé de s'impliquer dans la campagne “Stop répression” portée par l'organisation de jeunesse. Aujourd'hui, Arnaud est en tête de cortège, micro à la main, et anime la manifestation : “No justice, no peace”…

“Stop répression”

La campagne est partie d'un constat : de plus en plus de jeunes membres de la JOC ont fait remonter des cas de répressions policières, comme l’explique Antoine Roisin, permanent du mouvement à Bruxelles. “On a décidé d'approfondir la réflexion et de discuter de ce thème au sein de nos groupes de jeunes. La violence policière est connue de nos militants en manif’. Par contre, ce qu'on ignorait, c'est que c'est une réalité vécue aussi au quotidien dans les quartiers.” La JOC se désole de voir des mesures sécuritaires (caméras, nombre grandissant de policiers…) remplacer peu à peu la politique sociale sur le terrain.

C'est la troisième manifestation de ce genre. Faut-il comprendre que la situation ne s'arrange pas? Antoine Roisin réfléchit… “Exactement. D'un côté, on voit la crise qui rend la société de plus en plus dure et violente socialement. De l'autre, alors que les budgets sociaux sont en baisse, on voit les budgets de la police augmenter et toutes sortes de dispositifs sécuritaires être mis en place. La société est de moins en moins solidaire et de plus en plus violente.

Un phénomène en hausse

Constatant la recrudescence des plaintes, des témoignages mais aussi une aggravation des faits rapportés, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) mettait en ligne, il y a un an, un site d'observation des violences policières(4).

Premier rapport sorti, quelles sont les observations ? Tout d'abord, les manifestants turbulents ne sont pas les seules victimes de violences policières. Monsieur et madame Tout-le-monde, de tous âges et de toutes couches sociales, y sont exposés. Au total, 153 témoins et victimes se sont manifestés sur le site. Une fois les faux témoignages et les éléments peu vraisemblables écartés, 88 récits ont été validés. Que disent-ils ? Que 26% de ces violences ont eu lieu au commissariat et que 33% des victimes sont malmenées lorsqu'elles sont maîtrisées (menottées) alors qu’elles ne constituent pas un danger pour le policier. En quoi consistent ces violences ? Coups de matraque (17%), clés de bras (13%), étranglement (16%), coups de poing (25%) et insultes témoignant d’un flagrant manque de respect (59%).

Qu'est-ce qui justifie de tels moyens ? “Le seul fait de demander des explications peut déclencher des réactions démesurées et agressives, dit le rapport. Une personne qui demande pourquoi elle est arrêtée ou contrôlée voit aggravées les mesures de contention. Par exemple, elle se voit emmenée au commissariat où soudain une extrême agressivité se déclenche.” Les victimes et les témoins évoquent alors des coups, le déshabillage, la fouille sans raisons pertinentes… 45% de ces agressions n’ont pas donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal, pourtant légalement obligatoire. L'incompréhension est grande, le sentiment de révolte tout autant.

Un métier complexe

Selon Vincent Gilles, président du SLFP-Police (Syndicat libre de la fonction publique), “il est possible que le summum de frustration mène à la violence. Il peut arriver, et c'est dommage, que des policiers en aient marre, débordent et posent des actes répréhensibles.” Des débordements qui s'expliquent aussi par le manque d'expérience et l'impossibilité de cerner, durant les tests de recrutement, la totalité du profil psychologique des candidats. “Sur le terrain, ajoute-t-il, les équipes sont généralement composées de deux jeunes policiers. Il faudrait systématiser les équipes mixtes: une jeune recrue et un policier expérimenté. Et puis, sur un grand nombre de candidats policiers, il n'est pas impossible que quatre ou cinq individus parviennent à camoufler un énorme potentiel de violence”.

Faut-il revoir leur formation ? “Elle est améliorable et on y travaille actuellement. Mais l'expérience policière est d'une variété telle qu'il est impossible d'aborder toutes les situations problématiques que rencontrera le policier en formation.

Peu de poursuites

Pour obtenir justice, seulement 40% des victimes prennent un avocat et 60% déposent plainte (dans 10% des cas les agents refusent de la recevoir) mais “cela ne veut pas dire qu'elle va aboutir”, disait récemment Alexis Deswaef, président de la LDH, sur les ondes de La Première(5). “C'est sa parole contre celle du policier et, en l'absence d'images, d'un certificat médical… le rapport de forces est dur.” Par ailleurs, il existe un frein important dans l'accès à la justice. Le citoyen paie sa défense de sa poche s’il n'a pas droit à l’aide juridique gratuite. Et, s'il n'obtient pas gain de cause, il est tenu de payer 1.320 euros par policier incriminé. De quoi décourager certains de faire valoir leurs droits…

La meilleure défense c'est l'attaque, avance Alexis Deswaef, dans la préface du livre Quels droits face à la police ? (voir ci-dessous). Selon lui, le dicton serait devenu une stratégie de policiers violents. Ceux-ci déposent plainte contre leur victime du chef de rébellion ou injure. La manœuvre aurait pour effet de leur épargner une procédure disciplinaire et de faire penser au juge qu'il y a “match nul” avec la victime. Le score d’“une plainte partout” serait la meilleure chance, pour un policier violent, de voir le dossier classé sans suite.

La victime peut également s'adresser au Comité P, l’organe de contrôle externe de tous les fonctionnaires de police. Mais, sans preuve, difficile d'engager une procédure. Il est fastidieux d’obtenir l’identité des agents agressifs, le témoignage de collègues présents durant les faits ou les bandes vidéo du commissariat qui, d’après les témoignages, sont souvent carrément effacées. On rapporte aussi que, lors de l’arrestation, certains agents suppriment les vidéos compromettantes prises avec le GSM du plaignant. Sans ces preuves, aucune chance d’ouvrir une procédure.

Des policiers épargnés ? C'est le constat du Comité contre la torture de l’ONU qui, en novembre 2013, à propos de la Belgique, “note avec préoccupation les informations selon lesquelles les sanctions judiciaires prises à l'encontre des policiers jugés pour des mauvais traitements sont souvent symboliques et pas appropriées à la gravité des actes”. Le Comité P lui-même remarque une certaine clémence vis-à-vis des fonctionnaires de police : “on peut certainement parler d'une politique de tolérance au niveau pénal à l'égard des moutons noirs de la police(6).

Un difficile contrôle démocratique

Qui pour contrôler la police ? Les mandataires politiques ? Au fédéral, certains s'y essayent. Mais lorsqu'une question parlementaire sur les agissements de la police est formulée à la Ministre de l'Intérieur, les députés se plaignent de ne pas obtenir de réponse satisfaisante.

Au niveau communal, c'est le bourgmestre qui peut être interpellé sur les violences policières. De sa volonté dépend la prise en main du problème. Le Conseil de police de la zone est aussi le lieu adéquat mais, selon une conseillère communale qui y siège dans la zone Bruxelles-Ixelles, “les compétences du Conseil de police sont très floues. Cela dépend beaucoup de la volonté du Collège de police. Les bourgmestres en font ce qu'ils veulent… Pour la zone Bruxelles-Ixelles, on y parle surtout des achats de matériel ou de la gestion du personnel mais on n’y aborde pas la question des violences et on ne réfléchit pas du tout à une vision politique de la police.


Quels droits face à la police ?

Dans quels cas des policiers peuvent-ils contrôler mon identité, me fouiller, m'arrêter ou entrer chez moi ? Puis-je prévenir un proche que je suis arrêté et voir un avocat ?

Ce manuel offre des réponses claires à plus de 500 questions que tout citoyen peut se poser sur les pouvoirs de la police en Belgique. Il va jusqu'à donner des pistes de réactions concrètes (à l'aide de modèles de lettres) à celles et ceux qui veulent défendre leurs droits après une intervention ou une abstention policière abusive.

Qu'est-ce qui a motivé Mathieu Beys, jeune juriste, à consacrer quatre années à la rédaction d'un tel ouvrage ? "Les gens connaissent très peu leurs droits et les pouvoirs de plus en plus étendus de la police, dit-il. J'étais fatigué du style hermétique et abscons des ouvrages théoriques sur ces questions. J'ai voulu proposer un instrument accessible pour toute personne capable de lire."

L'originalité de l'ouvrage tient en son côté pratique et concret mais aussi en l'utilisation du "je" pour une appropriation aisée des textes par le lecteur. Attention : si les textes sont vulgarisés, il n'empêche que les références précises des textes de loi sont mentionnées pour aider le lecteur à être rigoureux dans ses démarches, et les avocats à mieux défendre les victimes d'abus policiers.