Droits sociaux

Le chômage nuit à la santé

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En 2014, les personnes décédées précocement étaient 4,5 fois plus nombreuses dans le groupe des chômeurs de longue durée…<br />
© Phanie BELGAIMAGE
En 2014, les personnes décédées précocement étaient 4,5 fois plus nombreuses dans le groupe des chômeurs de longue durée…
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Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

La MC a analysé les données relatives à ses membres qui, en 2013, étaient chômeurs indemnisés depuis plus d’un an. Leurs indicateurs de consommation de soins de santé ont systématiquement été comparés à ceux d'un groupe de contrôle composé de travailleurs salariés ayant le même profil (âge, sexe et lieu de vie). La moyenne d'âge de ces groupes est de 50 ans. Une différence se marque d'emblée : 40% des chômeurs bénéficient de l’intervention majorée (statut BIM donnant droit à des remboursements plus élevés) contre 6% parmi les salariés. Cela s'explique aisément puisque le niveau de revenus du ménage détermine l'octroi de ce statut.

Mieux vaut prévenir que guérir !

Et pourtant… Premier enseignement de l'étude : les chômeurs de longue durée ne sont pas délaissés ou ne délaissent pas la médecine de première ligne, même s'ils recourent plus fréquemment aux urgences hospitalières. Seule différence notoire : l'inscription en maison médicale a la faveur de deux fois plus de chômeurs que de salariés. "C'est assez logique, précise Élise Henin, auteure de l'étude. Le plus souvent, les maisons médicales fonctionnent au forfait et les patients ne paient ni les consultations ni les visites (1). De plus, les pratiques sont habituellement pluridisciplinaires et ancrées dans les quartiers, ce qui permet d’atteindre plus facilement des personnes en situation difficile, isolées."

Qu'en est-il des dépistages de maladies graves ou de visites régulières de contrôle notamment chez le dentiste ? "Ces prestations sont insuffisamment utilisées par la population en général mais la situation est davantage problématique chez les chômeurs de longue durée", analyse-t-elle. Ainsi, par exemple, 34% ont bénéficié de soins dentaires préventifs au moins une fois en 2012 ou 2013, contre 45% chez les salariés. Même constat pour les dépistages des cancers du sein ou du col de l'utérus, boudés par 5% de chômeuses en plus que les travailleuses de profil similaire.

"Ces prestations sont pourtant bien remboursées par l'assurance soins de santé , voire totalement gratuites (c'est le cas du mammotest - NDLR). L'obstacle financier ne semble donc pas le facteur déterminant", fait remarquer Jean Hermesse, secrétaire général de la MC. Qui évoque un évident manque d'informations mais aussi d'autres freins. Consulter régulièrement le dentiste ou le médecin de manière préventive ou pratiquer des examens de dépistage, c’est risquer de découvrir des problèmes de santé et de devoir assurer des soins qui peuvent s'avérer coûteux. "Est-ce cette appréhension qui est à l’œuvre ? Ou simplement, est-ce difficile de se préoccuper de quelque chose qui pourrait éventuellement arriver quand on a du mal à s’en sortir au jour le jour ?", se demande de son côté Élise Henin.

La santé en péril

De manière générale, les chômeurs de longue durée sont en moins bonne santé que les salariés, comme en témoignent une série d'indicateurs liés aux traitements. Ainsi, diabète de type 2, broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et problèmes cardio-vasculaires sont plus fréquents. Par ailleurs, plusieurs indicateurs révèlent des problèmes de santé mentale plus importants chez les chômeurs de longue durée. Ainsi, ils sont deux fois plus nombreux à consulter un psychiatre ou avoir séjourné en hôpital psychiatrique. Par ailleurs, leur consommation d'antidépresseurs et d'antipsychotiques est un peu plus élevée.

"Mais sans doute ces indicateurs ne permettent-ils pas d'avoir une bonne idée de la problématique et des besoins de soutien, remarque Élise Henin. Par exemple, on n'a pas d'informations sur les consultations auprès de psychologues et psychothérapeutes car elles ne sont pas remboursées par l'assurance soins de santé. On sait pourtant que le chômage a des effets néfastes sur la santé mentale" (lire ci-dessous).

Une espérance de vie moindre

Un dernier indicateur analysé – celui de la mortalité – est particulièrement inquiétant. En 2014, les personnes décédées précocement étaient 4,5 fois plus nombreuses dans le groupe des chômeurs de longue durée que dans celui des salariés. "Il y a plusieurs années déjà, deux chercheurs (2) ont mis en évidence un écart de 14 ans, en terme d’espérance de vie, entre les personnes les plus riches et les plus défavorisées en Belgique, précise Élise Henin. Selon eux, ces différences s'expliqueraient par les conditions matérielles de vie, le réseau social et les comportements qui varient fort en fonction des revenus dont on dispose. Mais ils ont aussi démontré que le facteur 'travail' joue un rôle déterminant : les personnes sans emploi auraient un taux de mortalité deux fois plus élevé que celles qui ont du travail."

"Les écarts socio-économiques en termes d’espérance de vie mais aussi d’invalidité, de santé mentale et de soins préventifs sont très grands et ont tendance à croître, résume Jean Hermesse. Hélas, on doit s'attendre à ce que les inégalités de santé s'accentuent à la suite des mesures gouvernementales – en particulier dans le secteur du chômage – qui paupérisent davantage encore une population déjà fragilisée sur le plan social."

Dans notre pays, plusieurs mécanismes ont été mis en place pour renforcer l'accessibilité aux soins de santé des personnes aux revenus précaires : intervention majorée, tiers payant (pour ne pas avancer les montants dus aux prestataires de soins), maximum à facturer (les frais en soins de santé sont plafonnés)…

"Certes, de grosses factures de soins restent à charge des patients et il faut donc mieux rembourser certains soins très coûteux, insiste le secrétaire général de la MC. Mais il faut bien se rendre compte que les soins de santé n'interviennent que pour une petite partie dans l'état de santé et de bienêtre de la population. Les principaux déterminants de la santé – insuffisamment reconnus – sont les conditions de vie, l'emploi, le logement, l'environnement, l'éducation, la formation, la cohésion sociale, la sécurité routière, la mobilité, l'alimentation… Les gains en santé et en espérance de vie sont donc tributaires de politiques sociales globales qui agissent favorablement sur ces déterminants sociaux. Et c'est là que le bât blesse."


La stigmatisation renforce le mal-être

Est-ce le mal-être psychique qui entrave l’accès à l’emploi et explique le licenciement (hypothèse dite de sélection) ou est-ce plutôt le chômage qui est à la source de difficultés psychologiques (hypothèse dite d’exposition) ?

"Des centaines de travaux empiriques ont prouvé que la seconde hypothèse domine largement la première", explique Ginette Herman, professeur de psychologie sociale à l’UCL et à la Fopes. Les effets délétères du chômage sur la santé ont été démontrés tant du point de vue psychologique (anxiété, baisse de l’estime de soi, de la satisfaction à l’égard de la vie…) et physique (troubles du sommeil, problèmes gastro-intestinaux…) que comportemental (consommation d’alcool, tabagisme…).

"À partir de neuf mois d'inactivité, le chômeur entame un état dépressif et son bien-être psychique se dégrade progressivement", affirme Ginette Herman qui note que cette situation vaut tant pour les hommes que les femmes, les jeunes que les aînés, les personnes fortement diplômées que celles qui le sont peu.

"Le chômage est un boulet que l'on tire longtemps. Même après avoir retrouvé du travail, on ne récupère pas totalement son bien-être"

Parmi les facteurs aggravants de la souffrance : l'isolement, le manque de soutien de l'entourage, le fait d'être étranger ou handicapé, la haute valeur accordée au travail… "Paradoxalement, plus le chômeur s'active à chercher un emploi – sans succès – plus il va mal", analyse la chercheuse.

À l'inverse, les chômeurs qui ont des loisirs, s'adonnent au bénévolat ou effectuent des petits boulots de ci, de là, ont une meilleure santé mentale que ceux qui n'ont pas d'activités plus ou moins organisées, structurées.

Des variables macro entrent aussi en jeu : si l'on vit dans une région où le chômage est massif, la situation est plus facile à vivre. Idem dans un pays où la protection sociale est grande. Cela étant, "le chômage est un boulet que l'on tire longtemps. Même après avoir retrouvé du travail, on ne récupère pas totalement son bien-être".

Tout-puissants stéréotypes

Baisse des revenus, manque d'activités, déstructuration du temps, absence de contacts sociaux, perte de sens et de statut social, difficultés à se mobiliser pour faire face à l'adversité : telles sont les causes les plus souvent évoquées pour expliquer la détresse psychologique du travailleur privé d'emploi.

"Dans cette approche, le chômage est considéré comme un événement purement individuel alors qu’il pourrait être analysé à la lumière de la théorie de la stigmatisation", plaide Ginette Herman. Il s'agit moins de manques et de privations dont souffre le chômeur que des stéréotypes qui lui collent à la peau. La stigmatisation par ceux qui ont un emploi est, de plus, renforcée par l'auto-stigmatisation.

"La force des stéréotypes est très puis sante, observe la chercheuse. Ce qui est grave, c'est que les politiques publiques y contribuent. En se focalisant sur le manque de qualification et sur la faible motivation à chercher du travail, les politiques actives d'emploi renforcent l'idée que les chômeurs le sont par leur faute. Sans le vouloir explicitement, ces dispositifs renvoient aux personnes une image d'elles-mêmes empreintes de discrédit, ce qui freine leurs capacités à prendre des initiatives."


Pour en savoir plus ...

"Le travail, c’est la santé ? Analyse de l’utilisation des soins de santé par les chômeurs de longue durée", étude de la MC, Élise Henin (R&D). Analyse des résultats à paraître dans MC-Informations de juillet 2016 • À lire sur www.mc.be > Infos et actualités.