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La santé, un marché comme les autres ?

La santé, un marché comme les autres ? Jean Hermesse © M. Cornélis

Depuis 2013, l'Europe et les États-Unis négocient un nouvel accord dont l'objectif est de favoriser les échanges commerciaux. Le texte prévoit une harmonisation des barrières douanières, environnementales, techniques, qualitatives… Certains envisagent aussi d'intégrer les soins de santé dans ce grand accord de libre-échange. Ensemble, toutes les mutualités tirent la sonnette d'alarme car notre système de soins de santé basé sur la solidarité est menacé !


Au cours des dernières années, un nombre croissant de pays ont mené des négociations au niveau international afin de supprimer les obstacles au commerce des biens et des services. Ceux-ci considèrent qu'une économie de libre marché augmente la concurrence, obligeant les fournisseurs à réduire leurs prix et à améliorer la qualité de leurs biens et services. On croit, on espère que cela se traduira in fine par plus de croissance et d'emplois. Mais les avis divergent sur l'impact final… Actuellement, les points de vue s'opposent autour d'un possible accord transatlantique TTIP (Transatlantic trade and investment partnership). Ainsi, en matière de santé, le Collège intermutualiste national (CIN) estime que si les soins sont inclus dans l'accord TTIP, ce sera non pas une avancée mais un recul en termes d'accès et de coûts des soins de santé en Belgique et en Europe.

Un nouvel accord de libre-échange pour quoi faire ?

L’unique objectif d’un accord de libre- échange (ALE) entre deux pays (ou plus) est d'étendre la taille du marché et d’accroître la concurrence. Il permet aux entreprises d’augmenter leurs ventes, leurs chiffres d’affaires et leurs profits. Faire croître la taille du marché implique la levée des barrières, tant sur les tarifs douaniers que sur les normes et les régulations nationales. C’est pourquoi les accords de libre-échange sont considérés comme des instruments de droit international. Ils priment sur le droit national et même sur le droit européen.

Une fois les soins et services de santé intégrés dans un accord tel que le TTIP, la régulation mise en place dans chaque pays européen pour assurer l’accès aux soins pourrait être contestée, tout comme les procédures d’acceptation et de remboursement pour les médicaments, l’encadrement des tarifs des assurances ou les critères de programmation de l’offre des soins. Et cette contestation serait facilitée par le mécanisme international de règlement des différends que prévoit l'accord TTIP. Ce dernier permettrait, en effet, de contourner la justice nationale. Des entreprises pourraient exiger un dédommagement aux autorités qui auraient freiné ou contrarié leurs investissements. Au final, le TTIP ne concerne pas seulement les acteurs du marché. Négocié dans l'ombre par la Commission européenne et l'administration américaine, il peut pourtant changer le cadre de vie de chacun d’entre nous au quotidien.

Moins d’accès et des soins plus coûteux

L’organisation des soins de santé est enracinée dans la culture et l’histoire des populations. En Europe, nous avons fait le choix d’assurer l’accès aux soins par des systèmes de protection sociale bâtis sur le principe de la solidarité. Aux États-Unis, l’accès aux soins de santé repose principalement sur des assurances privées commerciales. De ce côté-là de l’Atlantique, c’est le principe du marché qui organise les soins de santé avec comme résultat une performance moindre qu’en Europe. Là-bas, le coût total des soins est nettement plus élevé (près de 18% du PIB !), les soins sont moins accessibles, des millions de personnes ne sont pas assurées, et l’espérance de vie est plus basse qu’en Europe.

Si les services de santé sont repris dans le nouvel accord de libre-échange, on peut craindre que les principes du marché et de la libéralisation envahissent rapidement tout le secteur des soins. Conséquence ? Les politiques de tarification des médicaments et de remboursement ne relèveraient plus de la compétence nationale, la publicité directe aux consommateurs pour des médicaments sous ordonnance pourrait être autorisée, la durée des brevets pourrait s’allonger… avec comme résultat des dépenses pharmaceutiques plus élevées. La répartition mesurée des équipements médicaux coûteux sur un territoire pourrait être considérée comme une entrave à la libre installation. Les politiques de prévention et la lutte contre la consommation de tabac, d’alcool pourraient être contestées parce que limitant la vente de ces produits. De plus, si des services privés lucratifs peuvent s’installer sans régulation, on ouvre le champ à une médecine à deux vitesses.

Position intermutualiste ferme

Afin de préserver les valeurs de notre système de soins de santé, le Collège intermutualiste national (CIN) demande que les négociations se déroulent dans la transparence, que l'assurance soins de santé et les services de santé soient exclus de l'accord et que la politique des médicaments reste une compétence des autorités nationales. Le CIN exige que la promotion et la prévention soient aussi exclus de l'accord et que la santé et le bien-être priment sur les intérêts économiques.

La qualité et l'accès aux soins pour tous se sont constamment améliorés grâce à une plus grande solidarité, par le soutien aux services non lucratifs poursuivant l'intérêt général, par une régulation concertée. Fondre les soins et les services dans la logique du marché et du profit ne nous fera pas progresser socialement, au con traire ! Ce choix-là et ce débat-là nous concernent tous au quotidien.