Retour à Éditos

Des médicaments innovants ? Pas pour tous les patients !

Des médicaments innovants ? Pas pour tous les patients ! © Marc Detiffe

De nouveaux médicaments permettent de traiter de manière efficace des maladies comme l'hépatite C, le cancer ou la sclérose en plaques. Mais leurs prix sont tellement prohibitifs que les pouvoirs publics sont contraints d'en limiter l'accès à une minorité de patients, sous peine de mettre la sécurité sociale en faillite. Pendant ce temps, certaines firmes pharmaceutiques empochent de plantureux bénéfices. C'est ce qu'a dénoncé un récent reportage réalisé par l'équipe de "Questions à la Une" (RTBF) (1), auquel a été associée la Mutualité chrétienne.


En Belgique, chaque année, l'assurance soins de santé obligatoire dépense 4,1 milliards d'euros en médicaments. Avec ce que les patients paient – tickets modérateurs et médicaments non-remboursés – le total avoisine 6 milliards d’euros, soit 550 euros par an par personne. Ce qui nous classe dans le peloton des plus gros consommateurs de médicaments en Europe. Demain, nous risquons de débourser beaucoup plus encore car le prix des nouveaux médicaments est en train de flamber. 

Des coûts exorbitants et non transparents

L'exemple le plus emblématique des dysfonctionnements est celui de l’entreprise américaine Giléad qui commercialise le Sovaldi, un médicament incontournable dans les nouveaux traitements permettant de guérir l’hépatite C. Une seule pilule vaut 514 euros (on la surnomme la pilule "IPhone") et le traitement dure au minimum trois mois. Prix total : 43.000 euros ! Qu'est-ce qui justifie une telle somme ? Pas les coûts élevés de la recherche en tous cas. Giléad a racheté la petite firme pharmaceutique qui avait découvert la molécule et, en un an, Giléad a rentabilisé son investissement. Pas les coûts de production non plus qui ne dépassent pas les 100 euros par traitement. En fait, Giléad n'a pas de concurrent et en profite pour imposer des prix aux pays en fonction de leur capacité à payer. La seule recherche du profit maximum guide la firme. Et le business est plus rentable que dans l'industrie du luxe : le taux de rendement avoisine les 50 % !

Le cas du Sovaldi n'est pas isolé. Les médicaments contre le cancer sont aussi devenus un marché juteux. Le médicament Imbruvica, un traitement contre des cancers hématologiques dont certaines leucémies, est vendu 73.000 euros par an et par patient. Le Keytruda, un traitement contre le mélanome, est annoncé à 100.000 euros. Tous les nouveaux médicaments sont vendus à des prix vertigineux. Le manque total de transparence dans la fixation des prix est intolérable. Personne ne sait comment l’industrie et les experts calculent la valeur d’un médicament.

Insoutenable pour la sécurité sociale

Revenons au Sovaldi. En Belgique, 75.000 patients sont atteints d’hépatite C mais seuls ceux à un stade avancé de la maladie – 3.000 patients – ont eu droit au traitement jusqu'ici. En effet, pour éviter la faillite du système de santé (rien que pour cette maladie, plus de 3 milliards d'euros seraient nécessaires pour traiter les patients à tous les stades de l’affection), les pouvoirs publics sont contraints d'établir une sélection des malades autorisés à bénéficier du remboursement. Une réalité brutale, choquante, qui a ouvert toutes grandes les portes à la médecine duale. Les patients exclus du remboursement n’ont pas d’autre "choix" que de payer eux-mêmes leur traitement s'ils veulent en bénéficier, au risque de s'endetter.

Le contexte budgétaire est déjà difficile. La norme de croissance des dépenses de santé a été réduite par le gouvernement Michel à 0,5 % en 2017, nécessitant plus de 900 millions d’euros d’économies. Nous n’avons pas la marge budgétaire pour payer le prix exorbitant de ces nouveaux médicaments. L'appétit financier des firmes pharmaceutiques met en péril notre système d'assurance soins de santé et rend les nouveaux traitements pourtant vitaux, inaccessibles aux malades. Les cotisations sociales et les impôts payés par la population ne peuvent pas servir à enrichir certaines firmes et leurs actionnaires. La sécurité sociale ne peut pas être "la vache à lait" des marchands.

Réguler les prix, la recherche, les brevets

Face aux excès de monopoles de l’industrie pharmaceutique, les États doivent réguler le système pour protéger les patients et éviter la mise en faillite de la sécurité sociale. Cela signifie : exiger plus de transparence sur le coût réel des médicaments, orienter et financer la recherche pharmaceutique par des moyens publics, imposer un budget maximal global par pathologie, encadrer le système des brevets. 

Cette régulation doit être coordonnée au niveau européen pour éviter la concurrence entre les États sur les prix ou sur l’emploi dans le secteur. Il y va du maintien de soins accessibles pour tous. C’est pourquoi la Mutualité chrétienne s'associe à Médecins du Monde, Test-Achats et aux autres mutualités pour demander au gouvernement fédéral d’user de tous les moyens juridiques et politiques afin de faire baisser drastiquement le prix des nouveaux médicaments (2).

Les prix exorbitants des nouveaux médicaments entraînent la faillite de la sécurité sociale, conduisent à la médecine duale, une pour les riches, une pour les autres. Ils ne servent qu’à grossir des profits déjà énormes. La régulation de la recherche, des prix et des brevets est nécessaire et possible. C’est une question de choix et de volonté politique. Mobilisons-nous pour ce choix de société. 


(1) "Nos médicaments seront-ils bientôt impayables ?", enquête diffusée le 25 janvier dernier sur la Une RTBF. À voir sur www.rtbf.be/auvio

(2) Dans le cadre de la campagne "Le prix de la vie". Plus d'infos sur www.leprixdelavie.be