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Bruxellois et Wallons, demain couverts différemment ?

Bruxellois et Wallons, demain couverts différemment ? Jean Hermesse © M.Cornélis

Le transfert des compétences, on l'a déjà beaucoup commenté. Et, nous y sommes : depuis le 1er janvier, la Communauté flamande, la Région bruxelloise, la Région wallonne et la Communauté germanophone ont hérité de certaines matières de sécurité sociale, dont une partie des compétences en soins de santé. Demain, certains soins pourraient être remboursés de manière différente selon la Région… Un cauchemar pour les familles, les patients, les prestataires de soins, les institutions.


Lors de la formation du gouvernement Di Rupo fin 2011, après la plus longue crise politique de notre pays, il fut décidé de transférer aux entités fédérées, une partie non négligeable de compétences en matière de sécurité sociale (l'emploi et les soins de santé en partie, les allocations familiales entièrement). Début 2014, la loi organisant concrètement la sixième réforme de l’État et le transfert de ces compétences fut publiée. Elle prévoit que les Régions et Communautés seront responsables pour les règles et les budgets à partir du 1er janvier 2015. Dans le secteur des soins de santé, les matières transférées représentent un budget de 5 milliards d’euros et concernent principalement : les maisons de repos et de soins, les conventions de revalidation, les habitations protégées, les allocations d’aide aux personnes âgées, le budget des investissements hospitaliers...

À présent, chaque entité se prépare à gérer ces nouvelles compétences. En Flandre, elles seront intégrées dans la "Vlaamse sociale bescherming" (protection sociale flamande), exécutées par les "zorgkassen" (caisses d'assurance). Les choix politiques que doivent maintenant poser les gouvernements bruxellois, wallon et de la Communauté germanophone en matière de gouvernance seront déterminants.

Adopter des règlements similaires

Si les règlements diffèrent entre Bruxelles et la Wallonie, les prix, les conditions et le niveau des remboursements des voiturettes et des vaccins, certains tickets modérateurs, le niveau de l’allocation pour l’aide aux personnes âgées pourraient varier selon la localisation de l’institution ou la résidence du patient. Règlements différents, procédures administratives différentes, organismes de paiement différents : la circulation des patients deviendra plus complexe. Dès lors, certains pourraient décider de déménager d’une Région à l’autre pour bénéficier d’une règlementation ou d’un remboursement plus favorable. Du côté des entités, cela pourrait mener à des refacturations des soins vers la Région d’origine du patient, à des obligations de stage avant de pouvoir bénéficier du remboursement…

On le voit, les risques de divergences et de complexification accrue sont bien réels. Pour les réduire, voire les éviter, il est deux prérequis : s'accorder à tout le moins sur des structures d’organisation et de gestion similaires à Bruxelles et en Wallonie, réunissant les mêmes acteurs au sein de comités composés de manière paritaire comme au niveau fédéral; et s’engager explicitement pour créer la coupole de coordination permanente décidée par les présidents des quatre partis francophones en 2013.

Simplifier davantage pour garantir la continuité de services

Aujourd'hui, une nouvelle administration doit se mettre rapidement en place; des outils informatiques et un suivi budgétaire rigoureux doivent également être élaborés. Profitons de ces opportunités pour simplifier, si possible, les règlements et procédures existants. Ainsi, il serait opportun d’appliquer une échelle harmonisée, pour déterminer le degré de dépendance des personnes âgées en maison de repos et de soins, le niveau et le type d’aide aux personnes âgées ou handicapées… Veillons aussi à ce que cette échelle d’évaluation soit la même à Bruxelles et en Wallonie. Sinon, une même personne pourrait être considérée dépendante à Bruxelles et valide en Wallonie ou vice-versa.

Les mutualités contrôlent déjà le degré de dépendance des personnes en maison de repos et de soins. Si, comme nous le proposons, une seule et même échelle d’évaluation est retenue, les mutualités pourraient assurer la cohérence de l’évaluation de la dépendance pour l'ensemble des services.

On pourrait aussi simplifier les normes d’agrément et les critères de subsides à la construction hospitalière. Ou encore regrouper les fonctions d’agrément, de programmation et de financement pour les maisons de repos et de soins au sein d’une même commission de convention. Ces fonctions sont aujourd’hui éclatées entre différentes commissions. La même simplification peut être proposée pour l'organisation de la première ligne et de la prévention.

Aller vers plus de simplification réglementaire et administrative profitera d’abord à l’ensemble de la population, déjà confrontée à une réglementation des soins de santé complexe et difficilement compréhensible. La complexité décourage la participation démocratique.

Se coordonner avec le Fédéral

L’enjeu majeur des prochaines années sera la transformation progressive de l'offre de soins pour répondre adéquatement aux besoins en soins chroniques de la population vieillissante. Il s’agira de convertir une partie de l’offre hospitalière (lits aigus) en services de revalidation et en soins résidentiels. Vu le transfert des compétences, cette nécessaire réorientation ne pourra réussir que si elle est concertée et coordonnée avec le Fédéral. Sans concertation, ni coordination suffisante, la politique des soins pour les personnes âgées risque de se limiter à une gestion budgétaire rigoureuse sans perspectives, sans vision. Le champ des nouvelles initiatives sera laissé au secteur commercial à but lucratif. L’accès aux soins chroniques de qualité sera plus aisé pour ceux qui auront les moyens. Quant aux autres…

Le 1er janvier 2015, le transfert des compétences vers les Communautés et Régions est devenu réalité. Le défi politique est énorme pour assurer la continuité des services et des perspectives positives. Bruxellois et Wallons doivent avancer ensemble, se concerter, se coordonner aussi avec le Fédéral, sinon la solidarité sera mise à rude épreuve et la privatisation des soins s’étendra.