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Vers des lendemains… riches du passé

Vers des lendemains… riches du passé © unsplash

Les passages d'année enjoignent à regarder dans le rétroviseur et à se projeter dans l'avenir. Nous avons tendance à plonger sur la deuxième étape sans nous attarder sur la première. S'inscrire aussi dans le passé n'est-il pas souhaitable pourtant ?


Les derniers jours de l’"an vieux" voient rappliquer les rétrospectives. Avec la régularité du coucou, le déroulé de l'année écoulée s'affiche en images, en moments phares sélectionnés pour vous par les médias : .. les exploits sportifs, les personnalités disparues, les faits politiques majeurs, les meilleures ventes d'albums… On regarde dans le rétroviseur de janvier à janvier. Du côté de l'intime, le flash-back a aussi ses adeptes, poussés par les réseaux sociaux qui invitent à ce retour sur l’année, un historique plus personnel celui-là. Exercice intéressant car utile pour l'autre coutume du début de l'année : formuler ses voeux, se projeter dans l' "an neuf".

Passé et futur s'entrelacent. Ainsi "la faculté de se souvenir du passé et celle de se projeter dans l’avenir sont intrinsèquement liées et activent les mêmes zones dans le cerveau", expliquait le quotidien français Libération, pour introduire une interview du neuropsychologue Francis Eustache (1). Et "la mémoire, c’est avant tout le voyage mental qui nous permet d’agir", indique joliment le spécialiste de la mémoire. Les amnésiques éprouveraient donc des difficultés à se projeter dans le futur !

Tendance générale à l'oubli

Pourtant une tendance contemporaine veut faire fi du passé, le dévaloriser. Car, au-delà de l'exercice un rien superficiel de la rétrospective annuelle, notre culture moderne pratique l'oubli voire l'amnésie généralisée, comme l'énonce le professeur de littérature Francis O’Gorman (2). "Nous guettons, aujourd’hui, sur nos écrans portables, la dernière info, le mail qui tarde, le prochain rendez-vous sur Skype. Mais le fait d’être tendus par ces attentes, mobiles et en transit, a modifié en profondeur nos caractères. Nous sommes devenus impatients, occupés et oublieux. Constamment tournés vers l’avenir, nous ne disposons plus de lieux fixes où inscrire le passé", commente l'essayiste français Brice Couturier (3).

Une question d'identité

Ces derniers mois, dans l'actualité, on voit ça et là apparaître des références historiques. Les répliques miniatures de guillotines baladées durant les manifestations de gilets jaunes incisent le passé. Les comparaisons avec des mouvements populaires d'antan se multiplient dans la bouche des commen-tateurs. Elles sonnent comme des tentatives d'imaginer l'issue. Peut-être aussi comme une manière d'asseoir l'action, de la rendre cohérente, de croire à son impact. Les gilets s'apparentent-ils aux bonnets rouges du mouvement de protestation apparu en Bretagne en 2013 contre la politique d'écotaxes ? Aux bonnets phrygiens, allégoriques de la révolution française ? Forment-ils une version nouvelle de mai'68 ? Au final, on les dira "inédits". Et c'est le retour à la difficile élaboration d'une identité commune.

Des reproductions à éviter

Le trait commun qui semble traverser les soulèvements populaires, à travers les âges, c’est la violence qui les accompagne. A priori condamnable, cette violence témoigne d'un système où l'escalade entre en actions. À y regarder de plus près, l'abrasivité des blocages routiers et l'occupation des ronds-points ne répondent-elles pas à la rudesse d'un pouvoir sourd et indifférent ? Les cris en désordre ne disentils pas leur dégoût d'être oubliés, perdus, réduits à la présentation de statistiques utiles aux seuls positionnements politiciens ? La résorption d’inégalités, la recherche d’une plus grande justice sociale s’est souvent accompagnée de violences physiques, destructrices, malheureuses, où le plus faible subit la loi du plus fort jusqu’à ce qu’il la retourne contre son oppresseur ou contre celui qui est désigné comme tel… Et viennent ensuite les pleurs, les regrets… devant la tragédie.

En guise de voeux, sous-tendus par la mémoire du passé, souhaitons la réalisation de changements sociaux. Mais avertis du passé, inspirons-nous différemment et innovons : faisons en sorte d'aller vers une synthèse des points de vue, dans le respect mutuel, empreints de considérations pour autrui sans que la violence, destructrice, n’ait pris, un temps, le dessus.