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Tous philosophes !?

Tous philosophes !? © Belgaimage

Nous avons bien du mal à rester optimistes face à un avenir que personne ne semble en mesure de prédire. Les caricatures affichant Kim Jong Un, "chef suprême" nord coréen, et son congénère américain Donald Trump sous les traits de gamins qui jouent avec le feu traduisent à merveille l'insécurité ambiante. Le climat est délétère. Par petites touches, le malaise va grandissant.


Là ce sont les menaces de guerre nucléaire. Ici, les relents d'une violence que l'on voudrait enterrée. "Nettoyage", c'est bien le terme qu'a utilisé notre secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, Théo Francken, pour qualifier les actions qu'il pilote au Parc Maximilien à Bruxelles ? Tout cela respire le brutal. Et nourrit un sentiment d'insécurité.

Pourtant, il paraît – à entendre des historiens – que les moeurs se sont adoucies avec le temps. Les sociologues évoquent une pacification à l'oeuvre. Et les criminologues nous disent que les crimes de sang sont statistiquement moins nombreux qu' avant. "Il n'en reste pas moins que la méfiance à l'égard d'autrui se développe", observe le professeur en sciences de l'éducation Michel Tozzi (1). On le perçoit aussi :

la violence est livrée médiatiquement en nourriture quotidienne. À l'écran, sur la Toile, dans les journaux, la tension dramatique est entretenue à coups de tragédies. De phrases assassines.

Et les forums sont alimentés de propos durs et sans nuances. Claquant comme autant de jugements abrupts, ils n'apportent pas un souffle plus rafraichissant.

Sur le tableau noir

L'idée fait son chemin que l'on pourrait juguler une bonne part de la violence ambiante par la philosophie. Le terrain scolaire et les bambins font l'objet de nombre d'initiatives dans ce sens. Jusqu'à l’Unesco qui s'investit pour encourager la pratique de la philo à l'école. "L’actualité tragique partout dans le monde alerte les autorités publiques sur la nécessité d’éduquer dès le plus jeune âge les futurs citoyens et citoyennes à l’esprit critique, aux valeurs humanistes, à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la nécessité d’un dialogue apaisé et respectueux entre toutes les cultures."(2) Dans cette perspective, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture a ouvert une chaire thématique à l’Université de Nantes. En parrain, le philosophe Michel Serres connu notamment pour sa Petite poucette, qui porte un regard bienveillant sur la jeunesse numérique (3). Autre initiative récente, celle du philosophe et auteur à succès Frédéric Lenoir. Avec la Fondation SEVE (savoir être et vivre ensemble) qu'il a cofondée, on voit essaimer en France, en Belgique ou au Canada (4) la philo avec les petits. Elle y est envisagée comme une manière d'aider "à grandir en discernement et en humanité".

Aussi pour les grandes personnes

Penser et comprendre le monde, connaître l'implication des actes que l'on pose, se mettre à distance de soi-même pour interroger le bienfondé de ce que l'on dit, douter pour cheminer, apprendre à discuter... voilà ce en quoi la philo outille. Un bagage bien précieux fourni par une discipline qui se veut de plus en plus ouverte à tous et remporte un succès certain. Des cafés philo aux conférences de philosophes passés au rang de personnalités médiatiques, des festivals comme Les inattendues à Tournai (5) aux formations et aux publications qui font la part belle à cet art des méninges (6). Il semble bien révolu le temps où philosopher ne pouvait s'envisager que sous les traits d'un vieux sage barbu. "Tous philosophes", avancent ceux qui entendent garder vivace l'esprit curieux en chacun de nous, maintenir éveillée notre faculté à nous étonner, à nous questionner.

Il nous est possible – voire il nous est vital – de décoller de l'instant, de prendre distance, de déplacer le "roc de nos certitudes". "Dans un monde aussi complexe que le nôtre, il ne peut plus y avoir de certitudes dogmatiques, estime Michel Tozzi. La complexité doit développer chez nous la perplexité, le goût de la recherche, le sens de la question, la nécessité de l'échange." Philosopher s'incarne dans la pratique de la discussion. Elle est à la portée de tous – même si nombre d'échanges sur les forums ou de propos tenus dans les débats télévisés tendent à montrer le contraire. En discutant, c'est-àdire en cherchant ensemble, on fait contrepoids aux réactions agressives. À quelque niveau que ce soit. Mais peut-être, pour des Kim Jong Un ou Donald Trump, est-ce peine perdue…