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Temps suspendu pour mains tendues 

Temps suspendu pour mains tendues  ©iStock

Le Covid-19 nous force à ralentir nos modes de vie et bouscule nos habitudes. Non sans effets. Ce temps plus lent nous invite aussi à poser un regard sur les formes de solidarités possibles, sur la valorisation de métiers essentiels qui sautent aux yeux en temps de crise, sur nos rapports avec nos proches…  


Les rues sont vides (ou presque) dans les capitales européennes. Les quartiers d’ordinaire animés par les nombreux bars et restaurants sont endormis. Les rues commerçantes de nos villes belges ont fait place au silence. Nous vivons une période historique.  

Si ce virus est vu comme un fléau, il convient d’admettre que les mesures de confinement imposées partout dans le monde ont engendré un enchaînement d’effets positifs. Des images de fleuves et canaux européens montrent des eaux limpides, des rues d’ordinaire bondées laissent entendre des oiseaux habituellement inaudibles, le taux de pollution diminue drastiquement (villes confinées, avions cloués au sol, etc.). 

Ces effets sur notre environnement et le ralentissement de l’activité humaine nous invitent à repenser plus globalement nos modes de vie, notre rapport à l’autre, à la nature, à nous. Dans un article du journal français Le Monde, Corine Pelluchon, professeure de philosophie à l’université Gustave-Eiffel prévient : “nos modes de vie et tout notre système économique sont fondés sur une forme de démesure, de toute-puissance, consécutive à l’oubli de notre corporéité. Celle-ci n’est pas seulement le fait d’avoir un corps et d’être mortel, mais elle désigne la prise en compte de la matérialité de notre existence et de notre dépendance à l’égard des conditions biologiques, environnementales et sociales de notre existence : la santé est la condition de notre liberté”. (1)  

Notre santé dépend donc de l’écosystème dans lequel chaque individu évolue. Vivre dans un environnement sain est essentiel mais, nous le savons, notre survie dépend également de notre vie sociale, des liens que nous tissons avec l’autre.  

Agir aujourd’hui 

Le Covid-19 ne fait pas de différences entre les classes sociales lorsqu’il attaque. Mais son impact sur le quotidien met en lumière les inégalités sociales inhérentes à nos sociétés. Cette crise sanitaire s’en prend aux plus vulnérables : les personnes isolées, les familles dans des situations précaires, les sans-abri, les sans-papiers, les familles monoparentales, les victimes de violences intrafamiliales...  

Si les philosophes, écrivains, scientifiques et autres intellectuels de notre temps jettent sur la toile pléthore d’articles sur l’éloge du “chez soi”, de l’introspection et du bien-être intérieur, il est évident que cet appel doit nous servir à “nous réinventer individuellement et collectivement”. Dans une tribune pour le journal français l’Obs, l’anthropologue Scott Atran analyse la “distanciation sociale” comme étant contre-nature. (2) Elle ne peut durer indéfiniment. Pour preuve : des élans de solidarité s’organisent partout dans le pays via les réseaux sociaux, des collectes de dons sont mises en place, des citoyens applaudissent à leurs fenêtres tous les soirs en soutien au personnel soignants et toutes personnes obligées de travailler pour subvenir à nos besoins... Les citoyens agissent instinctivement de façon solidaire face à une crise. Mais cet élan de solidarité est-il voué à perdurer ?  L’union nationale, expression chérie par nos dirigeants dans leurs discours, va-t-elle survivre à cette crise ?   

Quels choix pour demain ? 

La situation alarmante des conditions de travail dans nos hôpitaux et du personnel médical en lutte depuis des années commence seulement à être perçue par la population. Dans un article du journal en ligne Pour l’Éco, Dominique Meda, sociologue du travail prévient : “Il s’agit aussi d’un moment opportun pour prendre en considération l’importance sociale des différents métiers.”(3) La sociologue pointe la nécessité des métiers du “care”, principalement pris en charge par les femmes qui ont le sait, sont dévalorisées dans leur rôle social et économique.  

Mais il s’agit aussi et plus largement de poser une réflexion sur les métiers essentiels de notre société, trop souvent oubliés : les caissiers des supermarchés, les ouvriers dans les industries et entrepôts qui permettent l’approvisionnement d’une série de produits et services, les agriculteurs, les facteurs, les éboueurs et la liste est encore longue.  

La solidarité a plusieurs visages : elle peut toucher un proche, un voisin, un inconnu qui assure un métier indispensable, une personne fragilisée, etc. Valoriser les métiers et les personnes nécessaires au fonctionnement de notre société, se concentrer sur nos rapports à l’autre, à nos proches sont des pistes de réflexion à poser aujourd’hui. Car demain, ce sera l’heure des choix : des choix politiques, individuels et collectifs que nous poserons, mais plus globalement du choix de la société que nous souhaitons, après s’être relevés de cette crise. 


  1. Coronavirus : l’épidémie doit nous conduire à habiter autrement le monde, Claire Legros, 23 mars 2020, Le Monde 

  1. Comment nous ferons face collectivement au coronavirus, Pascal Riché, 18 mars 2020, Le Nouvel Obs  

  1. Dominique Meda : la crise du covid-19 nous oblige à réévaluer lutilité sociale des métiers, Maxime Hanssen, 24 mars 2020, Pour lÉco