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Réenchanter la vie en ville

Réenchanter la vie en ville © MAXPPP BELGAIMAGE

Des tunnels bruxellois fermés en série... Un RER qui fait deux pas en avant, trois pas en arrière... Certains y voient les symptômes de la "malgouvernance" belge. D'autres, l'occasion de s'interroger sur les moyens d'améliorer la santé et le bien-être des citadins.


C'est quoi, pour vous, la ville idéale de demain ? À cette question, Patrick Le Galès répond très simplement. "C'est une ville dont les habitants sont en bonne santé. Donc, où la pollution de l'air a fortement baissé, grâce à une diminution de la présence de la voiture" (1). Patrick Le Galès n'est ni écologiste, ni médecin, ni patron d'une mutualité. Politologue et sociologue, il est le doyen de l’École urbaine de Science po, à Paris.

Les facteurs susceptibles d'influencer la santé des citadins sont, certes, nombreux. Mais, si on examine celui qui fait la Une des médias depuis un mois (la mobilité, la congestion, la pollution), on se dit, à écouter ce spécialiste, qu'il y a chez nous beaucoup de pain sur la planche.

En effet, qu'il s'agisse du réseau RER ou du délabrement des tunnels de la capitale, un constat se dessine. Dès l'éclatement des deux problèmes dans les médias, le débat s'est concentré sur les budgets manquants ou à prévoir, la (mal)gouvernance politique, les chantiers à venir, les itinéraires alternatifs, les impacts économiques du chaos, etc. Dans les travées politiques et dans la presse, les superlatifs ont fusé : "scandale sans visage", "chantier africain", "symbole spectaculaire d'une défaillance généralisée"...

"Par rapport à d'autres grandes villes, notre mobilité est devenue folle. les belges roulent tout le temps, partout. Le grand tournant vers la mobilité durable n'a pas été opéré"

Virage manqué

Mais de santé publique, pas un mot ! Ou si peu et si tardivement. Pourquoi cet oubli ? L'engorgement des villes et leur étouffement sous la pollution, essentiellement automobile, ont pourtant des conséquences bien documentées.

(Re)lisons le Conseil supérieur de la santé (2). "Chez l'enfant à naître, la pollution atmosphérique entraîne un risque accru de poids moindre à la naissance, de retard de croissance intra-utérine, de naissance prématurée, voire de décès ou de mortalité post-(néo)natale..." Après l'âge d'un an, "il existe un lien important entre cette pollution et l'aggravation des plaintes asthmatiques telles que toux, respirations sifflantes et difficultés respiratoires". Quant aux adultes, "les asthmatiques – notamment – présentent un risque plus élevé de cancer du poumon et de maladies cardiovasculaires à long terme".

L'Agence européenne de l'environnement enfonce le clou. Quelque 12.000 personnes, dans notre pays, meurent chaque année prématurément à cause de leur exposition à la pollution de l'air. "Cette source est fiable", appuie Alfred Bernard, toxicologue à l'UCL. Celui-ci observe, de son côté, des altérations du poumon profond chez les adolescents, causées par les particules fines. Et il commente : "Par rapport à d'autres grandes villes, notre mobilité est devenue folle. Les Belges roulent tout le temps, partout. Le grand tournant vers la mobilité durable n'a pas été opéré" (3).

Des villes plus respirables

Aucune protestation ni manifestation de masse, pourtant, dans nos cités. À peine ouvert, le débat sur la voiture de société se referme. Pourquoi cette timidité, au-delà du sempiternel constat du sentiment d'impuissance du citoyen et de la complexité du problème ? "Plus le risque est spectaculaire, plus il y a une tendance à le surestimer", commente Vincent Yserbyt (UCL), en référence au climat anxiogène autour des attentats de ces derniers mois. Ce professeur de psychologie sociale juge cela "gênant, puisque cela accapare l'attention du public – et des politiques – d'une manière disproportionnée" (4).

On peut évidemment s'activer pour restaurer les tunnels et boucler le RER au plus vite. Mais quantité d'urbanistes et d'architectes rêvent de solutions moins bricolées, plus ambitieuses pour des villes plus habitables. Remplacement des tunnels par des boulevards urbains piétonniers, trams à cadence rapide, rames magnétiquement suspendues pour regagner de l'espace au sol, tours végétales pour réguler la température urbaine, etc.

Redessiner les villes

Utopique, dira-t-on… Ou hors de prix. Vraiment ? L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à 18 milliards d'euros annuels, pour notre pays, le coût sanitaire de la pollution actuelle. "Il faut réenchanter la ville et gagner de la place pour faire face à l'augmentation inexorable de la population urbaine", estime Vincent Callebaut, architecte belge de renom, pressenti par la ville de… Paris pour redessiner l'urbanisme de la Ville-lumière en 2050. Il brasse large et voit loin.

L'enjeu n'est pas seulement celui de la santé, ni celui de Bruxelles. Des villes comme Liège, Charleroi, Namur… continuent à perdre une partie de leurs classes moyennes, relève Christophe Schoune, Secrétaire général d'Inter-environnement, sur base de récentes statistiques wallonnes (5). Ces classes moyennes trouvent, en périphérie, une qualité de vie meilleure et une moindre pollution qu'en ville, non sans exercer une énorme pression automobile sur la population urbaine. De là, relève-t-il, "le risque de dualisation sociale entre des populations fragilisées et les couches socio-culturellement privilégiées". Voire "une menace pour la cohésion sociale".