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Oser affronter sans haine

Oser affronter sans haine © Fotolia

Explosions. Fusillades. Paris. Sousse. Le Caire… Encore Paris. Maelbeek. Zaventem. Dacca. Nice... Puis cet égorgement d'un vieil homme face à son autel à Saint-Etienne-du-Rouvray... L'effroi ne connaît plus de recul. Le sentiment d'angoisse que l'on pouvait penser passager serait-il en train de se muer en perpétuité ? Même en écrivant ces mots – sans doute en les lisant également –, on est tenté de détourner la tête, de mettre notre esprit à couvert loin de cette réalité intolérable, de réfugier nos pensées là où elles pourraient s'anesthésier tranquillement.


Les attentats. La terreur. Faut-il encore en parler ? C'est tellement compliqué. Et puis est-ce bien raisonnable ? L'argument que médiatiser les attaques terroristes reviendrait à satisfaire la stratégie de Daech ne commence-t-il pas à percoler ? Pour autant, le silence témoignerait-il mieux de notre mépris ?

Tombe alors ce petit fait de la vie ordinaire, a priori anodin. Mais il crie à nos oreilles qu'on ne peut se taire. En toile de fond, la caisse d'un supermarché – de province comme disent ces Bruxellois imbus de leur statut de capitale. L'air est frais. La circulation en rayon fluide. Caissière et client en profitent pour se causer un peu. D'abord le ton est à la confidence. L'un et l'autre se rapprochent. Il est question d'immigration, des origines de l'un, de l'autre, du climat. Puis cela glisse vers les cantines dans les écoles et la nourriture halal. Et cela dérape. Cela plonge dans l'amalgame entre terroristes et musulmans. Cela s'engouffre dans le racisme anti... Anti qui, finalement ? Anti quoi ? Anti tout qui n'est pas soi. La scène se termine par un "Il est temps de mener une vrai guerre !" jeté avec force et fracas pour clôturer la conversation du duo. Alors qu'ils semblent chercher l'approbation à l'entour, ils ne peuvent que croiser mon regard effaré.

"Daech gagne à chaque fois que nous montons dans le sécuritaire. Il faut craindre cette rhétorique qui fait beaucoup de vent et de bruit"

Mains armées versus mains nues

Souhaiter la guerre ! Réclamer la violence armée comme une solution ! Où en sommes-nous donc ? Retour au recul critique, à la réflexion pour voir poindre cette conviction partagée avec Gabriel Ringlet en cette fin juillet : "le discours guerrier ne conduira à rien sinon à une augmentation de la violence" (1). "Nous tenons un discours sécuritaire, nous nous donnons l'illusion de lutter contre ce mal, mais au contraire nous l'aggravons fortement. Daech gagne à chaque fois que nous montons dans le sécuritaire. J'ai très peur de cette rhétorique qui fait beaucoup de vent et de bruit, explique l'homme d'église et d'ouverture. Le dialogue dominant devrait être un appel à la rencontre de l'autre, ce devrait être un appel à un pluralisme dynamique". Avec la poésie de la chanteuse Zaz, il enjoint à ce que "les mains nues se rassemblent".

Resserrer les liens

Même son de cloche, sous la plume du psychiatre français "en quête de sagesse" Christophe André. "Que la force et la bienveillance habitent nos cœurs. Écartons doucement et régulièrement la tentation de la peur et de la colère. Faisons tout pour que la justice règne. Resserrons nos liens avec nos proches et voisins de toutes communautés. Aujourd'hui plus que jamais, chaque parole et chaque geste comptent..." (2). Sont-ils des beaux parleurs ? De naïfs pacifistes ? Manquent-ils de réalisme ? Il en sera certainement pour le penser. Mais s'il est bien un chantier que l'on trouve juste d'empoigner, une posture que l'on ne regrettera pas d'endosser, c'est dans leurs exhortations qu'on les trouve.

La juste bravoure

Affronter sans haine, n'est-ce pas là un sérieux chantier ? Exercer une vigilance aigüe de démocrate, n'est-ce pas là la seule issue sensée ? Comme rappelait Christophe Mincke dans la Revue nouvelle aux lendemains des attentats de Bruxelles : la démocratie doit être pétrie d'une "mauvaise conscience". Celle-ci amène à considérer "tout pouvoir, tout usage de la force, toute peine, toute restriction des libertés comme suspect", comme un élément à examiner "avec circonspection par des démocrates toujours vigilants, toujours méfiants envers eux-mêmes, se soupçonnant constamment de n’être pas à la hauteur de leurs idéaux."(3).