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La guérilla des arrière-trains

La guérilla des arrière-trains © Patrick Allard/REA REPORTERS

Fesses, cuisses, jambes… c'est toute une histoire! À l'approche de l'été, les recettes pour dompter le corps – et ces parties gênantes en particulier – sont ramenées à la Une. Les magazines féminins ne se lassent pas de les raconter. La trame de l'histoire ne change pas. La quête semble être la même : davantage de finesse. Quoique… Çà et là apparaît l'attrait pour le galbé, le rebondi.


À coup d'exercices ciblés, d'aliments supprimés et d'autres privilégiés, de programmation d'une journée-type…, le champ de bataille en solitaire est balisé. De nombreuses madones s'y lanceront, de la donzelle à la matrone. Sans oublier quelques mâles. La bagarre apparaît simple. Elle laisse entendre que les résultats peuvent être rapides.

Surtout, elle est imprégnée d'une ambition aux accents chimériques. Est-ce à ces mannequins retouchés, placés en guise d'illustrations, que la combattante ressemblera, une fois la victoire décrochée? Les magazines et autres forums s'obstinent : si les recettes maison ne suffisent pas, l'arsenal chirurgical peut être mobilisé. On retire, rabote d'un côté. On ajoute, injecte de l'autre. Réduire des fesses trop larges, remplir des fesses trop plates, remonter des fesses tombantes, raffermir des fesses trop molles… Les scalpels et autres injections sont à disposition.

Facile ? Plutôt sanglant, voire meurtrier. Les publicités fourmillantes en préparation de la saison d'été auraient tendance à faire oublier qu'il y a là derrière des actes invasifs, une médicalisation nécessaire. La chirurgie esthétique – et encore plus sa petite sœur la médecine esthétique – tendent malheureusement à être présentées comme des pratiques banales visant au bien-être, à la réussite, des voies vers le succès amoureux, professionnel…, dénonce Jérôme Vincent, journaliste au Point(1). Pourtant, rechercher de cette manière une meilleure estime de soi est loin d'être sans risque.

Le sociologue Jean-Claude Kaufmann parle d'une véritable “guerre des fesses(2). D'après ce chercheur qui a le chic pour théoriser sur l'infiniment banal – les repas en famille, la gestion du linge et les couples, les sacs à main des femmes…, “les fesses n'ont jamais été autant torturées”. Longtemps dédaignées comme parties “honteuses”, un temps rehaussées de “faux culs” et autres postiches, elles constitueraient un ennemi de taille. Car la minceur voire la maigreur s'impose de nos jours comme un canon de beauté sans égal.

Une “machine folle”, dit Jean-Claude Kaufmann, “un piège collectif” alimenté par divers facteurs: un contexte de nourriture abondante, un univers de la mode dominé par le famélique, certains accents d'émancipation féminine, l'influence de conseils médicaux. Effets pervers des messages et conjugaison des facteurs donneraient à préférer une silhouette en I, plutôt qu’une silhouette en S… Et que dire de la O?

Le propos du sociologue ne s'arrête pas à cette guerre AUX fesses toujours trop grosses. Il décrit aussi la guerre DES fesses, qui opposerait deux camps: celui de l’ultra-minceur, dominant, à celui du “renouveau des courbes”, avec en figure de proue la virtuelle Lara Croft, à l’arrière-train galbé à souhait. Et d'évoquer les périlleuses injections de graisse, de silicone ou d'agents chimiques divers pour augmenter la circonférence fessière ou les solutions plus modérées comme les Wonderbra® version culotte pour positionner généreusement le haut du postérieur, les cours de Zumba pour mettre en valeur la cambrure… Quel sera l'effet de ce combat pour les rondeurs? Est-ce une parenthèse esthétique dans un vaste courant “minceur”? Une véritable alternative en développement? Une chose est sûre: quelle que soit la norme – minceur ou rondeur – ou quel que soit le modèle choisi, les notes tyranniques persistent.

Car il s'agit de ne plus subir son corps mais de le choisir. “L'individu moderne se retrouve avec de nouveaux pouvoirs, mais aussi avec de nouvelles responsabilités, observe Isabelle Queval, philosophe, ex-championne de tennis(3). Il faut entretenir ce corps, le soigner, chercher à vivre vieux. Plus on dispose de moyens techniques, de moyens d'informations (sur la nutrition, la médecine, etc.), moins on peut ignorer ses devoirs vis-à-vis de lui. Ainsi le rapport contemporain au corps est celui d'un pouvoir, mais aussi d'une culpabilité.” Mince ou rond par endroits, l'idéal est affiché, celui du corps “médico-sportif”, un corps sain et performant.