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Climat brûlant pour nos petits-enfants

Climat brûlant pour nos petits-enfants © Pixabay

Un monde plus chaud de 2 à 4 degrés exacerbera vraisemblablement les tensions à la surface de la planète. Dès lors, la question de la solidarité s'invite – plus que jamais - à la table des décideurs, notamment politiques, comme des simples citoyens.


À Liège, l'autre soir, une assemblée de militants syndicaux et d'acteurs du développement Nord/ Sud a tressailli, quelque peu hébétée, à l'analyse de François Gemenne, enseignant en sciences politiques dans plusieurs universités belges et françaises (1). Pour ce spécialiste de géopolitique, nous commettons l'"erreur tragique" de considérer la question climatique comme une pure affaire météorologique. "Toutes les grandes questions du 20e siècle – migrations, sécurité, santé publique, rapports Nord/Sud et même terrorisme – seront chamboulées par le climat au cours du 21e siècle".

Un monde plus chaud… et plus violent

Pourquoi ? Parce qu'un scénario considéré comme improbable il y a quelques années encore – une augmentation de la température moyenne du globe d'environ 4°C à la fin du siècle – est aujourd'hui devenu probable. Même la Banque mondiale le reconnaît. Oubliez la perspective prometteuse d'étés plus confortables : 4 degrés est une moyenne, ce qui signifie que certaines régions du globe – en Iran, au Koweït, au Pakistan, mais aussi aux États-Unis – vont devenir inhabitables. Un pays comme le Vietnam est quasiment assuré de perdre 10% de son territoire à la suite de la montée des eaux. "Les deux grandes zones de tensions futures sont l'Asie du Sud-est et l'Afrique subsaharienne, là où la démographie est déjà galopante", estime François Gemenne, car "un monde plus chaud sera un monde plus violent, puisque plus compétitif pour les ressources naturelles".

L'expert préconise d'éduquer prioritairement les "vieux" – et non les "jeunes" – à la gravité du phénomène en cours. Il est bien conscient, à cet égard, de ramer à contre-courant de l'opinion majoritaire dans l'univers de l'éducation et de la sensibilisation au réchauffement climatique. "Nous n'avons pas le temps d'attendre que la nouvelle génération arrive au pouvoir. Ceux qui sont aux manettes doivent agir dès maintenant". La raison en est simple : pour des raisons physiques, le réchauffement actuel est l'oeuvre de nos grands-parents – deux générations s'écoulent entre les émissions de gaz à effet de serre et les manifestations de leurs effets. De ce fait, lutter contre le bouleversement du climat est une affaire de solidarité intergénérationnelle : c'est pour nos petits-enfants que nous nous battons aujourd'hui !

Un paradoxe insupportable

Solidarité dans le temps, mais aussi dans l'espace, avec cette question éminemment morale : "sommes-nous capables d'altruisme envers des individus qui ne sont pas encore nés ou vivant dans des pays lointains ? Pouvons-nous reconnaître les habitants du Bangladesh ou d'îles du Pacifique (NDLR : menacés par la montée du niveau des mers) comme parties de nous-mêmes, membres d'une même humanité ?" La façon dont l'afflux récent de migrants en Europe a été géré laisse l'expert dubitatif, alors que d'autres régions du mon - de sont soumises à des flux migratoires bien plus importants qu'en Europe. "Nous vivons un paradoxe insupportable et intenable à long terme : la planète est de plus en plus mondialisée mais vit de plus en plus fracturée, rivée sur des frontières nationales."

Dans son ouvrage de 2015 (2), passionnant, François Gemenne proposait déjà, dans certains cas, de faciliter et d'encourager les migrations (comme stratégies d'adaptation au changement climatique), soit un "renversement total de perspective". Mais il prévient (3) : on n'arrivera à relever un tel défi que si on parvient à donner aux opinions publiques une image infiniment plus nuancée de la migration, débarrassée des préjugés et des clichés. Cela suppose de "faire le deuil de la simplicité". Enfin, à toutes les bonnes volontés individuelles qui veulent "faire quelque chose pour le climat" (dans leur façon de se déplacer, de manger, de se chauffer, de se vêtir, etc.), il invite à la vigilance. "Une victoire majeure de l'idéologie néolibérale a consisté à faire croire que nos choix individuels de consommation pouvaient façonner, à eux seuls, la solution collective au changement climatique. Ce faisant, elle a réussi à nous faire oublier le poids – bien plus considérable – des choix collectifs et des mobilisations sociales. Rouler à vélo ne sert pas à grand-chose si l'on oublie de militer pour des pistes cyclables"…