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Y a quelqu'un ?

Y a quelqu'un ? © PHOTOALTO BELGAIMAGE

"L'an 15 nous aura ôté beaucoup". À l'heure du traditionnel bilan annuel, fautil se rappeler le déroulé d'une année pavée d'effrois ? De mobilisations aussi. Elle a démarré avec des Je suis Charlie. Elle se clôture sur des Je suis Paris. Quelques élans de fraternité qui contrastent avec la presque officialisation d'un "snober contemporain".


"Phnober" fait partie des dix mots sélectionnés par l'UCL et Le Soir pour leur concours du nouveau mot 2015. Le néologisme signifie "faire mine d'ignorer les personnes proches, durant un échange verbal, en plongeant dans la consultation de son smartphone". Cette pratique du "snober contemporain", de plus en plus répandue, mériterait donc l'imprimatur des dictionnaires de langue française alors qu'une année se termine. Et pas n'importe laquelle.

La peur et ses conséquences

2015 touche à sa fin. On aimerait croire qu'une page se tourne. On aimerait se réfugier dans l'idée de la page blanche à venir. Souhait naïf pour l'an neuf. Comment la terreur aurait-elle pu passer par là sans dégâts ? La rédaction du magazine Philosophie, encline à poser de la réflexion sur le cours de nos vies, s'interroge. Et Patrick Boucheron y parle de la peur, de ses conséquences. "La vie reprend toujours ses droits, mais quand elle reprend, elle peut en avoir moins. Les droits, ça se perd politiquement et c'est difficile à reconquérir. Or de fait, nous le savons, et nous y acquiesçons, nous allons perdre certains droits, certaines libertés. Non, la pluie ne fera pas refleurir de plus belle le désert. Nous sommes affectés, c'est-à-dire que nous sommes diminués. L'an 15 nous aura ôté beaucoup." (1)

Peut-être l'an 2015 nous aura-t-il apporté aussi un peu. Quelques jours après les attentats de Paris, les journalistes étaient encore omniprésents dans le quartier du Bataclan. Le rédacteur en chef de Philosophie magazine, lui-même habitant du cru, tendait l'oreille aux réflexions des voisins. Celles d'un certain Philippe, 59 ans, par exemple : "Dans les grandes villes, il est devenu difficile de croiser le regard des gens. Ils sont trop préoccupés par leurs affaires, leurs yeux sont rivés sur leur téléphone, leurs oreilles sont bouchées par des écouteurs. Mais j'ai remarqué ce matin qu'on croisait plus facilement les regards. Les gens cherchent un contact". Quelques mots, une observation qui, sans décorum, fait entrer dans l'essentielles : se regarder, exister aux yeux les uns des autres. Oui, il est des "microtrottoirs" qui ne s'alimentent pas de broutilles.

Contrer les isolements

Ces croisements de regards emplis d'humanité vont-ils se prolonger ? Voire se multiplier ? C'est un souhait moins naïf celui-là pour l'an neuf. Un vœu qui ne date pas d'hier mais dont les événements récents réactivent l'espoir. "Inventer un nouveau nous", "se donner de nouvelles manières d'être ensemble", "créer une nouvelle fraternité"… Comme l'enjoignent les Serres, père et fils (2).

Le père, Michel, philosophe aguerri, octogénaire, explique comment, jeune homme, il a fait en sorte de trou ver la liberté dans l'anonymat. Il s'agissait de "se dégager des vieilles querelles de voisinage, de bornage, de cocuage, de concurrence commerciale. Dans ces villages où tout le monde se connaissant (…), le lien social était vécu comme policier et s'en libérer était considéré comme une émancipation".

Le fils, Jean-François, engagé auprès de l'association Les petits frères des pauvres, explique comment, à l'inverse, il cherche à se délivrer de l'anonymat, à trouver une place dans une société devenue mobile, une "société de déplacés". "L'espace public est l'espace de la non rencontre, de la solitude, et, finalement de l'intimité. (…) Prendre le temps d'être proche, voilà le défi qui nous est lancé". Ensemble, ils invitent à réinvestir nos relations de proximité, celles où l'on peut se toucher, s'appuyer sur le bras d'un autre…, à parsemer à nouveau nos calendriers de fêtes, de célébration collectives, comme par le passé.

La période n'est-elle pas propice grâce à la fête de Noël ou à son ancêtre festif le solstice d'hiver (3)?