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Un Ceta, et puis… plus rien ?

Un Ceta, et puis… plus rien ? © M. Cornélis

Quelques semaines de barnum médiatique. Puis plus rien. Le Ceta en a fini des patati, patata. Comme s'il avait quitté ce monde. Comme s'il s'était retranché dans ses milliers de pages rébarbatives. Comme s'il ne pouvait plus susciter que lassitude tant nos oreilles en ont été médiatiquement saturées. La vigueur démocratique aperçue ces dernières semaines est pourtant un bien précieux.


On a vu le signal "stop" barrant le TTIP et le Ceta, brandi dans les rues de Bruxelles. On a vu défiler une dizaine de milliers de citoyens opposés aux deux traités transatlantiques de commerce et d’investissement (1).

On a vu Chrystia Freeland, la ministre canadienne du Commerce, quitter l'Élysette en proclamant sa "tristesse", alors que des pourparlers avec le gouvernement wallon remettaient en cause la signature prochaine du Ceta.

On a vu le quartier européen à cran face aux "activistes" qui se bâillonnent, s'enchaînent, font parler les statues, recouvrent les panneaux publicitaires, se dénudent… bref rivalisent d'imagination pour se faire entendre alors que le calendrier de l'accord entre l'Union européenne et le Canada oscillait entre imperturbable et légèrement bousculé.

On a beaucoup vu Paul Magnette, un peu Benoît Lutgen aussi… et puis une série d'autres politiques et experts à l'écran, jour après jour, voire heure après heure, nous faisant vivre l'histoire mouvementée du traité. On a vu la signature reportée. Puis on a vu Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, remercier la Wallonie d'avoir rendu le Ceta meilleur…

Alors finalement, le Ceta version "améliorée", c'est quoi ?

La crispation avec les Parlements wallon et bruxellois a-t-elle accouché de quelque chose ? L'accord signé modifie-t-il la donne ? Éteint-il les craintes de voir les investisseurs multinationaux primer sur les États de droit ? A-t-il intégré le refus de revoir à la baisse des normes sociales et environnementales ? Etc… (2) Il n'est décidément pas facile d'y voir clair dans ces matières. On a en effet perdu quelque peu notre latin sur le sujet, marqué dès l'origine par le sceau de la complexité. Et les efforts de vulgarisation – dans le sens noble du terme – semblent encore promis à une belle éternité.

"Sur le fond, quelques avancées ont été obtenues", indiquent les ONG, mutualités, syndicats mobilisés autour de ces accords commerciaux. Tout en précisant dans la foulée que "de nombreuses zones d'ombre subsistent" et que la vigilance reste nécessaire. "Au rayon des avancées, on peut citer l’engagement de demander à la Cour européenne de justice de vérifier la compatibilité du mécanisme d’arbitrage avec les traités européens", précisent ces acteurs.

En effet, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États contenu dans la version originelle du Ceta leur fait craindre que l'intérêt commercial de gros investisseurs prime sur l'intérêt collectif. Il s'agirait d'en vérifier la légalité. Un point très sensible – voire décisif. D'autant plus que les entités fédérées belges ont "réaffirmé leur droit de mettre fin à l’application du Ceta si le mécanisme d’arbitrage n’était pas réellement réformé en une cour publique ou si des impacts sociaux ou environnementaux négatifs étaient constatés."

Citons aussi, parmi les adaptations apparemment engrangées et a priori positives dont témoignent les tenants de la campagne "stopttip" : la promesse d'une protection des services publics et des mutualités.

"Les textes semblent dire que chaque État pourra définir ce qu’est un service public ou un service d’intérêt général et l’exclure de toute obligation de libéralisation, c’est-à-dire de de mise en concurrence avec des entreprises privées étrangères, indiquent les organisations non gouvernementales. La nouveauté consiste dans le fait que la définition des services publics n’est plus celle de l’Union européenne, mais de chaque État membre (…)."

Une dynamique à maintenir vivante

Une analyse plus fine prendra du temps. Mais aujourd'hui, au-delà du Ceta, au-delà des rapports entre le "vieux continent" et le territoire du sirop d'érable, c'est la vigueur démocratique que l'on a envie de retenir de cette histoire.

D'aucuns y voient une étincelle allumée dans l'esprit des citoyens – et des institutions parlementaires – pour qu'un travail d'analyse, de réflexion et de positionnement soit à leurs agendas. L'espoir de l'implication citoyenne vaut pour ce traité, comme pour d'autres. Il vaut également pour tant de sujets complexes, rejetés aux oubliettes de sphères kafkaïennes, si peu "sexy" pour nos esprits parfois lassés, découragés.

Car de la patience, il en faudra ! L'avis de la Cour européenne de justice par exemple pourrait n'être formulé que dans deux ans. Une fraction de seconde au regard des enjeux à débattre. Un siècle au regard du dynamisme nécessaire pour les empoigner et les garder vivants dans l'opinion publique.