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Se défendre : l'ultime violence ?

Se défendre : l'ultime violence ? ©HANSLUCASCOLLECTION/Belga

L’espace public est de tous temps le théâtre de contestations citoyennes. La violence contre l'État est-elle l'expression inévitable des populations dessaisies de leurs droits et de leurs libertés ? Comment l'expliquer ? Cette violence est-elle une fatalité ?


Juin 2020. Partout aux États-Unis et dans le monde, des foules de manifestants grondent de colère contre la mort de Georges Floyd, étouffé par un policier. Des heurts inévitables éclatent entre manifestants et forces de l'ordre. Des suites de ces événements, la question du colonialisme enflamme les débats publics en Europe. Des manifestations s’organisent, des statues sont déboulonnées, des monuments vandalisés. Violences sociales, racistes, économiques et politiques battent les corps médiatiques et privés. Une déferlante de propos manichéens inonde les médias et les réseaux sociaux. On est pour les uns et contre les autres. Peu de place au débat, à la réflexion et à la mise en perspective de cette violence qui traduit pourtant un mal-être tangible d'une partie de la population. Et si cette colère effraie, la menace d'un désordre public justifie-t-elle l'usage de la violence ?

Histoire d'une violence organisée

L'Histoire nous rappelle que les rapports de force et de domination de groupes ont toujours engendré la violence. Elsa Dorlin, professeure de philosophie à l'université de Paris 8 et auteure du livre Se défendre, une philosophie de la violence, (1) éclaire ces rapports en avançant le principe d' "autodéfense politique". Qu'ils'agisse des résistances esclaves, de la création des armées citoyennes pour la défense des nations, du ju-jitsu des suffragettes, en passant par la lutte des Black Panthers, tous ces groupes et mouvements ont usé de la violence en vue de défendreleur intégrité, leur corps, leurs droits, leurs libertés. Face à ces mouvements protestataires, un État dominant qui, pour asseoir son autorité et "préserver" l'ordre public, déploie de son côté les forces de la répression. Un cercle de violence infernal causé par la frustration, l’humiliation, la colère des uns et la peur des autres.

Cette analyse rejoint celle de Marco Martiniello, sociologue à l'Université de Liège, qui revenait sur les émeutes de mars 2021 à Liège, dans l'émission Matin Première de la RTBF. D'une manifestation pacifiste pour le mouvement "Black lives matter", l'événement a transformé la Cité ardente en champ de bataille. Pour le sociologue, la violence de ces jeunes est le produit "d'une société inégalitaire".

Les inégalités de traitement, les contrôle de police au faciès, les discriminations en tous genres sont les ingrédients d'une violence systémique poussant au rejet, à la rupture de confiance envers le pouvoir politique jugé non-représentatif de tous les citoyens. Des politiques logés dans une tour d’ivoire, déconnectés des réalités du “peuple”.

Certains ont tenté d'établir des stratégies de renversement de régimes violents et totalitaires sous un principe d'actions non-violentes. Le plus connu d'entre eux est sans nul doute Gandhi et sa doctrine "satyagraha" basée sur la non-violence et le respect de la vérité. Une autre figure emblématique des révolutions a tenté de mettre en place des stratégies "non-violentes" : Srdja Popovic, auteur du livre Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes. (2) Bien que controversé, il est connu pour être l'"architecte secret" du printemps arabe et apôtre de la lutte non-violente qui fit tomber le Président serbe, Milosevic, avec son mouvement "Otpor !". Ce fin stratège s'emploie à la mise en place d'actions pacifistes, organisées et créatives pour déranger le pouvoir, jusqu’à son éviction. 

La violence, une fatalité ?

Au regard de ce que l'Histoire de la violence nous apprend et de ses origines, on peut penser qu'elle n'est pas une fatalité. Car comprendre, c’est prendre conscience d’un état et remédier à son dysfonctionnement. Et dans le contexte de plus en plus tendu que nous vivons actuellement, il est utile de se le rappeler. Si des événements violents ont lieu dans l'espace public, c'est aussi parce que les populations accumulent des frustrations, subissent des injustices sociales et des discriminations davantage exacerbées avec la crise. Aujourd'hui des actions non-violentes de protestations citoyenne sont organisées. Le mouvement Still standing for culture ou encore Bezet La Monnaie occupée dénoncent la précarité des jeunes artistes et de la culture, et protestent par des prises de paroles publiques pacifistes. Ces appels doivent également être entendus. Favoriser le dialogue afin de réinstaurer la confiance entre les parties représentant l'autorité publique et politique et les citoyens. Faire rencontrer les jeunes et les forces de l'ordre pour en dégager des pistes concrètes de solutions. Déployer des dispositifs de participation citoyenne dans le débat démocratique. Mettre en place une politique de communication pour tous les publics...Les moyens pour démanteler les rapports de domination dans nos sociétés qui gonflent les inégalités sociales et briser la spirale infernale de la violence ne manquent pas. Il n’y a qu’à. 


1) "Se défendre, une philosophie de la violence", E. Dorlin, Ed. La Découverte/Zones, Paris, 2017.

(2) "Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes", S. Popovic, Ed. Payot, Paris, 2015.