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Punir la transmission du VIH ?

Punir la transmission du VIH ? © Ph. Turpin BELPRESS

Poursuivre une personne en justice parce qu'elle a, consciemment ou non, transmis le VIH à un(e) partenaire, c'est possible. Du moins, dans les pays qui pénalisent la transmission du virus. En Belgique, la question est de plus en plus fréquemment posée aux associations de terrain. Une récente journée d'étude (1) met en lumière les conséquences dramatiques de la criminalisation sur la prévention.


Il est des pays, comme au Canada, où la contamination n'est pas nécessaire pour poursuivre un individu en justice. La simple non-divulgation de sa séropositivité, connue ou même supposée, suffit à le condamner pour agression sexuelle grave. Ni plus ni moins. Au risque que la supposée dissimulation crée de la suspicion dans le couple. L'adoption d'une loi taillée sur mesure pour juger les cas de transmission du VIH fait des Canadiens les leaders mondiaux en la matière.

Jusqu'à aujourd'hui, 175 personnes ont été poursuivies en justice pour non-divulgation de leur statut sérologique. Des cas de transmission d'herpès et d'autres maladies font même leur apparition dans les tribunaux.

En Belgique, on n'en est pas – encore – là. Mais un cas particulier a défrayé la chronique et ouvert la porte de la pénalisation de la transmission : "le procès de Huy", en 2011. Aux termes de celui-ci, un homme fut condamné à trois ans d'emprisonnement (dont deux avec sursis) pour trois faits d'accusation : "transmission du VIH à son ex-épouse, tentative de transmission à d'autres femmes, coups et blessures". En l'absence d'une loi spécifique considérant les cas de transmission du VIH, les articles 405 et 402 du code pénal sont invoqués : "transmission de substances pouvant donner la mort ou altérer gravement la santé".

Criminaliser la transmission du VIH ?

Le législateur belge adoptera-t-il un jour une loi spécifique pour punir la transmission du VIH ? Certains éléments de contexte pourraient l'y encourager. Par exemple le "oui" partagé par 88% des répondants de l'enquête de santé par interview (2) à la question : "Êtes-vous d'accord qu'il faut traduire en justice les personnes qui se savent séropositives et qui ont des rapports sexuels sans précaution et sans avertir leur partenaire ?". Mais aussi les questions parlementaires sur ces matières et l'influence des pays voisins où des plaintes surviennent.

Autre élément : l'avis du Conseil national de l'Ordre des médecins sur la transgression du secret professionnel en cas de mise en danger d'autrui par une personne séropositive. De l'interdiction formelle en 2000, le Conseil est passé, en 2009, à la responsabilité du médecin de divulguer au "partenaire stable" la séropositivité d'un patient en cas de nécessité.

La pénalisation n'est pourtant pas la panacée. Des expériences menées devants les tribunaux ressortent de réelles difficultés à déterminer, par exemple, le moment exact de l'infection et l'intention de l'auteur. De plus, l'accusation se base souvent sur l'analyse génotypique, c’est-à-dire la proximité génétique entre deux souches du virus. Celle-ci ne dira rien sur la date de la transmission, sur sa direction (du sujet A vers le sujet B ou inversement) et exclut quasi systématiquement la possibilité de transmission par une tierce personne.

30 ans de perdus

La pénalisation de la transmission du VIH pose d'autres questions. D'abord en matière de prévention. Les "séropos", obligés par une loi à divulguer leur statut sérologique (même protégés ou avec une charge virale basse), seraient-ils les seuls responsables de la santé de leur(s) partenaire(s) ? Ces derniers n'ont-ils pas aussi le devoir de se protéger et de protéger l'autre ? C'est une sérieuse remise en cause de 30 ans de lutte contre le sida, axée sur la responsabilité de chacun et sur la solidarité.

Outre la responsabilité, il y a la peur. Peur de se savoir infecté par le VIH car la connaissance de son statut sérologique facilite une condamnation. Donc peur du dépistage, un élémentaire outil de prévention. Peur aussi de se dévoiler avec, pour conséquence, une difficulté à s'engager dans des pratiques sexuelles aux risques limités ou à accéder à des traitements post-exposition.

Finalement, chaque personne accusée est aussi une victime qui pourrait porter plainte à son tour. La justice saura-t-elle traiter un nombre conséquent de dossiers ? Pourra-t-elle également assumer la surreprésentation, sur le banc des accusés, des personnes dont la précarité d'existence limite l'accès aux soins de santé ?

Étrangement, la criminalisation de la transmission du VIH émerge au moment où il est devenu possible de vivre plus ou moins sereinement avec le sida. Plaider en sa faveur, c'est aussi favoriser que soient véhiculées des représentations sociales et stéréotypes d'une autre époque. Ceux d'il y a 30 ans.