Retour à Archives opinions

Pourtant le temps ne s'est pas arrêté…

Pourtant le temps ne s'est pas arrêté… © Nicolas Maeterlinck

Époque bousculée. Époque marquée par l'horreur et l'incompréhension. Le terrorisme s'est placé tout contre nous. Au risque d'envahir nos êtres. Pour résister et regarder vers demain avec lucidité, il est des hommes et des paroles qui font sens.


Le temps de la stupéfaction

Le mardi 22 mars, la Belgique se réveille groggy, frappée en plein cœur par les attaques terroristes perpétrées à Bruxelles. Dans l'air de la capitale et au-delà, l'émotion est palpable. L'onde de choc résonne. D'abord, chacun cherche les siens – parents, amis, connaissances –pour se rassurer. Les réseaux mobiles saturent. Et l'angoisse croît. Les images déboulent. Et la stupeur se fait envahissante. De temps à autre, aujourd'hui encore, alors que quinze jours se sont écoulés, l'atterrement se fraye un chemin dans nos esprits. Ces quatre cents mecs vêtus de noir qui déboulent à la Bourse font froid dans le dos. Ces stations de métro et de tram éteintes où l'on passe sans ouvrir les portes raniment l'angoisse. Ces blindés aux coins des rue donnent à Bruxelles un visage de guerre.

Le temps de la quête de liens

Ne voilons pas une autre face: celle de la grande humanité qui se déploie aux coins des mêmes rues. Les dessins à la craie, les messages d'espérance, les fleurs, les bougies et les drapeaux réunis en hommage aux victimes abondent. Comme autant de signes bravant l'interdiction de manifester même contre la haine. Comme autant de symboles d'une fraternité qui s'élèvent malgré la peur, la fureur. "Ils ont eu le sang, ils n'auront pas la haine", lançaient les associations Justice et Paix, Magma, Pax Christi au soir des attentats. "Nous ne leur offrirons pas ce succès, affirment avec conviction ces groupements de citoyens. Notre résistance au terrorisme passera au contraire par un surcroît de rencontres, de débats et de réflexions. (…) Chaque pensée, chaque acte d’ouverture et de paix constituera une défaite de la terreur et une victoire de l’avenir." (1) Est-ce de la naïveté ? Il est rude notre temps où parler d'amour du prochain ne peut se faire qu'en s'excusant presque de considérer la réalité sur un mode "bisounours".

Le temps de la quête du sens

Dans la souffrance ont pourtant surgi des paroles de résistance, qui viennent toucher à l'essentiel de nos vies. Comme celles émouvantes dans leur dignité du journaliste de la RTBF, Michel Visart dont la fille Lauriane compte parmi les victimes des attentats. Il parle du respect et de la tolérance qu'il faut cultiver pour le futur. Tout en souhaitant comme il le précise "ne pas faire du pathos", il ajoute le mot "amour" pour s'élever contre les murs, l'exclusion, la haine… D'autres victimes, même mutilées, même traumatisées pour longtemps, témoignent dans ce sens, au micro des médias qui se pressent. Impressionnante leçon et sagesse dissonante avec le bruit ambiant fait de directs, d'images en boucle, de schémas simplifiés…

"Que la justice soit faite, mais que la fraternité soit un rempart contre tous les discours et tous les actes de haine..., écrit l'écrivain psychiatre Christophe André, après les attentats. Bienveillance et fraternité ne suffisent jamais à faire reculer la violence, surtout lorsqu'elle est méthodique, réfléchie, idéologique, obtuse. La justice, la police, l'éducation, la fermeté, le courage, la solidarité restent indispensables. Mais la bienveillance et la fraternité sont les seules à même de freiner la diffusion des peurs et des haines réciproques, elles seules sont à même de préserver notre discernement, de ne pas ajouter de vaines colères, des ressentiments destructeurs et aveuglants, dans cet indispensable et délicieux 'vivre ensemble' dont parlent les sociologues." (2) 

Et la vie qui continue… plus vivement

"Se blinder n'a pas de sens", dira lui aussi le théologien Gabriel Ringlet à l'antenne de Matin Première. "Il y a une épée de Damocles au-dessus de nos têtes, à laquelle il va falloir s'y habituer et considérer qu'elle fait partie de notre existence de tous les jours, qu'à tout moment je peux être rattrapé par cette violence, et que je ne dois surtout pas me laisser absorber par cela." L'ancien vice-recteur de l'UCL soutient que les expressions de solidarité ne vont pas s'arrêter et dit son espoir dans le renforcement du dialogue entre les communautés. "Un de mes tout grand espoir c'est la nomination de Mr Salah Echallaoui à la tête de l'exécutif des musulmans de Belgique. (…) Nous avons la responsabilité d'encourager ceux qui, au sein même du monde musulman, sont résistants et veulent une interprétation ouverte de ce qui les habitent."

"Pas de baguette [magique] à portée de main", rappelle le journaliste Nicolas Vandenschrick dans sa chronique de la presse intitulée Hier, le printemps avait officiellement deux jours. "La lutte prendra du temps. Et ceux, les populistes qui promettent le contraire sont des menteurs. Dire qu'il suffit de… - c'est mentir. Qu'il suffit de rétablir les frontières en Europe. Qu'il suffit de bombarder les villes syriennes au main du djihad. On n'a pas besoin de vendeurs d'illusions. Hier déjà. Aujourd'hui encore plus, mieux vaut reconnaître que le phénomène est complexe. Et ça, mieux vaut le dire aux p'tits blonds, aux petites brunes qui deviennent des adultes trop vite...