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Le musée, pour voir autrement

Le musée, pour voir autrement © Pixabay

La première visite au musée… qui s'en souvient ? C'était peut-être lors d'un voyage scolaire ou de vacances en famille. Un contact, doux ou amer, qui a provoqué l'ennui ou l'envie de parcourir de nouvelles salles aux trésors. Quelle est la place des musées dans nos vies, aujourd'hui ?


Souvent, encore, le musée est cet incontournable lors d'un city-trip, passage obligé pour les uns, lieu de palpitations pour les autres. La plupart des mastodontes qui font la renommée des Capitales n'ont franchement pas à rougir de leur taux de fréquentation. Et pourtant, de nombreuses oeuvres sont accessibles par le prisme de l'écran, en une pression de pouce. Face à ces nouvelles pratiques culturelles, comment vont évoluer les musées ? Doivent- ils exploiter les infinies possibilités des outils numériques ? Quitte à se transformer en espace multimédia ? Milan a tout récemment accueilli une "Klimt experience". Des tableaux du peintre autrichien ont été projetés en grand format sur les murs et plafonds du Mudec (1). Une "exposition-spectacle" permettant de s'immerger dans l'univers de l'artiste. Un peu plus au nord, le collectionneur néerlandais Georges Kremer vient de créer un musée d'un nouveau genre. Ici, pas de galeries, de cafeteria, de guichet d'accueil et de gardiens qui déambulent. Grâce à un casque de réalité virtuelle, il est possible de découvrir 70 tableaux de grands maîtres de l'art hollandais et flamand du 17e siècle. Sans se déplacer, sans croiser d'autres visiteurs, et avec pour seule compagnie l'hologramme du fondateur qui fournit quelques commentaires audio.

L'image de l'oeuvre n'est pas l'oeuvre

Cette nouvelle manière d’appréhender l'art ne laisse pas de glace. Elle peut réjouir, révulser ou interpeller. Si toute oeuvre, ou presque, est virtuellement accessible, pourquoi alors aller au musée ? "Parce que c'est d'abord une expérience émotionnelle, et physique, dit Anne Querinjean, directrice du Musée L à Louvain-la-Neuve. Au Musée L, on a eu l'audace de privilégier la proximité physique avec les oeuvres. On en a besoin aujourd'hui, car je pense que l'on est parfois trop expatrié de soi, de son corps, et propulsés dans d'autres dimensions." Claire Leblanc, conservatrice au musée d'Ixelles, va un cran plus loin et pense que "le contact avec l'oeuvre offre une dimension incomparable. La gestion des images change et les musées doivent s'adapter à ce phénomène mais ils doivent toujours veiller à donner conscience que l'unicité de l’oeuvre ne peut passer que par le musée. C'est pour cela qu'il y a encore tant de gens qui se postent devant la Joconde pour faire un selfie, ils ont besoin de la voir plutôt que de voir son image sur Internet".

Privilégier les sens et les émotions

Le dos plié pour capter le regard du Penseur, les yeux dans les yeux avec la jeune fille à la perle, le demi-sourire devant une casserole de moules… Une virée au musée invite au mouvement et peut être vécue de mille manières. C'est cela aussi, son atout. Le musée offre des possibilités d'expériences multisensorielles. "On peut y venir en promeneur solitaire, rêveur, ajoute Anne Querinjean, on peut y chercher un lieu pour dessiner, écrire, observer, photographier, même avec son smartphone. On peut y privilégier les interactions avec un groupe et un guide. Et cela à tous les âges. Le musée, ce n'est pas un lieu de consom mation technologique, c'est un voyage avec soi, avec d'autres humains, d'autres cultures et d'autres temps. Ça donne de la joie, de la force, des questionnements, c'est un lieu d'apaisement et de bousculement. Oui, le monde est toujours en mutation, mais ça n'efface pas le besoin de se recentrer qui va persister, peut-être encore de manière plus prégnante."

Vigilance et défis

Et ce foisonnement d'images, est, selon Claire Leblanc "aussi une opportunité d'être plus vigilant sur le contenu proposé par les institutions muséales, de casser les verrous, les cases ficelées et de surprendre le visiteur, sans oublier d'offrir des clés de compréhension". Et, "il est possible d'être divertissant et porteur de valeurs", explique Pierre-Olivier Rollin, directeur du BP22 à Charleroi. "Le musée est un lieu de développement qui permet de voir autrement. Développer des applications numériques qui sont des outils supplémentaires pendant ou après la visite, cela a du sens. Mais proposer une expérience médiatisée pour un objet qui n’était pas destiné à l’être n’est pas toujours une bonne idée."