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Le double visage de l'allocation universelle

Le double visage de l'allocation universelle © BELGA_AFP

Verser à chacun un revenu de base universel et inconditionnel, l'idée n'est pas neuve. Sous nos latitudes, elle titille durant les années 80. Trente ans plus tard, le sujet bénéficie à nouveau d'une saison favorable. Tout en débats vifs.


La crise financière de 2008 n'est sans doute pas étrangère au regain d'intérêt pour l'allocation universelle. Ses preux chevaliers en sont toujours Philippe Defeyt, Paul-Marie Boulanger ou Philippe Van Parijs. Une idée qui séduit à nouveau, remarquent les Équipes populaires, invitant à en débattre cet automne (1). "Elle a notamment l'oreille de nombreux jeunes qui se sentent privés d'horizon et dramatiquement abandonnés aux emplois précaires", observe l'organisation d'éducation permanente. L'oreille aussi de "nombreuses personnes que les politiques d'activation détruisent. De nombreuses personnes qui ne se retrouvent plus dans le système et sont prêtes à le lâcher avant qu'il ne les lâche…". Une "seconde jeunesse pour l'allocation universelle", titrait en novembre 2013 la revue Démocratie (2).

Côté face

Mais que proposent les penseurs de l'allocation universelle ? Autour du principe, les scénarii sont pluriels. Ils varient selon les pays, les écoles. Centrons-nous sur l'idée qui vit tout spécialement dans le débat belge. Il s'agirait d'un revenu de base inconditionnel, c'est-à-dire octroyé indépendamment des revenus, du statut, de l'âge… L'allocation se chiffrerait à 500 ou 600 euros. Elle constituerait un socle. Les allocations de chômage ou de retraite et certains dispositifs d'assurance ou d'assistance sociale ne disparaîtraient donc pas, mais viendraient s'ajouter à ce revenu socle.

Philippe Defeyt, co-promoteur du concept et, par ailleurs, président du CPAS de Namur, met en avant une série d'avantages à l'allocation. Elle simplifierait le système actuel de redistribution des revenus qui entremêle les dispositifs sociaux. Elle mettrait fin aux contrôles sur la vie privée notamment en matière de cohabitation. Elle induirait une moindre dépendance de nos vies à l’emploi - qui d'ailleurs se fait plus rare. Elle libérerait la créativité et les énergies pour développer des rêves, sans attendre le temps de la retraite.

Côté pile

Mauvaise idée, clame notamment le sociologue de renom Mateo Alaluf. "Instaurer une allocation universelle reviendrait à fragiliser la sécurité sociale et à dédouaner les pouvoirs publics de leurs responsabilités en matière de politiques sociales." L'allocation serait facteur de dérégulation du marché du travail, en maintenant des emplois à bas salaire pour compléter le revenu de base, en accélérant l'"uberisation" de notre modèle économique et social. Elle ouvrirait "une large avenue" à la privatisation, notamment aux fonds de pension ou aux assurances privées auxquels ceux qui ont les moyens pourraient avoir recours pour compléter le socle de base. Avec, pour conséquence, un fossé accru entre les plus pauvres et les plus nantis.

En bref, un effet contraire aux intentions des promoteurs de l'allocation universelle. À l'heure où la sécurité sociale se fait plus qu'écorner, Mateo Alaluf voit dans l'allocation universelle un piège qui sonnerait son glas. Il partage néanmoins le constat sur de nécessaires réformes. Mais il plaide pour d'autres dispositions : une augmentation des minima sociaux, une diminution du temps de travail – travailler moins, pour travailler tous -, des pensions décentes, la mise en place d'un revenu maximal…

Le mérite du débat

Soutien à l'autonomie ? Menace pour la cohésion sociale ? Le débat est vif entre les jouteurs qu'on ne manque pas de croiser sur le terrain de l'allocation universelle. Comme l'écrivent Xavier Dubois et Christine Steinbach dans le dossier des Équipes populaires consacré à la question : "La force d'une utopie est bien souvent de permettre au débat public de se renouveler et à des horizons de s'ouvrir". Ici, le champ est vaste. Il met en discussion des principes essentiels qui font le socle d'une société : la solidarité, la justice sociale, la liberté des individus, les droits collectifs, la démocratie sociale… En bref de quoi bousculer notre vision de l'avenir.