Retour à Archives opinions

La puissance de la fragilité

La puissance de la fragilité © iStock

"Il y a une faille en toute chose, c'est par là qu'entre la lumière," (1) chantait l'homme à la voix "papier de verre", Léonard Cohen. Les propos du poète résonnent avec ceux d'une ingénieure. Un tout autre genre. Mais, quand elle évoque une nouvelle dynamique économique pour demain, on a aussi envie d'être emporté. Par la puissance de la fragilité. 


Isabelle Delannoy est chercheuse, ingénieure agronome. Voici un an, en mars 2017, elle terminait l'écriture d'un livre au titre intriguant : "L'économie symbiotique. Régénérer la planète, l'économie et la société" (2). L'ambition est de taille. L'essai est épais. Le voilà sur les étals des libraires en bonne place. Rayonnant d'enthousiasmes pour l'avenir. 

Une métamorphose de notre société

"Lorsqu’il y a dix ans, je me suis mise en quête de solutions face au désastre écologique en cours, j’ai découvert qu’aux quatre coins du globe émergeait une véritable économie capable de régénérer ses ressources, explique la chercheuse. Cela concerne le vivant (à travers la permaculture ou l’agroécologie) comme les systèmes sociaux (les expériences de gouvernance partagée) et l’industrie (l’économie circulaire)." (3) Tiens, le film Demain (sorti en décembre 2015) et son tour d'horizon d'initiatives porteuses pour l'avenir nous reviennent en mémoire. Et non sans raison, les liens se font. Cyril Dion, coréalisateur du documentaire au succès inattendu, participe aussi à l'édition de L'économie symbiotique. La publication marque comme un pas de plus. Celui d'une théorisation. "Elle pourrait bien être la première théorie radicalement nouvelle depuis les dernières décennies, estime d'ailleurs le comparse de Mélanie Laurent. Elle implique une métamorphose complète de notre façon de voir le monde, ce qui est grisant" (4).
 
Une métamorphose ? En effet, la chercheuse, Isabelle Delannoy éclaire les marques d'"une nouvelle logique de pensée et d'action", où le principe directeur serait la "symbiose". C'est-à-dire "l'association intime entre des organismes qui, tout en restant distincts, vont provoquer par leur complémentarité d’importants bénéfices mutuels pour une dépense énergétique minimale". Elle en perçoit les prémisses dans une série de domaines et surtout les potentialités. Des villes autonomes en énergie, en nourriture et en eau, ou la réduction de 90 % de notre usage des matières premières, par exemple.
 

Êtres complémentaires

Trouver, dans les différences, les complémentarités, voilà ce qui se passe dans le processus de symbiose. Et la chercheuse avertit : "c'est sur nos points de faiblesse que les complémentarités naissent." "Nous ne devons pas avoir peur de notre fragilité, conclut-elle. Elle est puissante car elle agrège. (…) Celui qui veut avoir toutes les forces n'agrège pas, il domine. Et, dominant, il fait peur et éloigne. La symbiose est le mécanisme le plus puissant et le plus subtil du vivant. (…) elle est le lien intime qui nourrit, n'appartenant ni à l'un ni à l'autre et à tous en même temps".
 
Une raison de plus pour "accepter notre vulnérabilité comme un trésor", tel que le rappelait récemment encore Ilios Kotsou, docteur en psychologie et "chercheur en bonheur" sur les antennes de la Première (5). Souvent nous sommes "le plus impitoyable juge" envers nous-mêmes, et par voie de conséquence sur les autres. "Tellement accaparés par l'urgent plutôt que par l'important, tellement sollicités par une vie bien occupée et par l'information en continu, tellement déterminés par nos habitudes, notre passé", qu'il s'agirait de ralentir, de déployer davantage d'amitié envers nous-même et de mettre notre énergie sur les choses que l'on peut réellement changer, véritablement et modestement.