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L'Union européenne au bord du gouffre ?

L'Union européenne au bord du gouffre ? © Fotolia_montage © Denis_pc © fiore 26

L'idée européenne a charrié son lot de rêves : celui d'une union entre voisins, d'une pacification entre ennemis, d'une proximité de pensées vers davantage de solidarité. Mais ça, c'était il y a longtemps… Aujourd'hui, l'Europe suscite plus qu'à son tour incompréhension, colère, désarroi dans le cœur de nombreux citoyens. Avec la tentation vive de s'en détourner.


Multiples raisons de douter

Tantôt on entend parler de Grexit : nom médiatique donné à l'éventuelle sortie de la Grèce hors de la zone euro. En cause : des désaccords sur les politiques d'austérité imposées par la Troïka (Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international).

Tantôt c'est de Brexit dont il s'agit. Les Britanniques s'interrogent pour la nième fois sur leur maintien dans l'Union. Un référendum est programmé pour juin. Tantôt, les marchandages européens avec la Turquie - et un Erdogan, président turc peu enclin au respect des droits de l'homme - soulèvent des inquiétudes sur la manière de traiter la question des migrants qui fuient notamment la Syrie voisine. Tantôt les négociations opaques d'accords pour un marché transatlantique, pour le commerce des services (TTIP, ACS, Ceta…) (1)… entraînent l'inquiétude de voir des biens communs bradés, sacrifiés sur l'autel de la concurrence mondialisée.

Et que dire du perpétuel sentiment citoyen de n'y rien comprendre aux arcanes de ce niveau de pouvoir ? Face à l'Europe, beaucoup sont "en décrochage", observait Pierre Georis du MOC, lors de la dernière Semaine sociale au thème évocateur : "Au bord du gouffre, l'Europe s'apprête à faire un grand pas en avant !" (2). De l'avis du Mouvement, ce pas se doit d'être très grand, au risque de tomber dans le gouffre.

Un souci congénital ?

L'Europe tombera dans le gouffre si elle ne marque pas un pas assez grand. © Fotolia_montage © Denis_pc © fiore 26

Une Europe sociale où progresse la solidarité, voilà qui tiendrait lieu de mission plus que périlleuse. Parce que, dans les fondements européens mêmes, le marché et ses intérêts seraient dominants. Parce qu'on se serait contenté de croire que le progrès économique allait d'office entraîner le progrès social. Parce qu'au fil du temps se serait imposée l'idée que "le social" constitue une entrave à la compétitivité économique. Parce que la liberté économique serait le graal et le Conseil économique européen, son meilleur chevalier.

Aujourd'hui, des analystes évoquent l'ordo-libéralisme intrinsèque à l'Union. Qu'est-ce donc ? "(…) les ordolibéraux défendent l'intervention des pouvoirs publics [NDLR : se différencie du laisser-faire libéral], mais pas n'importe quelle intervention, précisent Cécile Barbier et Étienne Lebeau dans la revue Démocratie (3). Il ne s'agit pas de construire un État social qui protège les citoyens des méfaits du marché (État providence), mais au contraire de protéger le marché de l'interventionnisme social des États. Cet interventionnisme ordo-libéral vise non à annuler les effets anti-sociaux de la concurrence mais anticoncurrentiels de la société". Ainsi, les principales réussites de l'Union se borneraient au marché intérieur et à l'euro. Mais même ces "acquis" sont en danger.

"Face à la 'crise d'identité' européenne, il est temps de changer de logiciel."

Au-delà de la fatalité…

Voit-on des issues ? Malgré le pessimisme qui l'habite, la professeure de droit social Pascale Vielle (UCL) avance quelques pistes (2). De véritables renversements. Comme celui de recomposer le rapport de force avec les citoyens au sein des institutions européennes.

Aujourd'hui, a contrario, le fonctionnement démocratique s'efface derrière le pouvoir des lobbies (4). Comme celui d'entamer une véritable révolution de pensée politique en renonçant à subordonner économique et social. Comme celui finalement d'inventer un nouveau référent normatif : la justice sociale, et la choisir comme valeur commune à mettre en œuvre à l'échelon de l'Union. Face à la "crise d'identité" européenne, il est temps de changer de logiciel, enjoint Nicolas Van Huffel du CNCD-11.11.11. Les enjeux sont d'ampleur et le chantier énorme.