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L'appel de la forêt           

L'appel de la forêt            (c)iStock

56% des Belges habitent en ville (1). Combien sont-ils, dans les embouteillages ou entre deux métros, à rêver d'une vie à la campagne, de congés au vert ou, tout simplement, d'un jardin ? Cet "appétit de verdure", qui fait partie de notre nature profonde, a été décuplé par la crise sanitaire.


C'est devenu l'une des activités préférées des Belges durant le confinement : le jardinage en milieu urbain (2). Les balcons, terrasses et parfois même les toits de nos grandes villes se sont vus envahis par les herbes aromatiques, les salades ou les plans de tomates. Ce phénomène de l'"urban farming", né il y a une vingtaine d'années aux États-Unis, révèle ce besoin profond qu'à l'être humain d'être au contact de la nature, surtout lorsqu' il est contraint de se confiner entre quatre murs. Et que dire des parcs et forêts pris d'assaut aux premiers rayons de soleil du mois de mars, après un hiver passé sous le signe de la sinistrose ? Indéniablement, la pandémie semble avoir attisé un besoin d'"ensauvagement".

Réservoir à fantasmes
Snobé durant des décennies par une population sensible au chant des sirènes urbaines, le retour à la nature serait donc aujourd'hui devenu un véritable réservoir à fantasmes, surtout auprès des citadins. Fantasmes d’un retour à une vie authentique, de la terre sauvage, d’un avenir différent du modèle politique et social dominant de la société techno‑industrielle, consumériste et destructrice. Le rythme de vie ne cesse de s'accélérer : plus sédentaires, le nez collé aux écrans, on a de moins en moins le temps de se reconnecter à la nature. Au risque de se "désincarner". En 1845 déjà, le philosophe américain Henry David Thoreau alertait, dans Walden ou la vie dans les bois, sur la nécessité d'un retour à l'essentiel, de "se naturaliser, c’est-à-dire retrouver sa nature dans la nature". Les sociologues français Sébastien Dalgarrondo et Tristan Fournier, auteurs de L'utopie sauvage (3), abondent dans ce sens."Cette reconnexion permet d'enrichir notre univers sensoriel : une seule nuit à la belle étoile et c'est un corps qu'on redécouvre éveillé, sensible, fragile, quand il est aujourd'hui absent à lui-même dans la vie urbaine", écrivent-ils.

Vitamine verte et bains de forêt
Passer du temps dans la nature est-il physiquement vital pour l'Homme ? De plus en plus de recherches démontrent en tout cas que la santé humaine est intrinsèquement liée à la nature et même que les bienfaits éprouvés sont proportionnels au temps passé dehors. Comme cette étude effectuée par des chercheurs de Stanford (4) sur un phénomène qu'ils ont baptisé "vitamine G", pour green vitamin (vitamine verte). Ils se sont aperçus qu'une promenade d'une heure et demie en forêt, dans un parc ou autour d'un lac par exemple, permet de voir la vie de manière plus positive. Au scanner, la zone du cerveau liée aux pensées négatives est moindre après une promenade au vert, ce qui n'est pas le cas après une balade en milieu urbain. Et ces bénéfices surviennent dès les premiers pas dans la nature. Au Japon, la médecine ancestrale conseille le shinrin yoku, ou "bain de forêt", reconnu dans ce pays comme thérapie préventive depuis 1982. Le chercheur Yoshifumi Miyazaki en a étudié les bienfaits pendant dix ans. Conclusion : contempler la forêt, assis durant quinze minutes, réduit de 13 % le taux de cortisol (la fameuse hormone du stress), de 6 % le rythme cardiaque et augmente de 56 % l’activité nerveuse parasympathique, garante entre autres d'une bonne digestion. Enfin, on sait aussi que la présence de plantes ou une vue sur la nature favorisent la rémission des patients après une opération et renforcent leur système immunitaire.

Prisons urbaines
À travers le confinement, le Covid-19 a transformé nos villes en potentielles prisons et fait prendre conscience de la fragilité des modes de vie urbains. L'"appel de la forêt" semble séduire de plus en plus de citadins, partout dans le monde. Pour faire vivre la ville en symbiose avec la nature, des murs végétaux, des jardins partagés émergent. Des particuliers trouvent un pied d’arbre à verdir afin de se réapproprier leur quartier et, dans la foulée, recréer par petites touches un précieux lien avec la terre. C'est important car même dans l’imaginaire, la nature perd du terrain. Dans Le souci de la nature, la chercheuse Anne-Caroline Prévot a analysé 60 films produits par Disney entre 1937 et 2010. Résultat : la durée des scènes représentant la nature et le nombre d’espèces présentes diminue au fil du temps. "Si chacun considère le cadre dans lequel il a grandi comme la référence qui servira à mesurer les dégradations environnementales, la perception est biaisée. Comment un enfant n’ayant jamais couru dans les bois pourra-t-il réaliser que la forêt a été abîmée ?", interroge-t-elle.