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L'an 1 de la révolution climatique

L'an 1 de la révolution climatique © O. Carare BELPRESS

L'urgence climatique n'est pas un vague problème de menaces sur l'environnement. Etayée et documentée, elle contraint pays riches et pauvres, dès aujourd'hui, à prendre leur sort commun en main pour de longues décennies. Jouable ?


Pas de manifestation géante pour le climat à Paris. Pas de convoi ferroviaire "climate express" avec les 9.500 Belges prévus à bord, prêts à déployer leurs calicots dans la capitale française à l'occasion de la COP 21, la vingt-et-unième depuis le Sommet de la Terre à Rio (1992). Pas de manif à Bruxelles, ni à Ostende. C'est donc finalement une chaîne humaine de quelque 4.000 individus dans les rues de Bruxelles, statiques mais pas muets, qui aura fait un salutaire pied de nez, le dimanche 29/11, aux candidats terroristes : non, la liberté d'expression ne peut être (complètement) muselée face aux menaces. Et la peur n'a qu'un temps.

La multiplication de manifestations d'inquiétude sur le climat aux quatre coins de la planète sera-t-elle suffisante pour faire adopter un texte "fort", dans quelques jours, par les dirigeants de la planète réunis à Paris ? Ces derniers mois ont apporté leur hotte d'optimisme.

Un : les deux plus grands émetteurs de CO2 de la planète, la Chine et les États-Unis, se parlent et veulent réellement un accord.

Deux : cette conférence au sommet a été minutieusement préparée par les autorités françaises.

Trois : le réchauffement du climat n'est plus cette préoccupation environnementale un peu marginale ; il a fait son entrée dans les débats d'instances internationales comme le G8, le G20 ou le Fonds monétaire international.

Bref, comme le résume l'archevêque sud-africain Desmond Tutu, autrefois engagé dans la lutte anti-apartheid de son pays, réduire l'empreinte carbone de la planète est devenu "le plus grand chantier de défense des droits de l'homme de notre époque" (1).

Une poudrière sociale

Pourquoi ? Parce que les perturbations du climat exacerbent les tensions sociales, attisent les conflits, rebattent les cartes de la – toute relative – stabilité mondiale. Conjuguée à d'autres facteurs, la multiplication des épisodes climatiques extrêmes va déstabiliser l'agriculture, créer de nouvelles poches de disette et de faim, pousser au déplacement ou à l'exode de millions de réfugiés. Or, avec 2°C d'augmentation de la température mondiale moyenne (le fameux seuil maximal qu'il est question d'adopter à Paris), 20% des terres émergées de la planète pourraient être concernées par des épisodes de sécheresse (et 60% à 4°C). "Le climat, c'est comme une gâchette, la pichenette qui fait exploser la bombe", commente le grand historien du climat Emmanuel Le Roy Ladurie, qui ne cache pas que "la situation [actuelle] est totalement inédite et angoissante" (2). Il n'est pas le seul.

Les experts ont donc prévenu : il faudra aller vers une "décarbonation" de l'économie mondiale dans le courant de la deuxième moitié du siècle. Rien que ça !

Un modeste début

Quels que soient les commentaires qui clôtureront la COP 21 ("Succès" ? "Échec" ? "Demi-teinte" ?), on est déjà certains d'une chose : Paris n'est qu'un début. À 2°C d'augmentation (on sera d'office à plus de 1,5 °C vers 2035), les États insulaires de l'Océan pacifique disparaîtront ou deviendront invivables. Les gigantesques zones de deltas connaîtront des problèmes majeurs. Les experts ont donc prévenu : il faudra aller vers une "décarbonation" de l'économie mondiale dans le courant de la deuxième moitié du siècle. Rien que ça ! Cela impliquera de laisser tranquillement dans le sous-sol un tiers des réserves de pétrole connues, la moitié de celles de gaz et… 80% du charbon. Cela impliquera, aussi, de réduire ou de supprimer les 480 milliards d'euros de subventions allouées chaque année aux énergies fossiles. Et aussi de remettre en cause le dogme du commerce international libéralisé comme moteur de la croissance.

Ou encore de démanteler les paradis fiscaux de la planète : eh oui, "comment faire autrement, interroge Nicolas Hulot, conseiller du Président Hollande, si l'on veut trouver les 100 milliards de dollars annuels promis en 2009, destinés à aider les pays en développement à s'adapter au réchauffement climatique" ?

Pour une révolution, c'en sera une ! Irréaliste et inadmissible pour certains. Formidablement enthousiasmante, pour d'autres. "Une révolution industrielle comme on en a réussi d'autres dans l'Histoire, commente l'ancien ministre français Pascal Canfin (3). Une fantastique opportunité pour notre génération d'inventer cela". Dans les quartiers, associations, écoles et universités, etc., bien des jeunes l'ont compris cinq sur cinq. Et, déjà, sans attendre les résultats de Paris, travaillent à cette transition. Créativité bienvenue !