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Croire en nos superpouvoirs de consommateur

Croire en nos superpouvoirs de consommateur © Nick Hannes/REPORTERS

Ces dernières semaines, le calendrier – doté de ses fêtes et autres saints du jour – a servi de tocsin pour des métiers qui faisaient rêver. Les années futures vont-elles sonner le glas de petits commerçants de l'émotion ? Fleuristes et libraires vivent de rudes moments. Les défendre, c'est choyer nos intériorités, mais aussi composer et cultiver nos liens.


Fête du travail, fête du muguet. Fête des mères, fête des bouquets. Les fleuristes attendent du mois de mai des ventes bienvenues. L'humeur n'est pas trop maussade, mais les projections ne suggèrent pas un avenir radieux. Une dépêche du Syndicat neutre des indépendants saisit l'occasion de la fête des mamans pour indiquer que “chaque semaine, un fleuriste disparaît dans notre pays”. Et de blâmer les supermarchés ou les stations-services enclines à vendre aussi des fleurs.

Certes, ils facilitent la vie du consommateur en proposant un one stop shop – un seul arrêt pour réaliser l'ensemble de ses courses. En un seul lieu, avec un seul paiement. Mais finalement moins de conseils, d'expertise, de personnalisation…, se répètent, tel un mantra, les commerces de détail.

Une dizaine de jours plus tôt, le 23 avril, pétales et papiers se sont mêlés. Le Saint du jour : Sant Jordi, cher aux Catalans (Saint-Georges), cumule journée du livre et fête de la rose. Depuis quelques années, l’Unesco a décrété la date “journée mondiale des libraires et des droits d'auteurs”. Là aussi, un syndicat – celui des libraires indépendants en Belgique francophone – exprime ses préoccupations pour l'avenir du métier. Les connaisseurs de l'ancien service librairie d’En Marche auront peut-être entendu l'appel de la librairie La Licorne (Uccle) en proie à d'importantes difficultés financières(1). Car, le métier de libraire partage la même inquiétude avec son voisin fleuriste : faire face à des grandes surfaces qui intègrent aussi le produit “livre” à l'étalage. Grandes surfaces spécialisées et hypermarchés représenteraient 64% des achats de livres papiers neufs, selon une récente enquête française (Ipsos-Livres Hebdo).

Particularité du libraire, il doit compter avec un autre rival puissant, numérique celui-là. Le fleuriste en est épargné… jusqu'à présent. L'odeur des fleurs n'accompagne pas encore les bouquets au format carte postale. “L'ordinatisation” des métiers semble d'une actualité moins criante pour les bouquetières et autres horticulteurs. Elle pourrait concerner pourtant presque la moitié des emplois d'ici vingt ans, d'après des chercheurs d'Harvard. Certaines professions sont remplacées par des machines de plus en plus fines ou par du self-service. Rares se font les pompistes ou les concierges. Tandis que d'autres métiers disparaissent – en particulier lorsqu'ils sont “artisans”.

Faute de rentabilité…? Pas simple en effet de tenir la route face à des grands groupes qui se jouent des frontières. Dans le secteur du livre, les différents acteurs souffrent d'un phénomène de concentration qui fragilise les petites structures.

Faute de diversité…? Pas simple non plus de faire face à de nouvelles pratiques culturelles habituées à la profusion et à la multiplicité des canaux. Des films à la BD, en passant par la musique et les jeux…, l'univers du libraire voit potentiellement son spectre s'élargir. Comme les bibliothèques se muent en médiathèques.

Faute d'utilité…? Pas simple encore de faire valoir l'intérêt d'un achat quand il s'inscrit d'office sur le long terme. Or le livre demande du temps.

Faute de clients, alors. Car du temps, beaucoup disent en manquer.

Pourtant, est-ce vraiment une perte de temps que de s'asseoir pour bouquiner, que de lire pour exciter plus encore notre curiosité, que de se laisser imprégner d'autres mondes, d'autres manières de le voir? À vivre l'expérience, qui dirait qu'il a perdu son temps quand il s'est plu à chiner dans les rayonnages de livres, quand il a oublié l'horloge en papotant un instant avec le libraire, dans l'ambiance souvent chaleureuse d'une petite librairie de quartier? “Lisons responsable, lisons local(2), lance le syndicat des libraires indépendants. Sur ce terrain-là aussi, nos choix de consommateur n'ont rien d'anodin. Ils déterminent un peu de l'avenir.