Editos

La justice fiscale, bonne pour la santé    

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"Nous avons le droit de rêver de fraternité, de justice, d’une autre économie" Ricardo Petrella. Photo (c)Adobe
Alexandre Verhamme

Alexandre Verhamme

Cela passerait presque inaperçu tant le virus du Covid semble occuper tout l’espace de parole : ces derniers jours, une autre question importante, celle de l’augmentation des tarifs d’énergie, a animé le débat politique. Pour une part croissante de la population, y compris au sein de la classe moyenne, l’impact de la facture d’énergie sur leur capacité à maintenir une vie de qualité est devenue une source de préoccupation majeure. Comme d'autres ressources collectives (l’eau, l'alimentation, la santé, etc.), l’énergie a un prix qui nécessite une contribution. La question n’est pas de la rendre gratuite, mais de moduler son prix pour permettre à chacun d’y accéder en fonction de ses moyens. En rédigeant son Manifeste de l'eau, le politologue et économiste Ricardo Petrella nous interpellait, il y a déjà plus de 20 ans de cela, sur la nécessité de garantir un accès équitable aux ressources naturelles tout en assurant une gestion durable de ces biens communs. "Le contrat mondial de l’eau se fonde sur le principe que l’eau appartient aux habitants de la Terre. Il est inspiré par deux finalités : l’accès de base à l’eau pour tous et sa gestion solidaire et durable, impliquant des devoirs de solidarité, de cohérence pour ne pas mettre en péril les libertés et les droits des générations futures et de protection et de respect envers l’écosystème Terre."


La question de l’accès à l'énergie invite à nous interroger plus largement sur les mécanismes de répartition des ressources et des richesses. Dans le domaine politique, cette régulation s’appuie sur un système qui a fait ses preuves, surtout en période de turbulence : cela s’appelle la fiscalité ! Aujourd’hui, presque plus aucun économiste ne défend la " théorie du ruissellement", cette idée en vogue dans les années 80, selon laquelle alléger les impôts qui pèsent sur les entreprises et les individus les plus riches permettrait, en favorisant la consommation et l'emploi, de relancer la machine économique pour le bien de tous. L'idée qu’alimenter le système par le dessus bénéficie in fine au-dessous continue pourtant à circuler dans certains cercles.

La différence des ressources est une réalité qui peut être justifiable lorsqu’elle s’appuie sur les choix et les libertés, mais c’est différent et contestable lorsque ce n’est pas le cas... L’impôt doit être proportionnel à la capacité contributive. Il s’agit d’une recette efficace, source de bien-être pour tous. Dans le cadre de choix politiquement assumés, il permet une redistribution à travers la mise à disposition de services et de biens considérés comme indispensables et les soustrait à la marchandisation. En Belgique, au cours des dernières décennies, la progressivité de l’impôt a été réduite, tandis que les disparités se sont exacerbées, regrette le Service de lutte contre la pauvreté dans son tout récent rapport. La fiscalité peut aussi s’accompagner de réglementations ou de normes par exemple, pour  favoriser des circuits plus courts et vertueux. Lutter contre l’échappement fiscal doit également être une priorité, comme l’ont rappelé ce 19 janvier les participants à la manifestation pour la justice fiscale organisée par la coalition corona dont fait partie la MC.

L'égalité, notre vraie richesse
Pourquoi s’interroger sur ces questions dans l’édito d’une mutualité ?  À l'occasion d'une série d'articles consacrés aux inégalités sociales, En Marche publiait l'interview de Richard Wilkinson. Ce professeur d'épidémiologie  s'est rendu mondialement célèbre pour ses recherches faisant le lien entre égalité de revenus et santé. "Les inégalités de revenus ne touchent pas tout le monde de la même façon. Ce sont les pauvres qui en souffrent le plus. Mais les chiffres montrent aussi que, même les gens qui ont accès à un bon travail, une bonne formation, une bonne situation, vivront moins vieux, encourront davantage de risque d’être victimes de violence, de rencontrer des problèmes de drogues, de voir leurs enfants aller mal, etc. que s’ils vivaient dans un pays plus égalitaire, nous expliquait-il. Quand les écarts de revenus entre les riches et les pauvres augmentent, la compétition pour le statut social se tend également.(…) Cela crée une forme d’insécurité dans les relations sociales et finit par devenir une source de stress chronique."


"Nous avons le droit de rêver de fraternité, de justice, d’une autre économie, de bien-être collectif, de sécurité dans la solidarité", revendiquait Ricardo Petrella. Ajoutons que nous avons aussi le devoir d’interroger, une fois de plus et sans simplisme, les paramètres qui permettent une société plus égalitaire, qui ouvre le champ à une consommation équilibrée et accessible pour tous, source d’un bien-être minimal. Cela demande du temps, du débat, de la volonté et du courage.