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Moteurs de recherche Internet éthiques : mode d'emploi

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© Laurent Caro_BELPRESS
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Baudouin Massart

Baudouin Massart

"Plus les gens utilisent Google, moins ils voient le côté négatif", déclare Jean-Marc Van Gyseghem, responsable de l'unité "Vie privé" du Centre de recherche, information, droit et société (CRIDS) de l'Université de Namur. Et de fait, quoi de plus pratique que d'utiliser Google, Yahoo, voire Bing pour trouver une recette, une idée de cadeau, une adresse ou une info… Mais l'internaute est-il conscient de ce qui se trame dans la boîte noire du Web ?

À chaque recherche effectuée via Google, ce moteur de recherche stocke non seulement l'objet de la requête, mais aussi l'adresse IP et des informations à propos de l'ordinateur de l'utilisateur. Google peut aussi retracer l'historique de tous les sites visités à l'aide de "cookies" qui collectent des données. Raison avancée pour justifier le procédé : aider l'utilisateur dans ses recherches futures et lui proposer des choses susceptibles de l'intéresser.

Cette collecte de données pourrait paraître inoffensive si l'on souhaite se voir proposer des pubs ciblées, des informations proches de nos centres d'intérêts. Elle n'a d'ailleurs pas vraiment ému les internautes, jusqu'à ce qu'ils apprennent que ces informations pouvaient se retrouver dans les banques de données de services de renseignement…

En pratique, Google procède à un profilage marketing constitué à l'aide du nombre incalculable de traces laissées par l'usager sur le Web. Ces données constituent une véritable monnaie d'échange contre un service gratuit. L'internaute croit pouvoir choisir, alors que ses résultats de recherches sont progressivement orientés - quitte à en effacer d'autres. L'utilisateur pense s'ouvrir au monde grâce à Internet, découvrir de nouvelles choses, alors que, dans la pratique, les moteurs de recherche l'enferment dans son propre monde, le ramenant à ses habitudes.

Rééduquer à l'Internet

Dès lors, comment éviter d'être tracé ? Une solution est de recourir à d'autres moteurs de recherches plus éthiques. Mais sont-ils vraiment efficaces ? Jean-Marc Van Gyseghem du CRIDS a testé pour En Marche quelques sites affirmant être plus respectueux de la vie privé (DuckDuckGo, Startpage, Qwant et Lilo). Il en ressort que ceux-ci n'ont déposé aucun "cookie" sur l'ordinateur. "Ce n'est pas le moteur de recherche qui va déposer des cookies, conclut-il. Mais cela ne constitue pas une garantie contre le traçage." L'utilisateur peut très bien attraper des "cookies" en visitant un site issu des résultats de sa recherche. Il faut donc rester prudent. Et même si les moteurs de recherche éthiques font bien leur travail et que les dernières recherches restent anonymes, les données seront recroisées dès que l'utilisateur utilisera à nouveau Google.

"Il faut rééduquer l'utilisateur à l'usage d'Internet, sans diaboliser l'outil, souligne Jean- Marc Van Gyseghem. L'individu doit pouvoir poser un choix. Actuellement les moteurs de recherche Internet ne le permettent pas". D'où tout l'intérêt d'apprendre à mieux connaître les opérateurs alternatifs, à les apprivoiser et à s'y tenir.

Quelques moteurs de recherche alternatifs

  • www.duckduckgo.com a pour slogan "le moteur de recherche qui ne vous espionne pas". Parfois lent, il affiche des résultats très pertinents. Il est engagé dans la protection des données privées. 
  • www.startpage.com se présente comme "le moteur de recherche le plus confidentiel au monde". Il agit comme intermédiaire entre Google et l'internaute et empêche la collecte de données personnelles, y compris l'adresse IP de l'ordinateur. 
  • www.qwant.com s'engage à ne tracer les utilisateurs et ne pas filtrer le contenu d’Internet. Les résultats de la recherche sont présentés sous formes de rubriques (actu, réseaux sociaux, liens commerciaux…). 
  • www.uselilo.org offre également une protection de la vie privé. L'internaute peut en plus, avec ses recherches, financer des projets sociaux et environnementaux. 
  • https://trouvons.org repose sur un logiciel libre qui se construit sur un mode collaboratif, grâce à la participation de la communauté des internautes bénévoles de Framasoft. Cette association propose des alternatives aux outils de Google : "Framadate" pour "Doodle", "Framatube" pour "Youtube"…

Thierry De Smedt : "L'idéal, c'est le modèle coopératif"

Même si un moteur de recherche Internet se présente comme éthique, il faut savoir rester critique. Entretien avec Thierry De Smedt, professeur à l'école de communication de l'UCL et membre du Conseil supérieur de l'éducation aux médias.

En Marche : Comment choisir le bon moteur de recherche respectueux de la vie privée ?

Thierry De Smedt : C'est difficile à dire. Il n'y a, à ma connaissance, pas de travaux comparant le comportement des différents moteurs de recherche, pour vérifier dans quelle mesure la diversité des moteurs de recherche ne ramène pas toujours au même profil d'utilisateurs. Il est difficile de trouver les bons outils. Une piste consiste à vérifier quelle est l'organisation qui met en place le moteur de recherche. L'idéal, c'est le modèle coopératif. De cette manière, une seule voix ne va pas l'emporter sur les autres. Il y a alors plus de chances que le modèle soit moins intrusif. Mais tout peut changer… Un opérateur peut racheter le produit.

EM : Peut-on vraiment se fier aux déclarations d'intention d'un moteur de recherche qui se présente comme "celui qui ne vous espionne pas" ou "le plus confidentiel" ?

TDS : Une déclaration d'intention n'est pas ce qu'il y a de plus fiable. J'ai tendance à me méfier d'un site qui annonce "Attention, vous êtes en danger !". Et me promette quelque chose de plus sûr. C'est déjà le signe qu'il faut s'en méfier. Je préfère quelqu'un qui me dit "Moi, je fais ceci" et me montre comment faire.

EM : Est-ce que les moteurs de recherches alternatifs à Google et Yahoo pourraient renverser la tendance ?

TDS : Il faudrait effectuer une analyse plus comportementale pour vérifier dans quelles mesures les résultats issus de ces moteurs alternatifs varient pour ne pas se retrouver face à un clone plus performant de Google ou Yahoo. Le développement du web promettait plus d'autonomie, de découverte. Or, les moteurs de recherche actuels font croire à l'usager qu'il a accès à des infos, alors qu'ils ne font que le conforter dans son monde avec des informations auxquelles il est déjà connecté. Cela ramène sans cesse l'usager à son propre monde. Cela ne permet pas de dépasser le reflet de ses propres traces, un peu comme les Dupont et Dupond dans le désert. Mais tant qu'il y aura des moteurs de recherche alternatifs, cela empêchera un opérateur d'être en situation de monopole.