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Le dessin animé : miroir de la société ?

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Soraya Soussi

Soraya Soussi

Impossible de l’avoir manqué : la sortie du deuxième volet de la Reine des neiges continue de rassembler les familles au cinéma. Hormis la célébrissime chanson “Libérée, délivrée ”, ses personnages attachants comme Olaf, les visuels époustouflants et une déferlante d’objets marketing, c’est surtout la personnalité des personnages principaux (Elsa et Anna, deux princesses fortes et indépendantes) qui a conquis le jeune public. Disney brise ainsi les codes du genre prédominant dans l’univers cinématographique animé. La Reine des neiges n’est pas le premier film d’animation à rompre avec ces codes. Dans les Indestructibles, Bob, papa d'une famille de superhéros, se retrouve à la maison à s’occuper des tâches domestiques et des enfants, posant ainsi la question de la place et du rôle de chacun dans la famille. Dans le film Rebelle, la princesse rêve de liberté et refuse de se plier aux traditions et de se marier. Mais ces nouveaux héros restent néanmoins timides dans le panel des dessins animés tant à la télé qu’au cinéma. Évolution progressive des mentalités et lente production des dessins animés obligent.

Derrière l’œuvre, l’homme

Nous connaissons tous Walt Disney et son premier film d’animation Blanche neige, sorti en 1937. Si le magnat du film animé est vu comme un pionnier du genre, les connaisseurs savent que les premières productions animées furent réalisées bien avant lui, au début du XXe siècle : le premier long métrage animé est créé en 1917 par le réalisateur argentin Quirino Cristani avec son film El Apostol. Mais, détruit dans un incendie, il n’en reste rien. Moins connue également et pourtant pionnière des techniques d’animation, Lotte Reiniger, une réalisatrice allemande, produit son premier long-métrage en 1926 : Les Aventures du Prince Ahmed, inspiré des Contes des mille et une nuits. Il est considéré comme le plus ancien long-métrage d’animation conservé.

Si Lotte Reiniger est une pionnière dans l’univers cinématographique, elle reste une exception dans le milieu. Car les métiers du cinéma et de l’animation sont dominés par les hommes depuis l’avènement du 7e art. "C’est important de se le rappeler car il y a forcément un lien avec cette situation et la représentation des personnages et des thématiques des productions animées", rappelle Doris Cleven, directrice du festival Anima. Il y a donc l’humain et l’œuvre. "La plupart des œuvres cinématographiques d’animation sont inspirées de la littérature classique. La représentation des personnages est dès lors cantonnée à une vision patriarcale de la société", ajoute-t-elle. Même constat dans la production des séries animées. Derrière le dessin animé et ses personnages, il existe une pléthore d’acteurs : le dessinateur, le scénariste, le réalisateur, le producteur,… Des métiers principalement dominés par des hommes. Pour la responsable du festival Anima, "sans vouloir faire de sexisme, les femmes ont généralement une sensibilité et une maturité bien plus développée que les hommes. Elles ont aussi bien plus de créativité et osent davantage bousculer les mœurs."

Évolution de la société

Ces dernières années ont été marquées par des revendications sociales et écologiques. Féminisme, ouverture aux diverses questions de genre, représentations familiales (monoparentales, recomposées, adoptions, etc.), visibilité du handicap ou encore respect de la nature sont autant de sujets débattus dans les médias, à table, lors des fêtes de familles ou de fin d’année. Les enfants sont sensibles à ces discours et les répercutent à l’école. Mais ces thématiques sont-elles suffisamment représentées dans les dessins animés que les nouvelles générations regardent ? Pour Doris Cleven, "il est rare de voir des réalisateurs précurseurs. Ils s’adaptent aux modalités et aux conventions de la société. La plupart des réalisateurs attendent que la société évolue pour proposer des dessins animés qui sortent des sentiers battus. Aujourd’hui, on reste encore avec un schéma relativement classique."

Même constat dans les séries animées. Réalisatrice de formation, Coralie Pastor est responsable du programme jeunesse à la RTBF et créatrice de OUFtivi, la chaine pour enfants du média public. Lors de réflexions autour de certains personnages et de la construction du scénario, elle constate qu’elle doit parfois faire attention aux clichés naturellement véhiculés par certains scénaristes, encore trop souvent confinés dans cet ancrage culturel issu d’une domination classico-patriarcale dans la culture de l’animation (et de la société).

Le dessin animé : outil d’éducation

"Un enfant ne naît pas avec des préjugés !", appuie Coralie Pastor. Après un rôle de divertissement, la responsable du programme jeunesse de la RTBF voit ses missions évoluer. "J’ai réalisé que nos responsabilités étaient immenses. On ne devait plus simplement divertir mais également informer, éduquer et surtout donner des outils pour développer l’autonomie des enfants. Bref, de les aider à grandir." Le développement d'un enfant se construit essentiellement par mimétisme. "Certains adultes ont été marqués, dans leur enfance, par des programmes jeunesse qui les ont inspiré dans leur vie adulte", remarque Coralie Pastor.  

Le temps passé devant un écran chez les enfants (télévision, smartphones, tablettes) varie selon les études. Mais on peut compter en moyenne près de dix heures par semaine en Europe. Un temps non négligeable pour les petits en plein développement. Et bon nombre de psychologues de l’enfance attestent que les dessins animés participent au développement de leur personnalité, de leur rapport aux autres et à leur environnement. Anne Deplanck, psychologue de l’enfance précise dans un article du Ligueur : “À travers les dessins animés, les enfants peuvent se comparer, vivre par imitation et entrer en empathie avec ce qu’ils voient.”

Face aux multiples questions que l’enfant se pose durant son développement, des réponses peuvent notamment être retrouvées dans les dessins animés. Mais force est de constater qu’une norme lui est véhiculée avec ce qu’elle compose de codes sociaux, culturels et moraux. La responsabilité incombe donc aux adultes : parents, médias, politiques et à l’école. Car, Coralie Pastor le constate, "c’est souvent, nous les adultes, qui sommes réticents à certains sujets sensibles à transmettre certaines normes à l’enfants. Pas lui."

Les plateformes en ligne vs chaînes télé ?

Les plateformes en ligne privées comme Hulu ou Netflix l’ont compris. Si la promotion de la diversité des genres, culturelles, de représentations sociétales n’est pas encore à son paroxysme, les plateformes en ligne proposent néanmoins une série de productions animées tout à fait innovantes. En exemple sur Netflix, le Prince des dragons qui a récemment sorti sa troisième saison. Ici, les codes sont complètement rompus avec la représentation de la communauté LGBTQI+ ou de personnages porteurs de handicap, à l'image de cette guerrière malentendante à la tête d’une armée qui communique avec la langue des signes. Sur Hulu, The Bravest knight fait également la part belle à la diversité : le conte tourne autour d’un chevalier marié à un prince qui raconte son histoire à leur fille adoptive. Elle rêve à son tour de devenir une chevaleresse aussi courageuse que son père. Ces thématiques ne sont cependant pas le sujet de l’histoire, elles sont naturellement intégrées à elle. Résultat : ces séries animées séduisent un public jeune et moins jeune car elles correspondent aux réalités actuelles.

Les chaines nationales ont-elles les moyens de suivre cet exemple ? Pour Coralie Pastor, "la concurrence est rude car ces plateformes ont bien plus de budget. Il faut compter cinq à huit millions d’euros pour créer une série animée". Le temps est également long entre la création et la diffusion d’un dessin animé : trois à six ans en moyenne. Entre-temps, la société continue son évolution. "Il n’est pas surprenant que les séries animées proposées soient encore en décalage chez nous."

Employée du service public, la responsable de OUFtivi choisit les séries animées sur base de certains critères. “Nous bannissons d’emblée les séries animées violentes ou incitant à la haine”, donne pour exemple Coralie Pastor. De manière générale, l’équipe de OUFtivi s’appuie sur la Convention internationale des droits de l’enfant comme document de référence pour sélectionner ses programmes. Attentive à l’évolution du jeune public, Coralie Pastor veille à l’évolution de sa programmation et promet d’offrir de l’innovation dans les incontournables de la chaîne publique comme les Schtroumpfs, par exemple, où le caractère de la seule Schtroumpfette va être modifié. Et d’après la maman de OUFtivi, d’autres surprises, révolutionnaires pour l'univers des célèbres petits bonshommes bleus, attendent leurs fans…