Expositions

Nouvelles orientales

3 min.
© Georges De Kinder
© Georges De Kinder
Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

Impossible de parler du bijou sans d'abord évoquer l'écrin. La Fondation Boghossian se niche dans la somptueuse Villa Empain, située sur la non moins prestigieuse avenue Franklin Roosevelt, à Bruxelles. Entrer dans la Villa Empain est déjà une expérience. Les amateurs d'Art déco auront le souffle coupé, les inconditionnels de Francis Scott Fitzgerald penseront que la maison aurait abrité avec bonheur les fantaisies de Gatsby le magnifique. Les vitraux, les mosaïques, les marbres, le puit de lumière de la pièce centrale, l'immense baie vitrée donnant sur une grande piscine et une pergola… difficile de rêver meilleur espace d'accueil pour les travaux d'artistes.

Une histoire à rebondissements

Mais la Villa Empain n'a pas toujours été un lieu dévoué aux activités culturelles. Son histoire intime est riche en rebondissements. En 1930, Louis Empain – second fils du richissime homme d'affaires le baron Edouard Empain – se lance dans la construction de la Villa. Il confie cette tâche à l'architecte Michel Polak. Le projet est achevé en 1934. En 1937, à la suite d'une révélation mystique, Louis Empain renonce à une partie de ses biens et lègue le lieu à l'État belge. Ce don a pour objectif de transformer la Villa en musée royal des arts décoratifs contemporains. Mais des heures sombres arrivent, et le bâtiment est réquisitionné par l'armée allemande. L'après-guerre n'est pas plus calme. Le ministre Paul-Henri Spaak prend la décision d'installer à cette adresse l'ambassade d'URSS. Trahison. La famille Empain reprend alors possession des lieux pour y présenter des expositions d'art contemporain. Ensuite, la demeure sera vendue, occupée par la télévision luxembourgeoise, laissée à l'abandon et finalement acquise par la Fondation Boghossian en 2007. Les travaux de rénovations se terminent en 2010 et depuis, la Villa Empain porte le titre de centre d'art et de dialogue entre les cultures d'Orient et d'Occident.

Différents regards, différentes intentions

C'est dans les sous-sols que l'on peut découvrir en ce moment l'exposition de photographies Instantanés d'Orient. Elle regroupe le travail de six photographes originaires du monde arabe et/ou intéressés par l'Orient. La sélection d'œuvres proposée aux visiteurs est issue de la biennale des photographes du monde arabe contemporain (Paris). Même si elle est succincte, elle a le mérite d'être extrêmement variée et d'offrir des regards différents sur des réalités qui se croisent et se rejoignent. À chaque œil son histoire. Dans celui de Jaber Al Azmeh, on fixe des paysages décharnés, des immensités de poussières qui semblent sans limites et sur lesquelles reposent parfois des restes de vie, comme ces fauteuils empilés les uns sur les autres (voir illustration ci-dessus). On pen se à l'exil, au chez soi qu'il a fallu quitter pour emprunter des routes, vastes étendues porteuses d'espoir. On quitte ces chemins pour entrer dans des villes. Celles qui, à un moment plus ou moins éloigné de leur histoire, ont accueilli les foules patientes devant des guichets de cinéma à Rayak et Nabathié au Liban ou à Tripoli en Lybie. De ces lieux de projection, le Star, le Byblos, le Colorado, le Rivoli… il ne reste que des écrans grisâtres, des murs décrépis et des sièges vides. Ces salles abandonnées, immortalisée par Stephan Zaubitzer closent une première partie d'exposition. Dans la prochaine salle, nous voilà confrontés à l'humain.

Féminin, masculin

Tout d'abord, il y a des regards perçants, des visages fermés où le sourire n'a pas sa place. Ce sont des adolescentes, immortalisées par la libanaise Rania Matar. Elles vous regardent bien en face, impossible de se défiler. Pas de pose ici, juste une rencontre frontale, dans des décors qui pour la plupart témoignent d'un environnement hostile. Et de se demander de quoi sera fait leur avenir. À côté de ces jeunes filles, reposent les clichés politiques de Douraid Souissi. Trois grandes photos. Trois hommes. Trois Tunisiens. Ils sont courbés et ont le regard baissé. Ils sont plongés dans l'obscurité et semblent plier sous le poids d'une invisible immensité. Instantanés d'Orient est un voyage contemporain, orignal, riche et dense dans des contrées bouleversées. La variété de ces regards d'artistes permet de les raconter autrement que par le prisme – parfois violent et souvent limité – livrés par les médias.

Pour en savoir plus ...

Instantanés d'orient

jusqu'au 11 février 2018

Fondation Boghossian, avenue Franklin Roosevelt 67 à 1050 Bruxelles

ouvert du mardi au dimanche, de 11h à 18h

10 EUR (possibilités de réductions)

Infos : 02/627. 52. 30 - info@boghossianfoundation.be - www.boghossianfoundation.be