Expositions

La rue au secours de l’art

4 min.
(c) Spear_painting
(c) Spear_painting
Soraya Soussi

Soraya Soussi

Un événement inattendu attend les habitants du quartier de l’hôpital d’Ixelles : un live painting. C’est l’un des rares projets de street art à s’être déconfiné. "Partere Concept", un projet soutenu par la commune d'Ixelles a démarré ce 27 mai. Les artistes Luis Polet, Parole et Iota ont investi les parterres de la commune bruxelloise. À la craie et l’argile, un échiquier géant se dessine place Adolphe Sax, à côté de logements sociaux. Chaque case respecte sa distanciation sociale. Les enfants à la fenêtre observent avec leurs jumelles. D’autres voisins curieux prennent des photos de l’oeuvre. L’objectif : "Apporter de la gaité, faire rire, faire penser, inciter au partage, à l’entraide et amener une façon de réfléchir différente." Avec pour thème : le coronavirus. Dans le monde entier, l’art urbain attire les foules. Touristes, passants, habitants du quartier… nombreux sont fascinés par cet univers visuel qui transforme l’environnement et interpelle les regards.

Echiqiuer géant des artistes Luis Polet, Parole et Iota sur la Place Adolphe Sax, à Ixelles, ©Partere Concept

L'arbre des artistes Luis Polet, Parole et Iota sur la Place Flagey, à Ixelles, ©Partere Concept

Évolution d’un art autrefois clandestin

L’auteur américain Hakim Bey a écrit dans l’Art du chaos : "L’art comme un crime, le crime comme de l’art." (1) Une citation qui définit les débuts du street art, à l’époque de sa clandestinité. Interdits d’exercer leur pratique, les graffeurs se retranchaient dans des lieux désaffectés. Les plus téméraires graffaient sur les façades d’immeubles, de devantures de magasins, etc. Les graffitis étaient mal vus et considérés comme du vandalisme. "Dans les années 70, 80 et jusqu’au début des années 2000 plus ou moins, les graffeurs ne bénéficiaient pas d’espaces d’expression 'légaux'. C’est seulement depuis une quinzaine d’années que le street art connaît un véritable essor", précise Julien Piloy, fondateur du collectif belge d’artistes de rue Propaganza.

 Berlin, ville pionnière du street art européen

Berlin, ville pionnière du street art européen, ©Soraya Soussi

Les raisons qui ont permis au street art de sortir de l’ombre sont nombreuses. L’art de rue s’est développé au travers de diverses techniques multipliant les artistes attirés par cette forme d’expression d’art dans l’espace public. De grands noms sont apparus sur la scène mondiale comme Banksy, Shepard Fairey (avec son affiche d’Obama "Hope") ou Jef Aeorsol, pionnier du street art français. Conscients du potentiel culturel et économique que l’art urbain apportait aux villes, les pouvoirs publics s’y sont également intéressés en investissant dans des projets. " Ixelles, nous avons participé à un projet artistique dont le budget s’élevait à 100.000 euros pour une série de fresques. D'autres villes comme Liège, Namur, Charleroi investissent également de plus en plus dans le street art", rend compte Julien Piloy. Des collectifs comme Propaganza se sont organisés et ont permis de développer l’activité artistique à travers des ateliers d’initiations, des événements, des expositions et des commandes privées.


D’un art engagé à une revitalisation des villes


Moyen d’expression subversif, le street art permet parfois de dénoncer visuellement ce que la société pense tout bas. Un activisme militant à la baisse dans certains pays comme en Belgique. "Quand vous voyez des oeuvres engagées politiquement dans les rues, elles sont souvent réalisées de manière illégale. Dans le cas contraire, c'est qu'elles vont dans le sens de la politique menée par la commune ou la région", confie Spear, artiste peintre engagé.Spear a peint de nombreux portraits durant son voyage en Amérique du Sud. Ici, la fresque se trouve dans la ville de Sucre, en Bolivie

Spear a peint de nombreux portraits durant son voyage en Amérique du Sud. Ici, la fresque se trouve dans la ville de Sucre, en Bolivie, ©Spear_painting

Une fresque pour questionner sur les politiques migratoires en France

Une fresque murale pour questionner le public lors du Festival interational du journalisme sur les politiques migratoires en France. ©Soraya Soussi

Aujourd’hui, de nombreux artistes répondent aux commandes des communes et régions pour revitaliser des quartiers et les rendre plus attractifs. Si l’art urbain a muté d’un art pirate à des formes plus esthétiques, Spear rappelle l’importance d’y investir afin de soutenir les artistes qui souhaitent se professionnaliser. L’artiste belge a choisi, par exemple, d’exposer en intérieur ses toiles plus engagées et peint sur murs lorsqu’il s’agit de simplement décorer un espace.


Renouer avec l’Autre


Si la question fait débat dans le milieu, Spear reconnaît l’art urbain dans son rôle social. "Ce qui me passionne dans le street art, c’est la rencontre et l’échange possible dans la rue avec n’importe qui." Pour l’artiste, la plus-value de cet art est la possibilité pour tous, initiés ou non aux arts, d’accéder à une forme culturelle.

Confinés enlacés, case de l'échiiquer géant réalisée par l'artiste Iota

Confinés enlacés, case de l'échiquer géant réalisée de la Place Adolphe Sax dans le cadre du projet Partere Concept par l'artiste Iota, ©Partere Concept

"Retourner dans la rue pour exercer notre art nous permet aussi de revoir le public, d'échanger avec eux. Ca fait tellement du bien", Luis Polet, ©Partere Concept

Le secteur culturel se réinvente pour renouer avec le public. L’art dans la rue semble être une voie tracée pour tisser les liens avec le public. C’est le cas du projet ixellois "Partere Concept", cité plus haut dans l’article ou encore "Museum Window", une collaboration entre le Kanal, BPS 22 et le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. L’initiative offre au public peu habitué des musées d’approcher diverses oeuvres photographiques affichées sur les vitrines des lieux à Bruxelles, Charleroi et Paris.
Au coin d’une rue, sur une place, dans les gares... l’art est encore accessible. Il suffit d’ouvrir l’oeil, maintenant que les rues se remplissent à nouveau.

 


 (1) L’art du chaos, stratégie du plaisir subversif, H. Bey. Éd. Nautilus, 2000.