Expositions

Asiles, la maladie mentale à la lumière du jour

En pénétrant dans le domaine du Beau-Vallon, c'est le calme et la tranquillité qui règnent. Plus ou moins au centre du parc : les Lilas, un bâtiment qui, jusqu'en 2013, était le lieu de vie de patientes internées. Aujourd'hui, quelques mois avant sa destruction, l'hôpital psychiatrique lui fait honneur en y organisant une exposition historico-artistique.

3 min.
© Matthieu Cornélis
© Matthieu Cornélis
Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Dans le couloir, à droite, une fenêtre donne sur ce qui semble être l'ancienne pharmacie. La pièce est vide à l'exception du coffre duquel s'échappe un torrent de papiers qui se déverse jusqu’au milieu du couloir. L'œil attentif reconnaîtra les caractéristiques des feuilles longues et étroites des posologies. Ici, celles du Xanax®. Les écouteurs de l’audioguide diffusent le témoignage d'une patiente: “Quand on fait la file pour les médicaments, j'ai l'impression qu'on est des veaux à l'abattoir. On fait la queue pour être cassés. Voir des filles qui prennent une quinzaine de cachets, c'est pour moi une image cauchemardesque.

Toujours dans le couloir, à gauche cette fois, la pénombre d'un recoin invite à y pénétrer. Des écrans d'une autre époque sont allumés et diffusent des images sautillantes et enneigées. Ici, pendant une centaine d'années, des femmes devaient être gardées à l'œil. Aujourd’hui, plus rien à surveiller. Une soignante évoque son premier jour de travail : “Je me demandais pourquoi j'avais postulé là.[…] Les patientes, marquées par la maladie et les médicaments, nous regardaient d'un air bizarre. C'était impressionnant.” À son tour, une jeune patiente intervient et se rappelle la fête d'Halloween : “On a fait un concours. On était maquillées de façon choquante, j'avais une robe brune, un chapeau et une baguette. Je n'avais jamais vécu un moment aussi chouette. Un moment qui te porte, qui te pousse à aller plus loin et à aller vers toi.” Quelques phrases d'une chanson mélancolique bouclent ce témoignage : “… don't you remember the reason you left me…”.

À l'étage, plusieurs chambres accueillent de singulières installations. Évoquons Question de point de vue, une installation surprenante. Au sol, dans la chambre, un néon et un détecteur de fumée. Aux murs, une étagère fixée à l'envers avec des livres la tête en bas (dont Cent ans de solitude de G.G.Márquez). S’il lève les yeux, le visiteur est pris de vertige en constatant que le parquet, le lit et la chaise roulante du patient sont fixés au plafond. Jusque dans les moindres détails, comme les lunettes posées (ou pendues, question de point de vue), tout est à l'envers.

Aussi, dans une chambre lumineuse au carrelage coloré, des petits clous aux murs et, tendus entre eux, des fils de couleur de sorte que s'esquissent des formes géométriques. En entrant dans la pièce, le visiteur s’oriente spontanément vers le mur de gauche sur lequel une phrase est composée : “What’s wrong with”…. Ce n'est qu'après avoir réalisé un demi-tour qu'il découvrira, derrière la porte, un évier et un miroir sur lequel apparaît le mot : “me ?” C'est efficace.

Déstigmatiser la maladie mentale

Derrière chaque porte, une œuvre, un témoignage, une installation questionne la maladie mentale. Parfois loufoques, parfois franchement anxiogènes, les ambiances qui s'en dégagent invitent le visiteur à se questionner sur la psychiatrie mais aussi sur ses propres faiblesses, ses peurs, ses stratégies de défense face à l'adversité.

Le premier objectif de ce musée-expo est de permettre à un large public de se confronter à ses stéréotypes sur la maladie mentale et à la réalité d'un hôpital psychiatrique. Asiles entend créer du lien entre un public et un phénomène que la société a tendance à occulter. Pour y parvenir, deux routes distinctes ont été tracées.

L’une, artistique, est empruntée par des photographes, des plasticiens, des auteurs… qui questionnent la relation qu'entretient la société avec les différentes formes de maladies mentales. Pour étayer ce regard et pour l'imbiber de “vécu”, des patientes elles-mêmes et des membres du personnel soignant du Beau-Vallon ont collaboré à des ateliers avec les artistes exposants.

L'autre voie, historique cette fois, consiste en la réalisation d'une étude sur un siècle de psychiatrie en Belgique. Assurée par les Facultés universitaires de Namur, la recherche a pris la forme d’un livre : Des murs et des femmes. Cent ans de psychiatrie et d'espoir au Beau-Vallon(1). L'ouvrage, édité après deux ans de recherches scientifiques, est à la base de l'approche historique d’Asiles. Il tente de traiter l'histoire de la psychiatrie dans toute sa complexité et brosse les constances (logiques sécuritaires, médicalisation de problèmes sociaux…) et les évolutions (conception de pavillons ouverts, formation des soignants…) propres à l'institution au cours de ses cent années d'existence.

Au bout de ces chemins : un pavillon des Lilas entièrement relooké en musée d'histoire et d'art moderne. Sur deux étages, les œuvres, les installations, les paroles de patientes et de soignants, sont mis en perspective avec l'approche universitaire. À voir jusqu'au 9 juin.


Pour en savoir plus ...

>> Asiles • Jusqu'au 9 juin les mercredis, vendredis et week-ends • Hôpital psychiatrique du Beau-Vallon, 205 rue de Bricgniot à 5002 Saint-Servais • Infos : 081/72.11.11 • www.asiles.be