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Un spectacle percutant sur le "sexting"

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© Pixabay
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Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Thomas est un ado comme les autres : macho, grande gueule, prêt à relever un pari si c'est pour exister aux yeux des copains et prouver que oui, les filles, il les "pécho" sans problème.

Lisa est une ado comme les autres : pas sûre d'elle, timide, membre d'un clan de filles hystériques et bruyantes, désireuse de voir un jour les yeux d'un garçon se poser sur elle. Et ce jour arrive, mais pas pour les raisons qu'elle croit.

Ça commence pourtant bien, si on occulte les raisons qui expliquent leur rencontre. Sur le réseau social d'échanges d'images Snapchat, Thomas est gentil et flatteur. Lisa, pour sa part, se délecte de tant d'égards et de douceur. Ils flirtent, elle plane, elle vole. Jusqu'à ce que la belle, mise en confiance par cette correspondance soutenue et sur insistance du beau traître, lui offre un cadeau spécial : une photo intime prise à la sortie du bain. Retardateur. Clic. Le cliché est envoyé, de longues secondes s'écoulent, puis des minutes. S'installe un silence insoutenable. Thomas a disparu des écrans.

Le lendemain, en classe, les téléphones sonnent, les rires se font entendre, les regards convergent vers celle qu'on identifie maintenant comme la victime d'une mauvaise blague. L'amour rend aveugle, mais apparemment pas ceux qui en reluquent les conséquences. "Non, pense-t-elle, pas ça !" Lisa ne plane plus, ne vole plus, mais décompte maintenant les pas jusqu'à la sortie de l'établissement scolaire. Sur sa route : regards, moqueries, et la photo d'elle, placardée et traversée d'un mot déshonorant que nous n'osons pas écrire.

Bien sûr, Lisa est déconstruite. Bien sûr, elle a été bête. Elle sait la facilité avec laquelle une image sur le Net peut entacher une réputation : copy, comment, like, share, forward. "Pixels fuyants, dit-elle. Insaisissables pixels assemblés forment mes seins étalés sur vos écrans de verre." Profonde dépression, elle dépérit, elle mange moins pour exister moins, elle pense finir son chemin de croix sur le chemin de fer. Mais, in fine, Lisa rebondit. On ne vous dit pas comment.

Percutante mise en scène

"Pour s'adresser à un public adolescent, explique Andreas Christou, co-metteur en scène, il est nécessaire de s'adresser aux jeunes frontalement. Il nous fallait une comédienne capable de balancer un texte fort sans se laisser dépasser par les réactions du public." Sans hésitations, pour ce "presque seule en scène", Julie Carroll est à sa place. La jeune comédienne, rompue à l'exercice du théâtre de rue et "acclimatée" au public adolescent, est hallucinante dans l'exercice qui lui est imposé : incarner une quantité invraisemblable de rôles, livrer du slam, du rap, du rock ou ses préoccupations intimes au public avec la même conviction.

Vincent Cuignet, percussionniste, assume lui aussi ses responsabilités dans la narration. Ses compositions, jouées à la batterie ou au marimba, introduisent les scènes, les personnages, et créent des images. Deux lignes musicales contrastées, l'une douce, l'autre brutale, plongent les spectateurs dans des espaces distincts : l'intériorité de Lisa et les lieux de discussions virulentes du Net.

Deux mondes aux langages propres, ou pas… Car sur la Toile, les mots sont décomplexés, vulgaires, grossiers. Réalité que la mise en scène a voulu préserver dans #VU pour servir le propos : "Les professeurs à qui nous avons montré la pièce ont confirmé qu'on ne pouvait pas être plus justes, exprime Andreas Christou.C'est violent, mais les gens sont prêts à tout entendre lorsque le propos est sincère."

Une pratique qui dérape

62 en 2015, 128 en 2016, 135 en 2017… le nombre de cas problématiques de sexting traités par Child Focus augmente chaque année.

Soucieuse de répondre efficacement à ce phénomène qui peut s'avérer dévastateur pour les victimes (1), la Fondation pour enfants disparus et sexuellement exploités propose le spectacle #VU, l'adaptation en français de Sexthing, une pièce de Matthias De Paep (100 représentations en Flandre). Elle est destinée aux écoles, aux centres culturels, aux maisons de jeunes… et propose aux publics de réfléchir aux notions de culpabilité et de responsabilité, dossier pé - dagogique à l'appui. Le coupable, c'est celui/celle qui envoie sa photo ou celui/celle qui rompt la confiance de sa/son partenaire ? Une sensibilisation en outre nécessaire vu les peines prévues par la loi (2) sur le voyeurisme et l'attentat à la pudeur.

Concrètement, affirme Olivier Bogaerts, commissaire de l'Unité de lutte contre la cybercriminalité informatique de la police fédérale, "lorsque les images compromettantes se trouvent sur un service structuré comme Instagram, Facebook…, on peut, sur requête, retrouver l'origine de l'image. La démarche est par contre plus lente et fastidieuse lorsque l'image se trouve sur une plateforme hébergée dans un pays tiers. Durant la procédure judiciaire, le magistrat doit lancer une commission rogatoire, ce qui prend du temps…"

Pour éviter les problèmes, puisque le "sexting", soit l'envoi d'images de soi à un-e partenaire, n'est pas à interdire, mieux vaut être prudent. Par exemple en anonymisant les photos que l'on envoie (flouter un visage, masquer un tatouage…), réfléchir à la réelle nécessité de le faire sachant que les contenus déposés sur le web restent stockés parfois longtemps sur les serveurs, sortir de la logique que pour exister aux yeux des autres il faut être "liké"… "Il est démontré que dans le futur, la première chose qu'un employeur fera pour embaucher, c'est consulter les infos concernant ses candidats sur le Net. C'est légal, confirme Olivier Bogaerts, puisque c'est l'espace public numérique." Peut-être que ces choses sont utiles à rappeler…


Pour en savoir plus ...

www.artsnomades.be • 0478/64.86.12 ou Child Focus au 0479/30.30.21